Vous est-il déjà arrivé de poster une story et, quelques heures plus tard, de regretter d’avoir ouvert votre téléphone ? Pour beaucoup, c’est une petite frayeur passagère. Pour elle, ça a tourné au cauchemar éveillé pendant des mois.
Octobre 2023. Le monde est encore sonné par les images terribles qui arrivent d’Israël et de Gaza. Sur les réseaux, les passions s’emballent à une vitesse folle. Et puis il y a cette vidéo, quelques secondes à peine, où une influenceuse connue partage son émotion : oui, ce qui se passe en Israël est horrible, mais pourquoi personne ne parle jamais des souffrances palestiniennes ? Une phrase, une prise de position, et c’est l’embrasement.
Quand une story devient un délit
Ce qu’elle n’imaginait pas, c’est que cette simple vidéo allait déclencher une vague de haine d’une violence rare, même pour quelqu’un qui a l’habitude des commentaires acides. Des milliers de messages. Pas juste des insultes classiques de trolls. Non, des menaces précises, répétées, glaçantes.
« On sait où tu habites », « On va s’occuper de toi et de ta famille », « Sale arabe, on va te crever »… Le genre de phrases qui vous font regarder deux fois par la fenêtre le soir. Pendant deux à trois mois, son téléphone est devenu une arme pointée sur elle en permanence.
Elle raconte avoir vécu dans la peur constante, dormant à peine, changeant parfois d’endroit la nuit parce que certains messages donnaient des détails trop précis sur ses habitudes.
Sept prévenus face à la justice
Deux ans plus tard, sept personnes se retrouvent sur le banc des accusés au tribunal de Paris. Des profils très différents : des hommes, des femmes, des âges variés, certains sans casier, d’autres déjà connus des services de police. Ce qui les réunit ? Avoir franché la ligne, plusieurs fois, en envoyant des messages qui ne relèvent plus de la liberté d’expression mais bien du harcèlement et des menaces de mort.
Ce qui a particulièrement marqué l’audience, c’est la stratégie de défense choisie par plusieurs d’entre eux. Plutôt que de nier ou de minimiser, certains ont préféré invoquer… le contexte émotionnel du moment.
« J’étais choqué par le 7 octobre » : l’argument qui fait grincer
À la barre, on entend des phrases qui laissent tout le monde un peu sonné. « J’avais vu les images des bébés tués », « J’étais révolté », « Quand j’ai vu sa vidéo, j’ai pété un câble ». En gros : c’est le choc des attentats du 7 octobre qui aurait poussé certains à écrire des horreurs.
Difficile de ne pas trouver ça troublant. D’un côté, personne ne nie la violence extrême de ces événements et l’émotion légitime qu’ils ont provoquée. De l’autre… est-ce que le fait d’être bouleversé autorise à menacer une femme de mort pendant des semaines ? La réponse semble évidente. Pourtant, certains prévenus semblent sincèrement croire que leur « état émotionnel » doit être pris en compte comme circonstance atténuante.
Un des avocats de la défense a même osé : « Mon client a réagi à chaud, dans un contexte de sidération collective. »
On attend encore la jurisprudence qui dirait que le chagrin ou la colère, même légitimes, donnent le droit d’envoyer « On va te brûler vive » à une parfaite inconnue.
Le cyberharcèlement, cette arme de destruction massive
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est à quel point elle illustre parfaitement la mécanique du cyberharcèlement de masse. Une étincelle (une story), un sujet inflammable (le conflit israélo-palestinien), et des milliers de personnes qui se sentent soudain investies d’une mission : punir, humilier, terroriser.
Et le pire ? Beaucoup de ces messages viennent de comptes tout à fait ordinaires. Pas des trolls professionnels, pas des bots. Des gens qui, dans la vraie vie, ont un boulot, une famille, des amis. Mais qui, derrière leur écran, se transforment en justiciers prêts à tout.
- Ils commencent par une insulte « justifiée » selon eux
- Puis ils repèrent que d’autres font pareil
- L’effet de groupe les désinhibe totalement
- Et très vite, ils franchissent toutes les lignes rouges
C’est cette dynamique de meute numérique qui rend le phénomène si difficile à endiguer. Parce que chacun se dit que « de toute façon, il y en a des milliers d’autres qui le font ».
L’impact psychologique : bien plus qu’une « mauvaise période »
Elle n’était pas présente à l’audience, mais ses mots ont été lus. Et ils pèsent lourd. Perte de sommeil, crises d’angoisse, peur de sortir, sensation d’être suivie… Le genre de séquelles qu’on ne voit pas sur les photos glamour des réseaux sociaux.
Ce qu’on oublie souvent, c’est que derrière l’image publique de l’influenceuse « forte » et « cash », il y a une femme de 28 ans qui a vécu l’enfer pendant des mois. Et qui, deux ans après, doit encore gérer les conséquences de cette vague de haine.
J’ai discuté avec des victimes de cyberharcèlement similaires. Toutes disent la même chose : le plus dur, ce n’est pas les messages en eux-mêmes (on finit par s’y habituer, malheureusement). Non, le plus dur, c’est de se dire que des milliers de personnes vous haïssent au point de vouloir votre mort. Juste parce que vous avez dit quelque chose qu’elles n’aimaient pas.
La justice face à un phénomène de masse
Le parquet a requis des peines de prison avec sursis et des amendes. Rien d’extraordinaire, mais un signal clair : non, on ne peut pas tout se permettre sous prétexte qu’on est « ému » ou « révolté ».
Mais la vraie question, celle qui dépasse ce procès, c’est : comment fait-on pour juguler ce genre de déferlement quand il concerne des milliers de personnes ? Parce que les sept prévenus du jour, ce ne sont que la partie visible de l’iceberg. Derrière, il y en a des centaines, peut-être des milliers d’autres qui n’ont jamais été inquiétés.
Les plateformes disent travailler sur des outils de modération plus efficaces. La justice française a créé des unités spécialisées. Mais on sent bien que pour l’instant, on court derrière un phénomène qui nous dépasse largement.
Et nous, dans tout ça ?
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est à quel point elle nous renvoie à notre propre comportement en ligne. Qui n’a jamais écrit un commentaire un peu trop vif sous le coup de l’émotion ? Qui n’a jamais liké ou partagé quelque chose sans vraiment réfléchir aux conséquences ?
La frontière entre « exprimer sa colère » et « participer à un lynchage numérique », elle est parfois plus fine qu’on ne le croit.
Cette affaire, ce n’est pas juste l’histoire d’une influenceuse qui a « mal choisi ses mots ». C’est l’histoire d’un emballement collectif qui montre à quel point les réseaux sociaux peuvent transformer n’importe qui en bourreau. Et à quel point il devient urgent de réapprendre à penser avant de cliquer sur « envoyer ».
Parce que derrière chaque message haineux, il y a un être humain qui le reçoit. Et parfois, les mots tuent. Pas toujours physiquement. Mais psychologiquement, c’est déjà bien assez.
Au moment où j’écris ces lignes, le délibéré n’est pas encore connu. Mais quelque chose me dit que cette affaire fera date. Pas parce qu’elle concerne une personnalité connue. Mais parce qu’elle pose, de façon brutale, la question de savoir jusqu’où on accepte que la haine devienne la norme sur internet.
Et vous, vous en pensez quoi ? Est-ce que le « choc émotionnel » peut excuser des menaces de mort ? Ou est-ce qu’on a juste trouvé une nouvelle façon de justifier l’injustifiable ?
