Imaginez-vous enchaîné six ans dans la jungle, mordu par les insectes, oublié du monde. Et puis, un jour, vous devenez le symbole mondial d’une lutte. C’est exactement ce qui est arrivé à Ingrid Betancourt. Libérée en 2008, elle aurait pu choisir la tranquillité, les conférences bien payées, la vie loin des caméras. Elle a choisi autre chose : revenir, encore et encore, dans l’arène politique colombienne. Et cette fois, elle frappe fort.
Un retour qui ne passe pas inaperçu
Le 20 novembre 2025, elle a officiellement lancé sa campagne pour les législatives de mars 2026. Pas toute seule dans son coin, non. Elle présente une liste pour le Sénat sous la bannière de son parti Oxígeno, et cette liste a de quoi faire parler : elle réunit plusieurs anciennes victimes des Farc. Un ancien policier qui a partagé sa captivité, une femme recrutée enfant-soldat… Des gens qui, comme elle, portent encore les cicatrices d’un demi-siècle de guerre.
Elle-même occupe la dixième place. Stratégique ? Sans doute. En Colombie, les listes sont ouvertes : les électeurs votent pour un parti mais peuvent aussi cocher un nom précis. Être en dixième position, c’est dire : « Je suis là, mais ce n’est pas que moi. C’est nous tous. »
« Les Colombiens unis, nous sommes capables de vaincre Petro et ses complices. Le 8 mars sera la défaite anticipée de Petro. Le message est clair : #SelecciónAntiPetro »
– Ingrid Betancourt, novembre 2025
Pourquoi maintenant ?
Beaucoup se posent la question. Après l’échec de 2022 – elle avait retiré sa candidature présidentielle pour soutenir Rodolfo Hernández –, certains pensaient qu’elle tournerait la page. Raté. À 63 ans, elle semble plus déterminée que jamais.
Le contexte y est pour beaucoup. Gustavo Petro, premier président de gauche de l’histoire du pays, termine son mandat dans une impopularité record. Les réformes qu’il voulait « totales » patinent, la sécurité se dégrade dans certaines régions, et surtout : l’accord de paix de 2016 avec les Farc continue de diviser profondément les Colombiens.
Justement, en septembre 2025, la Juridiction spéciale pour la paix a reconnu les ex-chefs des Farc coupables de plus de 21 000 enlèvements. Mais au lieu de prison ferme, ils écopent de peines alternatives : recherche de disparus, déminage, bracelet électronique. Pour beaucoup de victimes, c’est une claque. Ingrid Betancourt l’a dit sans détour : elle s’est sentie « indignée, humiliée, flouée ».
Une liste qui raconte une histoire
Regardez les noms qui l’accompagnent :
- John Frank Pinchao, ex-policier, s’est évadé après huit ans de captivité en 2007. Il marchait pieds nus dans la jungle pendant 17 jours. Aujourd’hui, il veut siéger au Sénat.
- Deysi Guanaro, recrutée à 13 ans par les Farc, forcée à porter l’uniforme et l’arme bien trop lourde pour ses bras d’enfant.
- D’autres encore, moins médiatisés, mais dont les histoires font mal au ventre.
Cette liste n’est pas seulement électorale. C’est un acte de mémoire vivante. Une façon de dire : « Nous avons survécu, nous avons pardonné ou non, mais nous refusons qu’on nous fasse taire une seconde fois. »
Oxígeno, le parti qui veut respirer
Créé en 2018, Oxígeno Verde (devenu simplement Oxígeno) se voulait au départ un mouvement écologiste et centriste. Aujourd’hui, il se positionne clairement dans l’opposition à Petro. Pas extrême droite, attention. Ingrid Betancourt a toujours fui les étiquettes trop marquées. Mais elle tape là où ça fait mal : corruption, clientélisme, et surtout ce qu’elle appelle la « culture mafieuse » qui gangrène le pays depuis des décennies.
En 2022, elle avait tenté la présidentielle avec un discours de rupture modérée. Résultat : à peine 0,8 % des intentions de vote. Leçon apprise. Cette fois, elle joue collectif. Et elle mise sur l’émotion brute que portent les ex-otages.
Un calendrier politique explosif
Retenez bien les dates :
- Mars 2026 → Législatives (et régionales)
- Mai 2026 → Premier tour de la présidentielle
En clair, les législatives seront un gigantesque sondage grandeur nature avant la bataille pour le palais de Nariño. Si la liste d’Ingrid Betancourt fait un score honorable (disons 3-4 %), elle pourra peser dans les alliances. Si elle dépasse les 5-6 %, elle deviendra incontournable dans le camp anti-pétroiste.
Et là, tout devient possible. Y compris, pourquoi pas, un retour dans la course présidentielle. À 64 ans en 2026, elle aura encore de l’énergie à revendre.
Les défis immenses qui l’attendent
Soyons honnêtes : rien n’est gagné.
La Colombie reste un pays où les machines politiques traditionnelles (libéraux, conservateurs, Centro Democrático d’Uribe) écrasent les petits partis. Oxígeno n’a presque pas de structure locale. L’argent manque. Et puis il y a cette image parfois perçue comme « élitiste » ou « trop européenne » – elle a la double nationalité franco-colombienne, ce qui agace certains nationalistes.
Mais paradoxalement, c’est peut-être sa force. Dans un paysage où tout le monde crie, elle parle calmement, avec cette voix posée qu’on a connue dans les vidéos de preuve de vie dans la jungle. Les gens s’en souviennent. Et beaucoup, même parmi ceux qui ne voteront jamais pour elle, respectent le courage qu’il faut pour revenir après tout ça.
Et nous, qu’est-ce qu’on en pense ?
Personnellement, je trouve ce retour fascinant. Parce qu’il dit quelque chose de profond sur la politique : elle n’est pas seulement affaire de programmes ou de réseaux. Parfois, c’est une histoire de survie. De dignité. De gens qui refusent qu’on écrive la fin à leur place.
Ingrid Betancourt n’est pas naïve. Elle sait que le Sénat colombien n’est pas un lieu pour les cœurs purs. Mais elle y va quand même. Avec ses cicatrices et celles des autres. Et quelque part, dans un pays qui a connu tant de violence, ça fait du bien de voir des victimes transformer leur douleur en projet collectif plutôt qu’en haine.
Alors, mars 2026. Une liste pas comme les autres. Des gens qui ont déjà gagné la première bataille : celle d’être encore debout. Reste à savoir si les Colombiens leur donneront une voix au Congrès.
Moi, je serai scotché aux résultats. Et vous ?
