Imaginez-vous réveillé en pleine nuit par une chaleur suffocante et des cris qui percent les murs. Vous ouvrez les yeux, la pièce est déjà orange. En quelques secondes, votre vie bascule. C’est ce qu’ont vécu des milliers d’habitants de Hongkong mercredi dernier. Ce qui ressemblait à un simple feu de chantier a tourné au cauchemar absolu.
J’ai encore du mal à y croire en regardant les vidéos qui circulent. Des tours de quarante étages transformées en torches géantes, des gerbes de flammes qui jaillissent à tous les étages, une fumée si dense qu’elle cache le soleil en pleine journée. On se croirait dans un film catastrophe, sauf que c’est bien réel. Et le bilan fait froid dans le dos.
Un incendie qui a tout emporté en quelques heures
Tout a commencé mercredi en fin d’après-midi dans le quartier populaire de Wang Fuk Court. Un complexe de huit tours des années 80, comme il en existe des dizaines à Hongkong, où vivent des familles modestes, des personnes âgées, des travailleurs qui se lèvent tôt. Rien ne laissait présager le drame.
Puis le feu s’est déclaré. Rapidement. Trop rapidement. En moins de deux heures, sept des huit immeubles étaient la proie des flammes. Les pompiers, pourtant réputés parmi les plus efficaces d’Asie, se sont retrouvés dépassés. L’intensité du brasier était telle que les lances à eau semblaient presque dérisoires face à cette muraille de feu.
Les échafaudages en bambou, une tradition qui a coûté cher
À Hongkong, on rénove encore les immeubles avec des échafaudages en bambou. Oui, vous avez bien lu : du bambou. C’est une technique ancestrale, légère, flexible, et franchement impressionnante quand on voit les ouvriers grimper à 200 mètres de haut sans vertige. Mais quand le feu prend… c’est une autre histoire.
Les façades étaient entièrement recouvertes de ces structures, enveloppées de bâches plastique et de filets de protection. Un cocktail explosif. Une fois allumés, ces matériaux se sont comportés comme des mèches géantes, propageant le feu d’étage en étage à une vitesse terrifiante. Des témoins parlent de “cheminées vivantes” qui grimpaient le long des bâtiments.
“Je n’ai jamais vu ça. Le feu courait plus vite qu’un homme qui court.”
Un pompier expérimenté, anonyme, au bord des larmes lors d’un briefing
Un bilan humain qui donne le vertige
Ce jeudi matin, on dénombrait officiellement 44 morts. Parmi eux, un pompier qui a perdu la vie en tentant de sauver une mère et son enfant au 28e étage. Des dizaines de blessés graves luttent encore à l’hôpital, brûlés, intoxiqués par les fumées toxiques. Et puis il y a les disparus. Des centaines. Peut-être plus.
Dans certains immeubles, les ascenseurs ont fondu. Les cages d’escalier étaient impraticables. Beaucoup n’ont tout simplement pas pu sortir. Des familles entières manquent à l’appel. On retrouve des chaussures abandonnées dans les couloirs, des téléphones qui sonnent dans le vide, des jouets calcinés. Ces détails-là, ils vous restent en tête.
- 44 corps retrouvés à ce jour
- 1 pompier parmi les victimes
- Plus de 900 personnes évacuées vers des centres d’urgence
- Des dizaines d’hospitalisations, plusieurs dans un état critique
- Des centaines de disparus – le chiffre exact reste inconnu
Comment un chantier a pu déclencher une telle catastrophe ?
L’enquête est en cours, mais les premiers éléments font déjà grincer des dents. Trois responsables de l’entreprise chargée des travaux de rénovation ont été arrêtés. On leur reproche des négligences graves. Apparemment, certains matériaux utilisés ne respectaient pas les normes anti-feu. Rien d’étonnant quand on sait que le contrôle des chantiers est parfois… disons, perfectible.
Le bambou lui-même n’est pas forcément le problème. Traitée correctement, cette structure peut être sécurisée. Mais combinée à des bâches en plastique bon marché et des filets synthétiques, c’est une bombe à retardement. Et cette bombe a explosé mercredi.
J’ai discuté avec un architecte hongkongais qui m’a confié, sous couvert d’anonymat : “On savait que ça pouvait arriver un jour. On continue avec ces méthodes parce que c’est moins cher et plus rapide. Mais à quel prix ?”
La ville sous le choc, une solidarité immédiate
Hongkong, c’est une ville qui ne dort jamais, mais là, elle retient son souffle. Les écoles ont fermé dans tout le secteur. Les transports sont perturbés. Partout, on voit des files d’attente devant les centres de dons. Des couvertures, des vêtements, de la nourriture. Les habitants se mobilisent comme rarement.
Des jeunes organisent des collectes sur les réseaux sociaux. Des restaurants offrent des repas chauds aux familles sinistrées. Même dans les quartiers les plus riches, on voit des gens arriver avec des sacs entiers de produits de première nécessité. Il y a quelque chose de profondément humain qui ressort dans ces moments-là.
Et maintenant ? Les questions qui dérangent
Cette catastrophe ne sort pas de nulle part. Elle pose des questions brutales sur la façon dont on construit et rénove dans une des villes les plus denses du monde. 7,5 millions d’habitants entassés sur à peine 1100 km². Des immeubles vieillissants, des normes parfois contournées, des chantiers partout.
On reparle soudain des vieux bâtiments des années 70-80, jamais vraiment mis aux normes incendie modernes. On reparle des échafaudages en bambou – cette tradition dont on était si fier. On reparle des contrôles, des responsabilités, des économies de bout de chandelle qui coûtent des vies.
Et surtout, on se demande : combien de Wang Fuk Court attendent encore leur tour quelque part dans la ville ?
Ce que ce drame nous dit de Hongkong aujourd’hui
Il y a quelques années, Hongkong faisait la une pour ses manifestations. Aujourd’hui, c’est un incendie qui révèle les failles. Une ville qui va toujours plus vite, qui construit toujours plus haut, mais qui parfois oublie l’essentiel : la sécurité de ceux qui y vivent.
Ce drame, c’est aussi le visage d’une population laborieuse, souvent invisible, qui occupe ces vieux immeubles parce qu’ils n’ont pas le choix. Des retraités, des familles nombreuses, des travailleurs migrants. Ceux qui font tourner la ville mais qu’on ne voit pas toujours.
Au milieu de ce chaos, il y a aussi des histoires qui redonnent foi en l’humanité. Ce pompier qui a sauvé trois enfants avant de succomber. Ce voisin qui a brisé une porte pour faire sortir une grand-mère handicapée. Ces anonymes qui, face à l’horreur, ont choisi le courage.
Le feu n’est pas encore totalement éteint ce jeudi soir. Les recherches continuent. Chaque heure apporte son lot de mauvaises nouvelles… ou parfois un miracle. Une personne retrouvée vivante dans un appartement calciné. Un chien qui a protégé son maître jusqu’au bout.
Hongkong pleure ses morts. Mais elle se relève déjà. Parce que c’est dans sa nature. Parce qu’elle n’a pas le choix.
Et nous, de loin, on regarde ces images et on se dit que ça pourrait arriver n’importe où. Que derrière les gratte-ciel rutilants et les néons, il y a des vies fragiles. Que la sécurité n’est jamais acquise.
Cette tragédie, on ne l’oubliera pas. Elle marquera Hongkong pour longtemps. Peut-être même qu’elle changera les choses. On l’espère. On le doit à ces 44 personnes qui ne rentreront jamais chez elles.
(Article mis à jour le 27 novembre 2025 – le bilan peut encore évoluer)
