Imaginez la scène : vous avez coché la date depuis des semaines, votre liste de cadeaux est prête, le portefeuille dégainé… et là, rideau baissé. Pas de chance, c’est justement le week-end du Black Friday et votre Fnac favorite est fermée pour grève. Cette année, le rouge ne sera pas seulement la couleur des étiquettes promo. Il sera celui de la colère.
Le « Red Friday » : quand le Black Friday vire au rouge syndical
Ce n’est pas une blague de calendrier. Les organisations syndicales de l’enseigne culturelle lancent un appel national à la grève les vendredi 28 et samedi 29 novembre 2025, pile au cœur du week-end le plus commercial de l’année. L’opération a même un nom qui claque : Red Friday. Un jeu de mots évident, mais diablement efficace.
Derrière l’accroche, il y a une réalité qui fait mal. Et franchement, quand on creuse un peu, on comprend vite pourquoi les salariés en ont assez.
86 % des salariés au SMIC : la statistique qui fait bondir
C’est le chiffre qui revient en boucle dans les tracts et les réunions : 86 % des effectifs touchent une rémunération de base au niveau du SMIC. Pas un centime de plus pour des milliers de conseillers vente, de libraires, de techniciens qui courent toute la journée entre les rayons.
Alors oui, il y a les primes, les avantages, les tickets resto. Mais quand la base reste scotchée au minimum légal année après année, la pilule devient difficile à avaler. Surtout quand, dans le même temps, le groupe annonce des chiffres d’affaires records pendant les périodes de soldes et de Black Friday.
« On nous demande d’être souriants, disponibles, experts… mais on nous paye comme des débutants »
– Un salarié en réunion d’information syndicale
Sous-effectif chronique : « On n’est plus assez pour tenir la boutique »
L’autre gros point noir, c’est le manque de bras. Les témoignages se ressemblent tous : des rayons entiers sans personne pour renseigner, des files d’attente interminables en caisse, des collègues qui enchaînent les heures sup non payées pour « sauver » la journée.
- Des postes supprimés ou jamais remplacés après les départs
- Des plannings explosés pendant les pics d’activité
- Une pression constante pour « faire plus avec moins »
- Des arrêts maladie qui s’accumulent, preuve que le corps dit stop
Et quand arrive le Black Friday, c’est l’apothéose. Des milliers de clients, des palettes qui débordent, des commandes Click & Collect qui s’entassent… mais toujours le même nombre de salariés au mètre carré. Forcément, ça craque.
Un projet de sortie de convention collective qui met le feu aux poudres
Comme si ça ne suffisait pas, la direction aurait dans les cartons un projet qui vise à sortir de la convention collective de la branche. Concrètement ? Plus d’augmentations automatiques liées aux négociations nationales, plus de garanties sur les primes d’ancienneté, moins de garde-fous.
Pour les syndicats, c’est la goutte d’eau. Ils y voient une volonté claire de tirer les conditions de travail vers le bas, surtout au moment où un nouvel actionnaire majeur pourrait faire son entrée.
JD.com dans le viseur : l’arrivée d’un géant chinois qui inquiète
Le timing est presque trop parfait. Pendant que les salariés préparent leurs pancartes, un mastodonte de l’e-commerce chinois s’apprête à devenir le deuxième actionnaire du groupe français. Montant de l’opération ? Plus de deux milliards d’euros pour récupérer une part importante du capital.
Évidemment, personne n’a de boule de cristal. Mais l’expérience montre que l’arrivée d’investisseurs venus d’horizons très compétitifs s’accompagne souvent de plans de « rationalisation ». Traduction : encore plus de pression sur les coûts, et donc sur les salaires et les effectifs.
J’ai échangé avec plusieurs salariés ces derniers jours. Le sentiment dominant ? Une immense méfiance. « On a déjà vu ce film ailleurs », me glisse l’un d’eux. Et il n’a pas tort.
Un mouvement qui dépasse la Fnac : Amazon, Zara… le commerce entier gronde
Ce qui se passe à la Fnac n’est pas isolé. Loin de là.
Dans le même temps :
- Des appels mondiaux à faire grève chez le géant américain du e-commerce, avec le slogan « Make Amazon Pay »
- Des mobilisations dans plusieurs pays chez une grande enseigne de fast-fashion pour le retour du partage des profits
- Des actions coups de poing dans la logistique et la grande distribution
On assiste à une forme de convergence. Comme si le modèle du « toujours moins cher, toujours plus vite » montrait enfin ses limites humaines.
Et nous, les clients, dans tout ça ?
Question légitime. On adore les bonnes affaires, les -50 %, les « stocks limités ». Mais à quel prix ?
Quand on sait qu’un conseiller de vente court toute la journée pour 1 400 € net, qu’il n’a parfois même pas le temps d’aller aux toilettes pendant le rush, la promo sur le dernier smartphone perd un peu de son goût.
Le Red Friday, c’est aussi une invitation à réfléchir. Est-ce qu’on est prêts à payer 20 ou 30 euros de plus sur un produit pour que les personnes qui nous le vendent vivent décemment ? La question mérite d’être posée.
Que va-t-il se passer ce week-end ?
Difficile de prédire l’ampleur exacte. Certains magasins seront totalement fermés, d’autres tourneront au ralenti avec des piquets de grève devant les portes. Dans les grandes villes, des actions spectaculaires sont prévues.
Ce qui est sûr, c’est que l’image du Black Friday 2025 risque d’être durablement marquée. Pour la première fois peut-être, le rouge de la colère pourrait voler la vedette au noir des promotions.
Et quelque part, c’est plutôt une bonne nouvelle. Parce que derrière les étiquettes choc, il y a des femmes et des hommes qui demandent simplement à être traités correctement. Rien de plus, rien de moins.
Alors ce week-end, si vous passez devant une Fnac aux rideaux baissés, peut-être que vous sourirez un peu moins en pensant à la bonne affaire ratée… et un peu plus en songeant que, parfois, fermer boutique, c’est aussi une façon d’ouvrir les yeux.
(Article mis à jour le 27 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
