Il y a des moments où la littérature prend tout son sens. Hier, à Rennes, deux mille lycéens ont remis leur prix littéraire, et franchement, leur choix m’a scotché. Ils ont couronné La nuit au cœur de Nathacha Appanah. Un roman qui parle de violences, de femmes brisées, de silences qui pèsent des tonnes. Et ils l’ont préféré à tout le reste, même au dernier Goncourt « officiel ». Ça fait réfléchir, non ?
Quand on sait que ces jeunes ont lu, décortiqué et débattu pendant trois mois entiers, leur verdict prend une autre dimension. Ce n’est pas un jury de critiques parisiens. Ce sont des ados de 15 à 18 ans, de tous milieux, de toute la France et même de l’étranger. Et ils ont dit : ce livre-là, il nous parle. Vraiment.
Un Goncourt des lycéens pas comme les autres
Cette 38e édition avait quelque chose de particulier. Sur la ligne de départ, quasiment la même sélection que le « grand » Goncourt. À un détail près : l’ancien lauréat David Diop avait été écarté, règlement oblige. Personne ne gagne deux fois.
Puis il y a eu ces rencontres. Imaginez : des auteurs qui débarquent dans des lycées, parfois loin de tout, et qui se retrouvent face à des centaines de jeunes qui les ont lus, vraiment lus. Les questions fusent, parfois cash, parfois bouleversantes. Nathacha Appanah s’est pris des retours qui l’ont fait pleurer. Un lycéen lui a simplement dit : « Votre livre m’a fait comprendre ma mère. » Difficile de faire plus fort.
Qui est Nathacha Appanah, vraiment ?
Née à Maurice, arrivée en France à 18 ans, Nathacha Appanah écrit depuis vingt ans des romans qui cognent. Le dernier frère, Tropique de la violence… Elle a cette capacité rare à parler des blessures intimes avec une douceur qui vous met KO. Cette année, elle signe déjà un doublé historique : prix Femina en novembre, Goncourt des lycéens aujourd’hui. Et quelque part, ça tombe sous le sens.
« Je n’écris pas pour dénoncer, j’écris pour comprendre comment on en arrive là. »
Nathacha Appanah, lors d’une rencontre avec des lycéens
De quoi parle « La nuit au cœur » ? (sans spoiler)
Trois femmes. Trois époques différentes. Une même spirale : celle des violences masculines. Il y a la très jeune fille d’aujourd’hui, la femme d’hier qui tente de se reconstruire, et celle d’avant qui n’a jamais pu parler. Leurs histoires s’entrelacent comme des racines sous terre. C’est sombre, oui. Mais jamais gratuit. Appanah écrit avec une lumière intérieure qui empêche le lecteur de baisser les bras.
Ce qui frappe, c’est la précision chirurgicale des émotions. Une gifle qui ne fait pas de bruit mais qui résonne pendant des pages. Un regard qui fuit. Un silence qui hurle. Les lycéens ont été nombreux à dire qu’ils n’avaient jamais lu quelque chose d’aussi juste sur la peur.
- Une écriture sobre mais qui vous prend aux tripes
- Des personnages féminins qu’on n’oublie pas
- Un sujet brûlant traité sans jamais tomber dans le pathos
- Une construction en miroir qui donne le vertige
Pourquoi les lycéens ont préféré Appanah à Mauvignier
Laurent Mauvignier, lui, partait avec une sacrée longueur d’avance. Son roman La maison vide a reçu le Goncourt il y a quelques semaines à peine. Une fresque familiale immense, ambitieuse, magnifique. Mais trop dense peut-être pour certains jeunes lecteurs. Trop de voix, trop de siècles. Là où Appanah va droit au cœur, Mauvignier demande du temps, de la patience.
Un délégué lycéen a résumé ça très bien : « On a tous aimé le Mauvignier, mais le Appanah, on l’a vécu. » C’est tout le paradoxe. Le livre le plus « urgent » a gagné. Celui qui parle de ce qu’on vit tous les jours, dans les couloirs du lycée, dans les familles, dans les faits divers qu’on préférerait ignorer.
Le Goncourt des lycéens, c’est quoi au juste ?
Né à Rennes en 1988, ce prix est devenu en quelques années le deuxième plus important en termes de ventes, juste derrière son grand frère. Et pour cause : quand deux mille ados plébiscitent un livre, les parents, les profs, les libraires suivent. Certaines années, ça dépasse les 400 000 exemplaires. C’est énorme.
Le principe est simple et génial :
- Septembre : les lycées reçoivent la sélection
- Octobre : rencontres avec les auteurs dans six villes de France
- Novembre : délibérations régionales puis nationale à Rennes
- Et boom, un lauréat qui voit sa vie changer
Cette année, 57 établissements participaient, du général au professionnel, en France et dans des lycées français à l’étranger. La diversité des lecteurs rend le choix d’autant plus fort.
Un prix qui change la vie… et les mentalités
Quand Sandrine Collette avait gagné l’an dernier avec Madelaine avant l’aube, les ventes avaient explosé. Pareil pour Kamel Daoud, Sabyl Ghoussoub ou Karine Tuil avant eux. Le Goncourt des lycéens, c’est le label « approuvé par la génération Z ». Et cette génération, mine de rien, lit. Beaucoup. Et quand elle aime, elle le fait savoir.
Moi qui ai suivi quelques délibérations ces dernières années, je peux vous dire que ça débat sec. Il y a des larmes, des engueulades, des prises de position passionnées. Hier, une lycéenne a défendu La nuit au cœur en expliquant que ce livre devrait être lu dans toutes les classes de seconde. Silence dans la salle. Standing ovation intérieure.
« Ce n’est pas juste un prix, c’est une conversation nationale que les jeunes prennent en main. »
Un professeur accompagnateur, ému aux larmes
Et maintenant ?
Les librairies vont être prises d’assaut, c’est certain. Le livre est déjà en réimpression massive. Nathacha Appanah, elle, continue les rencontres. Prochain arrêt : un lycée à Mayotte, puis un autre en Roumanie. Parce que oui, son roman voyage déjà très loin.
Et quelque part, c’est beau. Dans un monde où on dit que les jeunes ne lisent plus, deux mille d’entre eux viennent de prouver le contraire. Ils ont choisi un livre difficile, nécessaire, féministe sans le crier sur tous les toits. Un livre qui parle de réparation possible. Ça redonne espoir, non ?
Alors si vous n’avez pas encore lu La nuit au cœur, foncez. Pas parce qu’il a gagné un prix. Mais parce qu’il mérite amplement d’être lu, partagé, discuté. Et peut-être même d’entrer, un jour, dans les programmes scolaires. Les lycéens, eux, ont déjà voté.
Personnellement, je ressors de cette annonce avec l’envie furieuse de relire le roman. Parce que oui, parfois, la littérature sert encore à changer le monde. Un lecteur à la fois.
