Imaginez la scène : une femme, le visage fermé, franchit la porte d’un commissariat. Elle tremble encore. À ses côtés, un enfant de quatre ou cinq ans serre fort sa main. Il a tout vu, ou presque. Et maintenant, il va devoir attendre des heures pendant que sa maman raconte l’innommable. Qui va lui expliquer ? Qui va le protéger de ces images qui tournent en boucle dans sa petite tête ?
En Haute-Garonne, on a décidé que ça ne pouvait plus se passer comme ça.
La Petite brigade mobile : quand un département prend les devants
Depuis le 3 novembre 2025, un dispositif complètement inédit en France tourne à plein régime dans le département : la Petite brigade mobile. Huit professionnels de la petite enfance, éducateurs et éducatrices spécialisés, sont prêts à intervenir n’importe où, n’importe quand, dès qu’une femme victime de violences a besoin de faire des démarches sans exposer son enfant à tout ça.
Commissariat, gendarmerie, hôpital, tribunal… Peu importe le lieu. Une assistante sociale appelle, et en moins de deux heures (parfois beaucoup moins), quelqu’un débarque avec son sac à dos magique rempli de goûters, de crayons, de doudous, de jeux adaptés à tous les âges. L’idée ? Créer immédiatement une bulle de sécurité affective pour l’enfant pendant que sa mère peut enfin parler librement.
« Ce n’est pas juste une baby-sitter d’urgence. C’est un vrai accompagnement qui permet à l’enfant de mettre des mots – ou des dessins – sur ce qu’il vit. »
Une éducatrice membre de la brigade
Comment ça fonctionne concrètement ?
Le système est d’une simplicité désarmante, et c’est peut-être ça qui le rend génial.
- Une femme victime contacte (ou est orientée vers) une Maison des solidarités du département.
- L’assistante sociale évalue la situation et, si besoin, déclenche l’intervention.
- Un membre de la brigade reçoit l’alerte sur son téléphone dédié.
- Il ou elle se rend sur place avec le matériel adapté (les sacs sont pré-préparés pour différents âges).
- Pendant que la maman fait ses démarches, l’enfant reste avec un professionnel formé aux traumas et au développement infantile.
- À la fin, un petit débriefing est proposé et un suivi peut être mis en place si nécessaire.
Le tout est cofinancé par le département et l’État. Et pour les familles, c’est gratuit ou presque : le tarif est calculé selon le quotient familial, comme une crèche classique. Résultat ? Plus de 70 % des familles paient moins d’un euro de l’heure.
Pourquoi c’était urgent d’agir
On a beau répéter les chiffres jusqu’à la nausée, ils font toujours aussi mal : en France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. En Haute-Garonne, trois féminicides ont été recensés rien que pour l’année 2024. Et derrière chaque drame, il y a souvent des enfants qui ont tout vu, tout entendu.
Jusqu’à présent, quand une mère trouvait enfin le courage de porter plainte, elle se retrouvait face à un dilemme terrible : laisser les enfants seuls (impensable) ou les emmener avec elle et risquer de les traumatiser davantage. Beaucoup renonçaient. Certaines repartaient même chez leur bourreau parce qu’elles n’avaient personne pour garder les petits.
Avec la Petite brigade, ce choix cornélien disparaît. La maman peut parler sans filtre, sans craindre que son enfant entende des détails insoutenables. Et l’enfant, lui, est pris en charge par quelqu’un qui sait exactement comment transformer une salle d’attente froide en espace rassurant.
L’association derrière le dispositif : vingt ans d’expérience au service des familles fragiles
Le département n’a pas créé ce service de zéro. Il s’est appuyé sur une association déjà bien rodée qui accompagne depuis 2008 des familles en grande difficulté – hospitalisations, incarcérations, handicaps lourds… Cette structure gère déjà environ 200 enfants par an dans des contextes souvent dramatiques.
Leur force ? Une souplesse à toute épreuve et une capacité à s’adapter à l’instant. Quand le département a lancé son appel d’offres, ils ont tout de suite vu le potentiel. Aujourd’hui, ce sont leurs équipes qui forment le cœur de la Petite brigade mobile.
« On a toujours été là pour les situations que personne d’autre ne veut prendre. Là, on va encore plus loin. »
La directrice de l’association
Un bouclier contre le traumatisme intergénérationnel
Ce qui me frappe le plus dans ce projet, c’est qu’il ne s’arrête pas à l’urgence du moment. Il vise à casser la transmission du trauma. Parce qu’un enfant qui voit son père frapper sa mère (ou l’inverse, même si c’est plus rare) en garde des traces indélébiles. Sans intervention, il y a un risque réel qu’il reproduise ou subisse le même schéma plus tard.
En offrant un espace sécurisé où l’enfant peut dessiner, jouer, parler (ou se taire, c’est son droit), les éducateurs posent les premières pierres d’une reconstruction. Un dessin tout simple – une maison avec un grand soleil alors qu’il pleut dehors – peut en dire long. Et c’est souvent là que le travail commence vraiment.
Et ailleurs en France ?
Pour l’instant, rien de comparable n’existe. Quelques villes proposent des solutions ponctuelles, mais jamais avec cette ampleur territoriale (tout le département) ni cette réactivité. La Haute-Garonne fait figure de pionnière, et ça n’a rien d’étonnant quand on connaît l’engagement du président du conseil départemental sur l’égalité femmes-hommes.
D’autres départements regardent déjà le modèle avec intérêt. Parce que, soyons honnêtes, si ça marche ici, pourquoi pas ailleurs ? Le coût n’est pas exorbitant, la logistique est maîtrisée, et les bénéfices humains sont immenses.
Les autres mesures qui complètent le tableau
La Petite brigade ne sort pas du vide. Elle s’inscrit dans une politique globale ambitieuse :
- 400 « bons taxi » distribués en un an et demi pour permettre aux femmes de fuir en urgence.
- Le dispositif national « Demandez Angela » déployé dans toutes les Maisons des solidarités pour offrir un refuge discret.
- Une Maison des femmes qui ne désemplit pas.
- Des formations renforcées pour les forces de l’ordre et le personnel médical.
Toutes ces briques forment un maillage qui commence à ressembler à une vraie prise en charge globale. Enfin.
Ce que j’espère pour l’avenir
Franchement, j’espère que ce genre d’initiative va essaimer partout. Parce que protéger une femme violentée, c’est bien. Protéger ses enfants en même temps, c’est mieux. Et leur offrir un avenir où la violence ne sera plus une fatalité, c’est indispensable.
La Petite brigade mobile, ce n’est pas qu’un service. C’est un signal fort : on ne vous laissera plus seules, ni vous, ni vos enfants. Et ça, ça change tout.
Si vous ou une personne de votre entourage est concernée, n’hésitez pas à contacter la Maison des solidarités la plus proche. Un simple appel peut tout changer.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Connaissez-vous d’autres initiatives similaires près de chez vous ? Les commentaires sont ouverts.
