Imaginez-vous lundi matin, café à la main, prêt à prendre le train pour le boulot… et là, rien. Le quai est vide, le panneau clignote « supprimé » sur toutes les lignes. Bienvenue en Belgique version 24 novembre 2025.
Depuis ce matin, le pays vit au ralenti, voire carrément à l’arrêt dans certains secteurs. Et ce n’est que le début : trois jours de grève nationale s’enchaînent, chacun plus intense que le précédent. On parle déjà du mouvement social le plus dur depuis des années. Mais pourquoi en arrive-t-on là ?
Un ras-le-bol qui couvait depuis des mois
Pour comprendre, il faut remonter à l’arrivée au pouvoir, en février dernier, d’une coalition dirigée par un homme qui ne laisse personne indifférent : Bart De Wever. Le leader nationaliste flamand a promis de remettre de l’ordre dans les comptes publics. Et quand je dis « ordre », c’est presque un euphémisme.
La Belgique traîne l’une des dettes les plus lourdes de la zone euro – on parle de niveaux comparables à ceux de la Grèce ou de l’Italie à leurs heures les plus sombres. Le nouveau gouvernement s’est donc fixé un objectif clair : faire des économies partout où c’est possible. Et, disons-le franchement, « partout » inclut des domaines qui touchent directement le quotidien des Belges.
« C’est un appel au gouvernement pour qu’il mette fin au démantèlement social en cours. »
Communiqué commun des grands syndicats belges
Le mot est lâché : démantèlement. Pour les syndicats, les réformes envisagées ne sont ni plus ni moins qu’une attaque frontale contre le modèle social belge, pourtant réputé généreux depuis des décennies.
Les réformes qui font bondir les syndicats
Concrètement, de quoi parle-t-on ? D’un paquet de mesures qui, prises séparément, peuvent sembler techniques, mais qui, mises bout à bout, dessinent un changement de société profond.
- Assouplissement très net des conditions pour licencier (la fameuse libéralisation du marché du travail)
- Réduction progressive de la durée des allocations chômage
- Relèvement de l’âge effectif de départ à la retraite (et conditions plus strictes pour les préretraites)
- Diminution de certains avantages dans la fonction publique
- Gel partiel des salaires dans plusieurs secteurs
Et ce n’est pas tout. En parallèle, le gouvernement veut augmenter fortement les dépenses militaires – histoire de respecter les engagements OTAN – alors même qu’il demande des sacrifices aux citoyens. Vous voyez le cocktail explosif ? Moi, en tout cas, ça me fait penser à ces moments où on demande aux passagers de serrer la ceinture… pendant que le commandant annonce qu’on va acheter un nouvel avion.
Un accord trouvé… mais trop tard ?
Dans la nuit de dimanche à lundi, après des négociations marathon, la coalition a annoncé avoir trouvé un accord budgétaire. 2,5 milliards d’économies et de recettes nouvelles dès 2026, puis 9,2 milliards par an à partir de 2029. Pas mal sur le papier.
Mais voilà, pour les syndicats, cet accord arrive bien trop tard et ne change rien au fond. Pire : certaines mesures fiscales décidées (hausse de la TVA sur une série de produits, taxe de 2 € sur les colis hors UE, taxation accrue de certains placements financiers) sont perçues comme des cadeaux aux riches et des punitions pour les classes moyennes.
Résultat ? Le mouvement de grève est maintenu intégralement. Et il est même renforcé.
Trois jours, trois vagues de perturbations
Le plan syndical est millimétré. Chaque jour cible un secteur précis, pour maximiser l’impact.
- Lundi – Les transports : la SNCB fait circuler à peine un train sur deux, parfois un sur trois. Des Eurostar Paris-Bruxelles sont annulés. Les bus et trams TEC tournent au ralenti dans plusieurs régions.
- Mardi – Services publics et éducation : crèches, écoles, administrations, hôpitaux… Beaucoup d’établissements seront fermés ou en service minimum. Les parents galèrent déjà pour trouver des solutions de garde.
- Mercredi – Grève interprofessionnelle totale : là, c’est le bouquet final. Et surtout, l’aviation est touchée de plein fouet : zéro vol commercial à Brussels Airport et Charleroi. Les contrôles de sécurité seront assurés par… personne, ou presque.
Franchement, quand on voit l’ampleur, on se demande si le gouvernement n’a pas sous-estimé la colère. Parce que là, on ne parle plus d’une simple journée d’action. On parle d’un pays qui s’arrête vraiment pendant 72 heures.
Un climat social déjà électrique depuis l’automne
Il faut dire que l’ambiance était tendue depuis longtemps. Mi-octobre, déjà, plusieurs dizaines de milliers de personnes avaient défilé dans Bruxelles contre les premières mesures d’austérité. Les pancartes disaient tout : « De Wever, mains hors de mes retraites », « Travailler plus pour gagner moins ? Non merci ».
Depuis, les actions se sont multipliées : grèves sectorielles, piquets de grève surprise, happenings devant le Parlement… Mais cette fois, les trois grands syndicats (chrétien, socialiste et libéral) ont décidé de frapper un grand coup ensemble. Chose rare.
Et maintenant, qui va plier ?
C’est la grande question. Bart De Wever a fixé à sa propre coalition une deadline de Noël pour finaliser les grandes réformes. Mais avec cette grève monstre, la pression est énorme. Certains observateurs estiment que le gouvernement pourrait être obligé de reculer sur plusieurs points sensibles – notamment les retraites et les conditions de chômage.
D’autres, au contraire, pensent que le Premier ministre va tenir bon, quitte à laisser le pays paralysé quelques jours. Après tout, il a été élu sur un programme clair de rigueur budgétaire. Reculer maintenant serait un aveu de faiblesse.
Ce qui est sûr, c’est que ces trois jours vont marquer les esprits. Et peut-être l’histoire sociale belge. Parce que derrière les trains annulés et les écoles fermées, il y a une question de fond : jusqu’où un pays peut-il demander des efforts à sa population quand la dette a été accumulée, en grande partie, par des décisions politiques passées ?
Personnellement, je trouve que la situation belge est un miroir grossissant de ce qui se passe un peu partout en Europe. On nous parle sans cesse de compétitivité, de dette, d’efforts à fournir… Mais à un moment, les gens saturent. Et quand ils saturent, ils descendent dans la rue. Ou ils bloquent tout simplement le pays.
Alors oui, ces trois jours vont être pénibles pour beaucoup de Belges. Mais ils pourraient aussi être le début de quelque chose. D’un vrai débat sur le modèle qu’on veut pour demain. Ou, au contraire, d’une fracture durable entre une partie de la population et ses dirigeants.
En attendant, si vous aviez prévu de passer par la Belgique cette semaine… changez vos plans. Parce que là, franchement, même les moules-frites risquent d’être compliquées à trouver.
(Article mis à jour en continu selon l’évolution de la situation)
