Parfois, le vélo ne sert plus à gagner des courses. Il sert à ne pas tomber.
Dimanche matin, sur le front de mer de Calais, une centaine de personnes se sont retrouvées autour d’un simple rond-point près de la citadelle. Pas de dossards numérotés, pas de chronos, juste des vélos, des larmes contenues et une envie furieuse de pédaler ensemble. Ils étaient là pour Cindy Morvan, 39 ans, ancienne championne de France cadette sur piste, maman de deux garçons, abattue chez elle le 31 octobre dernier.
Un hommage qui roule, parce que le silence fait trop mal
L’idée est venue de ses fils. Le grand, 17 ans, et le petit, 7 ans. Treize kilomètres, comme un symbole – ou simplement la boucle la plus simple à tracer depuis la citadelle. Treize kilomètres pour dire merci, pour dire qu’on n’oublie pas, pour dire qu’on est insupportable ce qui est arrivé.
Je n’étais pas sur place, mais ceux qui y étaient m’ont raconté la même chose : on sentait sa présence partout. Dans le rire d’un gamin qui répétait une de ses expressions favorites, dans le souffle court d’un adulte qui se rappelait ses entraînements costauds, dans le vent iodé qui fouettait les joues comme elle aimait le faire sur les routes du Nord.
« C’est elle qui m’a appris à me faire mal à la gueule, comme elle disait souvent. »
Alan, son neveu de 26 ans
Et ça résume assez bien Cindy. Une fille qui rigolait fort, qui poussait les autres à se dépasser, qui savait transformer une sortie club en fête improvisée. Une femme pleine de vie, comme tout le monde le répétait dimanche.
Une ambassadrice du vélo au féminin
Cindy n’était pas seulement une ancienne championne. Elle était devenue ces dernières années l’une des figures les plus actives du cyclisme féminin dans les Hauts-de-France. Ambassadrice de la Fédération, elle sillonnait les clubs pour convaincre les filles que oui, le vélo de compétition, c’était aussi pour elles.
Elle entraînait les gamins, les ados, les adultes. Peu importe l’âge ou le niveau, elle trouvait toujours le mot juste. « Allez, on se fait mal mais on sourit quand même », lançait-elle en riant. Beaucoup de ceux qui pédalaient dimanche lui devaient leur première licence.
- Elle organisait des stages 100 % féminins
- Elle animait des journées « Découverte vélo » pour les collèges
- Elle accompagnait les jeunes jusqu’aux championnats régionaux
- Elle n’hésitait pas à prêter son propre vélo à celle qui n’en avait pas les moyens
En parallèle, elle bossait à la communauté de communes de la région d’Audruicq. Une collègue présente dimanche pleurait encore en racontant comment Cindy arrivait toujours avec le sourire, même les jours où tout allait de travers.
Ce que l’on sait du drame
Attention : les lignes qui suivent évoquent un féminicide.
Le 31 octobre, Cindy a été tuée par balles à son domicile. L’auteure présumée est la nouvelle compagne de son ex-conjoint. Cette dernière s’est ensuite donné la mort, laissant une lettre dans laquelle elle reconnaissait les faits. L’enquête est toujours en cours pour assassinat et complicité d’assassinat, mais aucune mise en examen n’a encore eu lieu à ce jour.
Je ne vais pas m’étendre sur les détails sordides. Ils sont déjà assez insupportables comme ça. Ce qui frappe, c’est la banalité terrifiante du scénario : une séparation, une nouvelle relation, une jalousie maladive, et puis l’irréparable.
Ce genre d’histoire, on en lit malheureusement trop souvent. Mais quand ça touche quelqu’un qu’on croise sur les routes, quelqu’un qui vous a appris à tenir en danseuse à 8 ans, ça devient insoutenable.
Cinq autres hommages à travers la France
L’initiative de Calais n’était pas isolée. Cinq autres sorties à vélo ont eu lieu le même jour, organisées par d’autres ambassadrices de la Fédération dans différentes régions. Preuve que le choc a dépassé très largement le Pas-de-Calais.
À chaque fois le même rituel : un départ groupé, un tour en silence ou en musique, un arrêt pour une minute d’applaudissements, et puis des embrassades interminables. Le vélo a cette force-là : il rassemble sans avoir besoin de grands discours.
Et maintenant ?
La question que tout le monde se pose, même si personne n’ose vraiment la formuler : comment on continue après ça ?
Les clubs du coin parlent déjà de créer une bourse « Cindy Morvan » pour aider les jeunes filles à s’équiper. D’autres veulent organiser un challenge annuel portant son nom. Certains proposent simplement de continuer à faire vivre ce qu’elle aimait par-dessus tout : voir des gamines prendre confiance en elles sur un vélo.
Parce que c’est peut-être là le plus bel hommage. Ne pas laisser la violence gagner. Continuer à pédaler, à rire fort, à pousser les autres à se dépasser. Continuer à vivre, tout simplement.
« C’était quelqu’un plein de vie, qui nous faisait rire, qui avait la pêche, qui nous remontait le moral et était toujours prête à faire la fête. »
Corinne, sa collègue de travail
Dimanche, sous le ciel gris du Nord, ils ont roulé pour elle. Et quelque part, j’aime à penser qu’elle était là, sur son vélo blanc préféré, à crier « Allez les gars, on relâche pas ! » avec son grand sourire.
Repose en paix, Cindy. Et merci pour tout ce que tu as semé. Les routes seront toujours un peu les tiennes.
(Article rédigé avec le cœur, en mémoire de toutes les femmes que l’on n’aurait jamais dû perdre.)
