Imaginez un pays où sortir dans la rue peut coûter la vie, où les fusillades rythment les journées, et où, pourtant, des milliers de gens descendent spontanément fêter dans les rues à 3 heures du matin. C’est exactement ce qui s’est passé en Haïti dans la nuit du 18 au 19 novembre 2025. Les Grenadiers viennent de battre le Nicaragua 2-0 et, grâce au nul du Honduras ailleurs, valident leur billet pour la Coupe du Monde 2026. Cinquante-deux ans après 1974, Haïti retourne au plus grand rendez-vous du football mondial. Et franchement, peu d’histoires m’ont donné la chair de poule comme celle-là.
Une qualification qui dépasse largement le sport
On parle souvent de football comme d’une bulle d’espoir dans les pays en crise. En Haïti, cette bulle a littéralement explosé cette nuit-là. Le capitaine, Johny Placide, 37 ans, gardien titulaire à Bastia en Ligue 2 et pilier des Grenadiers depuis plus d’une décennie, n’a même pas essayé de cacher ses larmes après le coup de sifflet final.
« Beaucoup de larmes ont coulé, vraiment beaucoup… On a pensé à tout le peuple, à ceux qui souffrent tous les jours. Ce n’est pas que pour nous, c’est pour eux. »
Johny Placide, capitaine d’Haïti
Quand tu entends ça, tu comprends que ce n’était pas qu’un match. C’était une respiration immense pour tout un pays.
Le scénario complètement fou des dernières minutes
Reprenons depuis le début, parce que cette soirée mérite qu’on s’y attarde. Haïti reçoit le Nicaragua dans un stade de la République dominicaine – parce que jouer à Port-au-Prince reste trop dangereux. L’ambiance est déjà électrique. Deux buts rapides, un de Duckens Nazon, l’autre de Derrick Etienne, et les Grenadiers mènent 2-0. Mais tout peut basculer : il faut aussi surveiller le match Honduras – Costa Rica diffusé sur les écrans géants.
À la 85e minute, le Honduras pousse, obtient un pénalty… et le rate. Le stade explose une première fois. Puis vient la 94e : l’arbitre siffle la fin au Costa Rica sur un 0-0. Là, c’est l’hystérie totale. Placide tombe à genoux, enlève son maillot, le jette dans la foule et pleure comme un gamin.
J’ai revu les images dix fois. Ce n’est pas du cinéma. C’est du réel brut.
Johny Placide, le roc de 37 ans qui porte tout sur ses épaules
À 37 ans, beaucoup auraient déjà rangé les gants. Pas lui. Formé au Havre, passé par Reims, aujourd’hui à Bastia où il enchaîne les clean sheets en Ligue 2, Placide est devenu bien plus qu’un gardien : c’est le grand frère, le leader, le symbole de résilience.
Il raconte qu’il a failli arrêter la sélection plusieurs fois. Les conditions d’entraînement inexistantes, les déplacements interminables, les matchs joués à l’étranger… Et pourtant il a tenu.
« À chaque rassemblement, on se demande si on va pouvoir jouer le match. Parfois il n’y a même pas d’eau pour se doucher. Mais quand tu vois les gamins qui te regardent avec les yeux brillants, tu continues. »
Ce genre de phrase, ça te remet les pieds sur terre.
1974-2026 : cinquante-deux ans d’attente et de galères
Pour bien mesurer l’exploit, il faut revenir un peu en arrière. En 1974, Haïti participe à sa seule Coupe du Monde. Ils perdent les trois matchs, mais marquent l’histoire en battant l’Italie en amical juste avant. Depuis ? Rien. Des générations entières ont grandi sans voir leur pays au Mondial.
- Années 80-90 : instabilité politique, coups d’État
- Années 2000 : tremblements de terre, ouragans, chaos
- Années 2020 : explosion de la violence des gangs
Et malgré tout ça, une bande de joueurs, souvent issus de la diaspora (France, États-Unis, Canada), a décidé de porter le maillot coûte que coûte.
Le football comme exutoire dans un pays à bout de souffle
Haïti, c’est actuellement l’un des endroits les plus dangereux de la planète. Les gangs contrôlent plus de 80 % de Port-au-Prince. Les écoles ferment, les hôpitaux manquent de tout. Et pourtant, dès que les Grenadiers jouent, le pays s’arrête.
Dans la nuit de la qualification, des vidéos ont circulé : des klaxons à n’en plus finir, des feux d’artifice improvisés, des gens qui dansent au milieu des rues malgré les risques. Le football reste l’un des derniers liens qui unissent encore les Haïtiens.
Et là, je me dis : parfois, un simple ballon peut faire plus que des discours entiers.
Ce que ça change concrètement pour 2026
Avec l’élargissement à 48 équipes, la CONCACAF a désormais 6,5 places directes. Haïti termine dans le top 6 et évite même les barrages. Ils seront dans le grand chapeau en décembre 2025.
Ils joueront aux États-Unis, au Canada ou au Mexique – des pays où vit une immense diaspora haïtienne. Imaginez les stades remplis de drapeaux bleu et rouge. Ça promet.
Les héros discrets de cet exploit
Derrière Placide, il y a toute une équipe qui mérite qu’on parle d’elle :
- Duckens Nazon, le buteur qui joue en Bulgarie et qui claque des doublés comme si de rien n’était
- Derrick Etienne, le milieu créatif de MLS
- Danley Jean-Jacques, le roc du milieu formé à Metz
- Et tout le staff technique qui bosse souvent sans salaire
C’est une équipe de guerriers, pas de stars. Et c’est peut-être ça qui rend l’histoire encore plus belle.
Et maintenant ?
Pour Johny Placide, l’objectif est clair : « On ne va pas là-bas pour faire de la figuration. » À 37 ans, il sait que c’est probablement sa dernière grande aventure. Il veut laisser une trace.
Et pour le peuple haïtien ? Cette qualification, c’est un rayon de soleil dans une nuit qui dure depuis trop longtemps. Parfois, le football ne change pas le monde. Mais pendant quelques heures, il le rend supportable.
Alors oui, il y a eu beaucoup de larmes cette nuit-là. Des larmes de joie, de fatigue, de fierté. Des larmes qui, pour une fois, n’étaient pas versées pour un drame.
Et quelque part, c’est tout ce qu’on demande au sport : nous rappeler qu’il reste de l’espoir, même quand tout semble perdu.
(Article écrit avec le cœur, après avoir regardé les images de la célébration une bonne vingtaine de fois. Parce que certaines histoires méritent qu’on prenne le temps de les raconter correctement.)
