Il y a des matins où l’on préférerait rester au lit. Mercredi, vers 8 h 30, un gardien d’immeuble qui faisait sa tournée habituelle dans une voie privée de la rue Roger Salengro, à Drancy, est tombé nez à nez avec une scène qui glace le sang : un homme gisant au sol, inerte, le corps marqué de plusieurs impacts de balles. Quatre, précisément. Au cou et au thorax. Impossible de se tromper : c’était un homicide.
Un exécution froide en pleine ville
Ce qui frappe d’entrée, c’est la banalité du lieu. Pas un terrain vague isolé, pas une cité réputée incandescente, juste une petite rue résidentielle avec ses immeubles des années 70, ses voitures garées en épi et ses containers à poubelle. Le genre d’endroit où l’on passe tous les jours sans y prêter attention. Et pourtant, dans la nuit de mardi à mercredi, quelqu’un a choisi cet endroit pour régler ses comptes. Quatre coups de feu, probablement tirés à bout portant, et puis plus rien. Le ou les tueurs ont pris le temps de traîner le corps jusqu’à la chaussée avant de disparaître dans l’obscurité.
Le légiste, arrivé rapidement sur place, a été formel : la victime était déjà morte depuis plusieurs heures. Le crime n’a donc pas eu lieu au petit matin, mais bien au cœur de la nuit. Ce qui pose une question dérangeante : personne n’a rien entendu ? Quatre détonations, même étouffées par un silencieux, ça fait du bruit. Les riverains dormaient profondément, ou alors… on commence à s’habituer à ce genre de choses ?
La brigade criminelle saisie : signe que l’affaire est prise très au sérieux
L’enquête a immédiatement été confiée à la prestigieuse brigade criminelle du 36, rue du Bastion à Paris. Quand la « crim’ » entre en scène dès les premières heures, c’est rarement pour un règlement de compte anodin entre petits voyous de quartier. On parle ici d’une exécution méthodique, presque professionnelle. Les enquêteurs passent actuellement la zone au peigne fin : vidéosurveillance (même si, comme souvent en banlieue, les caméras sont rares ou hors-service), relevés d’empreintes, douilles, traces de pneus, témoignages… Tout y passe.
Pour l’instant, l’identité de la victime n’a pas été officiellement communiquée. On sait seulement qu’il s’agit d’un homme, probablement jeune ou d’âge mûr. Était-il connu des services de police ? Avait-il un casier ? Appartenait-il à un réseau ? Les réponses arriveront sans doute dans les prochains jours, mais chacun sent déjà que cette affaire ne va pas rester dans la case « simple fait divers ».
Drancy, ville calme… ou terrain de plus en plus miné ?
Quand on parle de Drancy, on pense d’abord à son histoire douloureuse – le camp de transit pendant la Seconde Guerre mondiale – ou à sa proximité avec l’aéroport du Bourget. Rarement à une ville gangrenée par la grande criminalité. Et pourtant, ces dernières années, les signaux se multiplient. Règlements de comptes liés au trafic de stupéfiants, fusillades en plein jour, guet-apens… La Seine-Saint-Denis reste le département le plus touché par les homicides liés au narcobanditisme en France métropolitaine.
Je me souviens encore de cette soirée d’il y a quelques années où une simple dispute pour un téléphone portable avait dégénéré en meurtre à l’arme blanche, toujours à Drancy. Ou de cette autre affaire, plus récente, où un garagiste exploitait un travailleur clandestin dans des conditions indignes. La ville n’est pas un coupe-gorge permanent, loin de là, mais certains quartiers deviennent des zones de non-droit la nuit venue.
« À chaque fois qu’on croit que ça s’est calmé, un nouveau coup d’éclat nous rappelle que le trafic n’a pas disparu, il s’est juste professionnalisé. »
Un policier expérimenté de Seine-Saint-Denis
Quatre balles : une signature ?
Quatre impacts, c’est beaucoup. Ce n’est pas une rafale paniquée, c’est une volonté claire de ne laisser aucune chance. Dans le jargon policier, on parle parfois de « contrat » ou de « message ». Tuer quelqu’un puis abandonner le corps en pleine rue, c’est aussi une façon de marquer son territoire, de montrer qu’on agit en toute impunité. C’est terrifiant, parce que ça veut dire que les auteurs se sentent intouchables.
Est-ce lié au trafic de drogue ? À un conflit entre clans ? À une dette non remboursée ? Toutes les pistes sont ouvertes. Ce qui est certain, c’est que ce genre d’exécution ne sort pas de nulle part. Il y a toujours une histoire derrière, souvent longue et complexe.
L’insécurité, un sentiment qui grandit
Ce qui me frappe le plus, c’est la réaction (ou plutôt l’absence de réaction) des habitants. Beaucoup refusent de parler aux journalistes, par peur des représailles. D’autres minimisent : « Ça arrive, c’est la vie de quartier. » Mais au fond, tout le monde sait que la situation se dégrade. Les fusillades se rapprochent des zones résidentielles, les enfants grandissent avec le bruit des sirènes de police comme berceuse.
- Augmentation de 30 % des homicides liés au narcobanditisme en Île-de-France ces cinq dernières années
- Des armes de guerre circulant librement (Kalachnikov, pistolets-mitrailleurs)
- Des jeunes de plus en plus jeunes impliqués, parfois mineurs
- Une impunité perçue qui encourage les passages à l’acte
Ces chiffres font froid dans le dos. Et derrière chaque statistique, il y a un visage, une famille détruite, un quartier qui se replie sur lui-même.
Et maintenant ?
L’enquête ne fait que commencer. Les enquêteurs de la crim’ ont l’habitude de ce genre de dossiers, mais ils savent aussi que le temps joue contre eux. Plus les heures passent, plus les témoins se taisent, plus les preuves disparaissent. Dans ce genre d’affaires, on compte souvent sur un détail technique (une caméra qui fonctionne, une douille avec une empreinte, un téléphone qui borne au mauvais endroit) ou sur une erreur des tueurs.
Mais au-delà de l’enquête, il y a une question de société. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi certaines villes de banlieue sont-elles devenues des zones où la loi du plus fort semble primer ? La réponse est multiple : chômage, désœuvrement, trafic ultra-rentable, État parfois absent… Tout cela forme un cocktail explosif.
Ce drame de Drancy n’est malheureusement qu’un épisode de plus dans une série qui semble sans fin. Et tant que l’on continuera à traiter ces affaires comme de simples « faits divers », sans s’attaquer aux racines du problème, d’autres corps seront abandonnés dans d’autres rues, d’autres matins.
En attendant, la rue Roger Salengro tente de reprendre son souffle. Les scellés sont posés, les journalistes repartent, la vie reprend… jusqu’à la prochaine fois.
