Imaginez-vous attablé face à la Seine, dans un lieu chargé d’histoire, et que l’on vous serve ce qui est officiellement considéré comme l’un des tous meilleurs repas du monde. Ce n’est pas un rêve : c’est ce qui se passe, encore en 2025, chez Guy Savoy.
Quand le classement La Liste a dévoilé ses résultats pour son dixième anniversaire, une chose n’a surpris personne dans le petit milieu de la gastronomie : le restaurant parisien installé à la Monnaie de Paris figure toujours tout en haut. Ce qui a changé ? Il doit partager la première place avec neuf autres géants. 99,5/100, ex æquo. Neuf ans de règne absolu, et voilà que le trône devient un peu plus large.
Un sacre qui en dit long sur la gastronomie d’aujourd’hui
Perdre une troisième étoile Michelin en 2023 avait fait l’effet d’une petite bombe. Beaucoup y avaient vu la fin d’une ère. Et pourtant, deux ans plus tard, le même établissement remonte sur la plus haute marche d’un classement qui, lui, regarde bien plus large que le seul guide rouge.
La Liste, pour ceux qui ne connaissent pas encore, fonctionne différemment. Là où d’autres guides envoient des inspecteurs incognito, elle compile des centaines de sources : guides papier, sites spécialisés, critiques internationales, avis vérifiés, notes de presse… Un algorithme mastodonte qui brasse tout ça pour sortir une note objective, ou du moins la plus objective possible. Résultat ? Parfois des surprises. Parfois des confirmations éclatantes.
« Je suis un peu désolé pour les autres », a plaisanté le fondateur en comparant les grands chefs à Federer, Nadal et Djokovic. Pendant dix ans, ça se joue entre une poignée de monstres.
Les dix rois de 2025
Cette année, ils sont donc dix à toucher la note presque parfaite de 99,5. On y retrouve des habitués, mais aussi quelques nouveaux qui font leur entrée directement au panthéon.
- Guy Savoy – Paris (France)
- Cheval Blanc by Peter Knogl – Bâle (Suisse)
- Le Bernardin – New York (États-Unis)
- Schwarzwaldstube – Baiersbronn (Allemagne)
- SingleThread – Healdsburg (États-Unis)
- Lung King Heen – Hong Kong
- Matsukawa – Tokyo (Japon)
- Da Vittorio – Brusaporto (Italie, nouveau)
- Robuchon au Dôme – Macao (nouveau)
- Martin Berasategui – Lasarte-Oria (Espagne, nouveau)
Ce top 10 ressemble à une carte postale de la gastronomie mondiale : Europe, États-Unis, Asie, tous les continents sont représentés. Et pourtant, quand on regarde le top 100 complet, un pays domine encore outrageusement : la France. Preuve, s’il en fallait une, que le mythe de la grandeur gastronomique française n’est pas près de s’éteindre.
Pourquoi Guy Savoy reste intouchable
Alors oui, il y a la fameuse soupe d’artichaut à la truffe noire. Oui, il y a le lieu absolument magique de la Monnaie de Paris, avec ses vues imprenables sur la Seine et le Louvre. Mais ce qui frappe surtout quand on dîne chez Guy Savoy, c’est une forme de sérénité absolue.
Ici, rien ne semble forcé. Le service est d’une précision militaire mais sans raideur. Les assiettes sont belles, parfois spectaculaires, mais jamais pour le simple plaisir du spectacle. On sent une cuisine qui a atteint une forme de maturité rare : elle n’a plus rien à prouver, elle se contente d’être.
Et c’est peut-être ça, finalement, la vraie force du lieu. Quand certains chefs courent après la nouveauté permanente, Guy Savoy affine, peaufine, perfectionne des plats qu’il sert depuis parfois vingt ans. La constance, dans un monde où tout va toujours plus vite, devient presque une forme de luxe suprême.
La haute gastronomie entre luxe et fragilité
Mais le classement La Liste ne s’est pas contenté de couronner les meilleurs. Pour son dixième anniversaire, il a aussi dressé un bilan plutôt sévère de la décennie écoulée. Et le constat fait mal : 16 % des restaurants autrefois distingués par les grands guides ont purement et simplement fermé leurs portes.
Seize pour cent. Autrement dit, un établissement sur six a disparu. Quand on sait le niveau d’exigence nécessaire pour entrer dans ces classements, on mesure la violence du phénomène.
« La haute cuisine vit aujourd’hui entre le luxe et la faillite », résume sobrement le président de La Liste.
Les raisons ? Multiples. Explosion des coûts des matières premières, difficulté à recruter du personnel qualifié, loyers astronomiques dans les grandes capitales, et surtout une clientèle qui, même fortunée, devient plus rare à dépenser 500 ou 600 euros par personne sans broncher.
Résultat : même les plus grands tremblent. On a vu des triple-étoilés mettre la clé sous la porte ces dernières années. D’autres se reconvertir dans des formules plus accessibles le midi. Certains chefs préfèrent tout simplement arrêter plutôt que de compromis leur vision.
Les grandes tendances qui redessinent nos assiettes
En dix ans, le paysage a profondément changé. Et La Liste a identifié plusieurs mouvements de fond qui expliquent cette métamorphose.
D’abord, la décontraction. Fini le temps où il fallait murmurer dans les salles étoilées. Aujourd’hui, même dans les plus grandes maisons, on accepte les jeans (chics, mais quand même). Le service se fait plus chaleureux, parfois presque complice. On veut que le client se sente bien, pas impressionné.
Ensuite, l’ère Instagram. Difficile d’y échapper. Certains plats sont clairement pensés pour être photographiés. Dressages spectaculaires, couleurs vives, effets de fumée ou de lumière… Parfois au détriment du goût pur, il faut bien le dire. Mais en même temps, c’est aussi grâce à ces images que de jeunes chefs remplissent leurs salles en quelques mois.
Et puis il y a le grand retour du terroir. Contre-pied total. Face à la cuisine parfois trop conceptuelle, une nouvelle génération remet les produits ultra-locaux au centre de l’assiette. Légumes oubliés, élevages de proximité, fermentations maison… On revient à quelque chose de plus brut, de plus sincère.
Et demain ?
La grande question, maintenant, c’est de savoir si ce modèle de la très haute gastronomie va survivre tel quel. Certains prédisent la fin des menus à 800 euros. D’autres imaginent des formules hybrides : grande cuisine le soir, bistrot plus abordable le midi.
Ce qui est sûr, c’est que les chefs comme Guy Savoy, qui ont su traverser les tempêtes sans renier leur identité, resteront des phares. Parce qu’au-delà des modes, il y aura toujours des gens prêts à payer très cher pour vivre une expérience qu’ils n’oublieront jamais.
Et franchement, quand on goûte à cette soupe d’artichaut truffée ou à ce pigeon rôti comme personne d’autre ne sait le faire… on comprend pourquoi certains sont prêts à tout pour garder une table dans ces lieux magiques.
La gastronomie française n’est peut-être plus seule au sommet. Mais elle reste, plus que jamais, une référence absolue. Et ça, aucun algorithme au monde ne pourra le contester.
