Imaginez-vous prendre rendez-vous chez votre médecin traitant en janvier prochain… et tomber sur un message vocal : « Le cabinet est fermé pour une durée indéterminée. » Ce scénario, qui semblait encore improbable il y a quelques semaines, devient brutalement concret. Tous les syndicats représentatifs de médecins libéraux, sans exception, viennent de signer un appel commun à la grève à partir du 5 janvier 2026. Et quand je dis tous, c’est vraiment tous.
Ce n’est pas une petite grogne corporatiste de plus. C’est une première depuis des décennies : généralistes et spécialistes, jeunes médecins et anciens, syndicats historiques et collectifs plus récents, tout le monde est sur la même longueur d’onde. Le motif ? Un projet de budget de la Sécurité sociale qu’ils qualifient, sans exagérer, de « plus grave attaque contre la médecine libérale depuis 1945 ».
Pourquoi une telle colère, et pourquoi maintenant ?
Pour comprendre l’ampleur du séisme, il faut plonger dans les deux articles du projet de loi qui mettent le feu aux poudres. Le premier, c’est l’article 24. En gros, il donne à l’Assurance maladie le pouvoir de baisser unilatéralement les tarifs de certaines spécialités jugées « trop rentables ». Exit la négociation paritaire qui existait depuis toujours. On parle ici de radiothérapie, d’imagerie médicale, de dialyse, de néphrologie… des secteurs entiers qui se sentent directement visés.
Le second coup de massue, c’est l’article 26. Il instaure une surcotisation sur les dépassements d’honoraires des médecins en secteur 2 et sur les revenus des praticiens non conventionnés. Autrement dit : plus vous gagnez, plus on vous taxe, sans discussion possible.
« On supprime purement et simplement la négociation conventionnelle. C’est du jamais-vu. »
– Un responsable syndical de médecins spécialistes
Ce qui rend la situation explosive, c’est que ces mesures arrivent après des années de tensions accumulées : revalorisation jugée insuffisante des consultations, hausse continue des charges, déserts médicaux qui s’aggravent, et maintenant cette impression que l’État veut purement et simplement reprendre la main sur la médecine de ville.
Un front syndical totalement uni
Regardez la liste des signataires, elle donne le vertige : MG France, la CSMF, la FMF, l’UFML-Syndicat, Avenir Spé-Le Bloc, le SML… même les organisations habituellement plus modérées ou plus radicales marchent main dans la main. Les collectifs Jeunes Médecins et Médecins pour Demain sont aussi dans le bateau, et l’appel s’adresse explicitement aux internes et étudiants en médecine.
Quand on sait que certains de ces syndicats passent leur temps à se déchirer sur la stratégie, voir tout ce petit monde signer le même texte, c’est un signal fort. Très fort.
Un calendrier de mobilisation qui ne laisse rien au hasard
- Dès le 3 décembre : certains territoires (notamment le Sud-Est) lancent des actions coups de poing
- À partir du 5 janvier : grève nationale et illimitée, reports massifs de rendez-vous
- Refus de signer les nouveaux contrats « France Santé » voulus par le gouvernement
- Arrêt d’alimentation du dossier médical partagé (DMP)
- Demande systématique de contrôle médical pour chaque arrêt de travail
- Grande manifestation nationale à Paris le 7 janvier
Et pour les chirurgiens, c’est encore plus radical : certains blocs opératoires prévoient de fermer entre le 5 et le 19 janvier. Des praticiens parlent déjà de s’exiler temporairement à Bruxelles pour éviter toute réquisition.
Quelles conséquences concrètes pour les patients ?
Soyons honnêtes : ça va faire mal. Très mal même dans certaines régions.
Prenez les généralistes. S’ils reportent massivement les rendez-vous à partir du 5 janvier, les urgences hospitalières risquent d’être submergées dès la première semaine. On l’a vu lors des précédents mouvements : +20 à 30 % d’affluence dans certains services, avec des temps d’attente qui explosent.
Pour les spécialités techniques (imagerie, dialyse…), la situation peut devenir critique rapidement. Un scanner ou une séance de dialyse, ça ne se reporte pas comme une consultation de routine.
« On ne prend pas les patients en otage. On défend le dernier rempart avant la disparition totale de la médecine libérale. »
– Un médecin généraliste signataire de l’appel
Un peu d’histoire : pourquoi 1945 revient sans cesse
Quand les syndicats parlent d’« attaque inédite depuis 1945 », ils ne font pas du storytelling. À la Libération, Ambroise Croizat crée la Sécurité sociale avec un principe fondamental : la gestion paritaire. Patronat et syndicats siègent ensemble pour fixer les règles. C’est ce modèle que le gouvernement s’apprête, selon eux, à dynamiter avec l’article 24.
Depuis, il y a eu des conflits, des grèves, des bras de fer. Mais jamais l’État n’avait prévu de s’affranchir aussi clairement de la négociation conventionnelle. C’est ça qui fait peur : l’impression que c’est le début de la fin d’un système.
Et maintenant ? Dialogue de sourds ou sortie de crise ?
À l’heure où j’écris ces lignes, le gouvernement reste ferme. Les mesures sont présentées comme indispensables pour juguler les dépenses de santé et lutter contre certaines rentes. Côté médecins, on refuse catégoriquement de discuter tant que les articles 24 et 26 ne seront pas retirés ou profondément modifiés.
Le risque ? Un mois de janvier complètement paralysé, avec des conséquences sanitaires difficiles à chiffrer. L’espoir ? Que la mobilisation massive force enfin la main et ouvre une vraie concertation.
Une chose est sûre : on n’a probablement jamais été aussi près d’un conflit social d’ampleur dans le secteur de la santé. Et cette fois, c’est toute la médecine libérale qui se sent dos au mur.
À suivre de très près. Très très près.
(Article mis à jour le 27 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
