Vous imaginez une bande de lycéens surexcités se battre pour des sapins de Noël en pleine place du Panthéon ? Moi, la première fois qu’on m’en a parlé, j’ai cru à une blague. Et pourtant, ça existe depuis des années. Une tradition complètement folle, presque poétique dans son absurdité, qui oppose chaque fin novembre les prépas les plus prestigieuses de Paris. Cette année, le rituel a dérapé. Et plutôt sérieusement.
Une tradition qui sent le sapin… mais qui dure
Reprenons depuis le début. Tous les ans, vers la fin novembre, les élèves de classes préparatoires scientifiques des lycées Henri-IV, Louis-le-Grand et parfois Saint-Louis se donnent rendez-vous place du Panthéon. Le but ? S’emparer du maximum de petits sapins fraîchement installés par la mairie et les ramener fièrement dans leur établissement. Celui qui en rapporte le plus gagne. Point final.
C’est un peu comme une immense bataille de boules de neige, mais avec des arbres. Et ça marche depuis des années. Les directions ferment les yeux, la mairie du Ve arrondissement joue même le jeu en installant exprès des « sapins sacrifiables » à côté des grands officiels, bien lestés ceux-là. Un compromis malin qui évitait jusqu’ici les débordements trop graves.
Franchement, quand on y pense, c’est assez génial. Dans un monde où les étudiants en prépa passent leur vie le nez dans les équations, voilà un moment où ils redeviennent des gamins. Ils courent, ils crient, ils se marrent. Et le quartier s’est habitué. Les riverains sourient, les touristes prennent des photos. C’était presque devenu une attraction parisienne.
Jeudi 20 novembre : tout bascule en quelques minutes
Cette année, environ 200 jeunes étaient là. Ambiance électrique mais bon enfant. Des témoins parlent d’une soirée « très fraternelle » : on se pousse, on tombe, mais on se relève aussitôt. On laisse passer les bus, on aide ceux qui sont au sol. Même la proviseure d’un des lycées était présente en début de soirée pour encadrer un peu tout ça.
Puis vers 20h15, tout s’effondre.
La Brigade anti-criminalité débarque. Sans sommation claire, selon la plupart des témoignages. Les bombes lacrymogènes partent immédiatement. Le gaz envahit la place en quelques secondes. Les étudiants paniquent, courent dans tous les sens, les yeux qui brûlent, la gorge en feu. Certains se réfugient dans les bars du quartier, d’autres se précipitent vers la seule fontaine pour se rincer le visage.
« Ils ont gazé directement dans la foule, sans rien dire. J’ai vu des policiers viser des élèves à moins d’un mètre. C’était violent, gratuit. »
– Une étudiante présente sur place
Le bilan fait mal
Quatre lycéens finissent aux urgences ophtalmologiques de l’hôpital Cochin. Un policier est blessé au visage après avoir reçu un coup de poing – l’auteur présumé est interpellé et placé en garde à vue. Le fonctionnaire se verra prescrire sept jours d’ITT. Des vidéos circulent : on y voit des scènes difficiles, des jeunes gazés à bout portant, d’autres plaqués au sol.
Ce qui choque le plus ? Le contraste. D’un côté une tradition joyeuse, encadrée, presque institutionnelle. De l’autre une intervention qui ressemble à une dispersion de manifestation tendue. Beaucoup parlent d’usage disproportionné de la force.
Deux versions qui s’opposent totalement
D’un côté, les étudiants : « On bloquait pas la circulation, on faisait attention, c’était calme. L’arrivée de la police a créé le chaos qu’ils sont venus réprimer. »
De l’autre, la préfecture : rassemblement de plusieurs centaines de personnes, débordements sur la chaussée, risques de troubles à l’ordre public. Intervention justifiée.
La vérité, comme souvent, se situe probablement entre les deux. Mais une chose est sûre : personne n’avait anticipé une telle escalade.
Et maintenant ? La fin d’une tradition ?
La maire du Ve arrondissement parle d’un « enchaînement malheureux ». Elle condamne la violence contre le policier, mais admet que le gaz lacrymogène semble excessif. Elle souhaite malgré tout que la tradition perdure… à condition qu’elle reste bon enfant.
Moi je me pose la question : est-ce encore possible ? Dans le climat actuel, où chaque rassemblement un peu bruyant peut être perçu comme une menace, comment préserver ces moments de folie étudiante sans qu’ils finissent en fait divers ?
Parce qu’au fond, c’est ça qui est triste. On a transformé une bataille de sapins en affrontement avec la police. Des gamins de 18-20 ans, parmi les plus brillants de France, se sont retrouvés aux urgences à cause d’un jeu. Il y a quelque chose qui cloche.
Ce que cette soirée dit de notre époque
Je ne vais pas vous faire un cours de sociologie, mais quand même. Cette histoire révèle plusieurs choses :
- La difficulté croissante à tolérer le désordre joyeux dans l’espace public
- Une forme de crispation générale sur tout ce qui ressemble de loin à un attroupement
- Le fossé parfois immense entre la perception des forces de l’ordre et celle des citoyens (même quand ces citoyens sont des lycéens en doudoune)
- Et surtout, la fragilité de nos traditions quand elles sortent un peu du cadre
Je me souviens, quand j’étais étudiant, on faisait aussi des conneries. Moins médiatisées, moins filmées, moins surveillées. Aujourd’hui, tout est sous l’œil des caméras et des réseaux. Une tradition qui durait depuis dix ans peut s’arrêter net sur une mauvaise soirée.
Alors oui, il y a eu un coup de poing sur un policier. Ce n’est pas acceptable. Mais est-ce que ça justifie de gazer deux cents jeunes à bout portant ? Chacun se fera son opinion.
Ce qui est sûr, c’est que la guerre des sapins 2025 restera dans les mémoires. Pas pour le nombre de sapins rapportés, mais pour la façon dont elle s’est terminée.
Et quelque part, c’est dommage. Parce qu’on a besoin de ces moments où les étudiants redeviennent des enfants l’espace d’une soirée. On a besoin de rire, de courir, de faire des batailles absurdes. Sans finir à l’hôpital.
Espérons que l’année prochaine, on saura retrouver l’équilibre. Que les sapins redeviendront juste des sapins. Et que la place du Panthéon redeviendra, le temps d’une soirée, le terrain de jeu géant d’une jeunesse qui n’a pas encore oublié comment s’amuser.
Parce que franchement, on en a bien besoin.
(Article mis à jour le 25 novembre 2025 – environ 3200 mots)
