Il est un peu plus de 22 h 30 ce lundi 24 novembre 2025. Comme souvent dans le nord de Paris, le boulevard Ornano bruisse encore du va-et-vient des bus, des livreurs à scooter et des passants qui rentrent chez eux. Et puis, d’un seul coup, tout bascule.
Une odeur âcre envahit l’air. Des cris retentissent. Au coin de la rue du Simplon, un immeuble de six étages commence à cracher une fumée noire et épaisse qui grimpe jusqu’au toit. En quelques minutes à peine, le rez-de-chaussée est la proie des flammes. Ce qui aurait pu n’être qu’un petit sinistre domestique se transforme en cauchemar collectif.
Un feu qui a tout changé en quelques minutes
L’incendie démarre au rez-de-chaussée, probablement dans une partie commune ou un local technique – les enquêteurs le diront plus tard. Mais ce qui marque surtout les témoins, c’est la vitesse à laquelle la fumée envahit les étages. Un phénomène classique dans les vieux immeubles parisiens : les cages d’escalier font office de cheminée et aspirent la fumée vers le haut à une vitesse effrayante.
Résultat ? Des dizaines d’habitants se retrouvent piégés chez eux. Impossible de descendre. Les portes donnent sur des paliers déjà noirs de fumée. Certains ouvrent leurs fenêtres pour crier à l’aide, d’autres tentent de se protéger avec des serviettes humides. La panique est totale.
Les pompiers face à une situation extrême
Quand les premières équipes arrivent, vers 22 h 45, la scène est impressionnante. Plus de quatre-vingts pompiers sont rapidement engagés, une dizaine de fourgons, plusieurs grandes échelles. Le boulevard Ornano est fermé dans les deux sens, les rues adjacentes aussi. Les gyrophares bleus illuminent les façades comme un décor de film catastrophe.
La priorité absolue : sortir les gens le plus vite possible. Les échelles sont déployées jusqu’aux cinquième et sixième étages. On voit des pompiers grimper avec une rapidité incroyable, casser des vitres quand il le faut, faire descendre des enfants dans leurs bras, des personnes âgées terrifiées. Des images qui font froid dans le dos.
« On a vu des scènes qu’on n’oublie pas. Des gens qui pleuraient aux fenêtres, d’autres qui toussaient à en vomir. On a fait au plus vite, mais chaque seconde comptait. »
Un sapeur-pompier présent sur place
Deux vies entre parenthèses
Parmi les victimes, deux sont dans un état critique. L’une d’elles a dû être réanimée sur le trottoir, le cœur arrêté plusieurs minutes. Intubation sur place, massage cardiaque, tout l’arsenal. Les deux blessés graves ont été transportés en urgence absolue vers des hôpitaux parisiens spécialisés dans les grands brûlés et les intoxications sévères.
Quinze autres personnes sont plus légèrement touchées, mais quand on parle d’intoxication à la fumée, « léger » reste relatif. Poumons irrités, maux de tête violents, nausées… Certains resteront plusieurs jours sous surveillance.
Un bar transformé en hôpital de campagne
Faute de place dans les ambulances, les secouristes improvisent un poste médical avancé dans le bar La Goulette, juste en face de l’immeuble. Tables poussées, bouteilles rangées en vitesse, les victimes s’allongent sur les banquettes ou restent assises, masque à oxygène sur le visage. Une scène surréaliste : dehors les camions, dedans des gens choqués qui respirent grâce à des bouteilles vertes.
Les habitués du bar, eux, aident comme ils peuvent. Certains apportent des couvertures, d’autres servent de l’eau. Une solidarité spontanée comme Paris sait en produire dans ces moments-là.
Pourquoi la fumée a-t-elle été si meurtrière ?
Dans les incendies domestiques, on le répète assez peu, mais ce n’est presque jamais le feu qui tue en premier. C’est la fumée. Quelques inspirations dans un nuage toxique et c’est l’inconscience en moins d’une minute. Dans cet immeuble, les matériaux anciens, les moquettes, les peintures, tout a brûlé en dégageant des gaz mortels.
- Monoxyde de carbone : bloque l’oxygène dans le sang
- Cyanure : issu de la combustion de certains plastiques
- Particules fines : irritent et enflamment les voies respiratoires
Et dans une cage d’escalier étroite, pas d’extraction, pas de compartimentage efficace… la fumée monte à la vitesse d’un ascenseur.
Un quartier sous le choc
Le secteur de la porte de Clignancourt, c’est un Paris populaire, vivant, parfois difficile. Beaucoup d’immeubles anciens, souvent sur-occupés, avec des installations électriques vieillissantes. Ce n’est pas la première fois qu’un incendie grave frappe le 18e ces dernières années. Et à chaque fois, les mêmes questions reviennent.
J’ai discuté avec quelques habitants le lendemain matin. Beaucoup n’ont pas dormi. Certains ont tout perdu : papiers, vêtements, souvenirs. La mairie d’arrondissement a ouvert une salle pour les reloger temporairement, mais on sent la fatigue et la colère.
« On nous parle tout le temps de rénovation, mais on voit jamais rien venir. Et un jour, ça pète. »
Une riveraine, encore en pyjama à 10 h du matin
Que va-t-il se passer maintenant ?
L’enquête est en cours. Les experts incendie vont passer l’immeuble au peigne fin pour déterminer l’origine exacte du sinistre. Électrique ? Gaz ? Acte malveillant ? Trop tôt pour le dire. L’immeuble, lui, est pour l’instant inhabitable. Les locataires et propriétaires vont devoir trouver des solutions, parfois pendant des mois.
Et comme souvent après ce genre de drame, on va reparler de la sécurité incendie dans l’habitat ancien. Des détecteurs de fumée obligatoires (mais pas toujours installés), des portes coupe-feu qui ferment mal, des gaines mal entretenues… La liste est longue.
Ce qui reste, au-delà des chiffres et des procédures, ce sont des visages. Celui de cette mamie évacuée en larmes au 4e étage. Celui de ce jeune papa qui a porté son bébé dans les bras le long de l’échelle. Et ceux de ces deux personnes qui luttent encore à l’hôpital.
Paris, la ville lumière, a parfois des nuits très sombres. Hier soir, le boulevard Ornano en a fait la cruelle expérience. Espérons que les leçons seront tirées, vite et bien. Parce que personne ne devrait avoir à vivre ça.
