Il est un peu plus de cinq heures du matin quand les premières sirènes déchirent le silence du quartier Léo-Lagrange à Noisy-le-Sec. Dans la rue encore endormie, les habitants se réveillent en sursaut, certains avec des maux de tête violents, d’autres déjà nauséeux. Ce qu’ils ignorent encore, c’est qu’un tueur invisible s’est répandu dans l’immeuble pendant la nuit. Deux hommes ne se relèveront jamais.
Je vous avoue que quand j’ai appris la nouvelle, j’ai eu un frisson. Pas seulement parce que deux vies ont été fauchées bêtement, mais parce que ce scénario, on l’a tous déjà frôlé sans le savoir. Un groupe électrogène, une cave mal ventilée, une nuit froide… et c’est la catastrophe.
Un drame qui aurait pu être évité
Reprenons depuis le début. Mercredi après-midi, deux ouvriers travaillent dans les caves d’une future épicerie au rez-de-chaussée du 57 rue Léo-Lagrange. Pas d’électricité sur place, classique. Ils installent donc un groupe électrogène pour s’éclairer et faire tourner leurs outils. Ce qu’ils ne savent peut-être pas – ou qu’ils sous-estiment – c’est que ce petit moteur thermique rejette une quantité phénoménale de monoxyde de carbone, ce gaz inodore, incolore, et mortel à forte concentration.
La nuit tombe. Le groupe reste allumé plusieurs heures. Les gaz s’infiltrent dans les gaines, montent par les cages d’escalier, se répandent dans les appartements. Vers 2 heures du matin, un habitant appelle déjà les pompiers pour un malaise. À ce moment-là, rien n’est détecté. Trois heures et quarante minutes plus tard, deuxième alerte. Cette fois, c’est le drame.
Quand les secours descendent dans les sous-sols, ils trouvent les deux ouvriers inanimés. Malgré les tentatives de réanimation, il est trop tard. Le monoxyde de carbone a déjà fait son œuvre.
Un bilan humain lourd
En tout, une cinquantaine de personnes seront évacuées dans la fraîcheur matinale. Certains en pyjama, d’autres avec leur animal dans les bras. Onze habitants présentent des symptômes suffisamment inquiétants pour être transportés en urgence relative. Maux de tête, vertiges, nausées, vomissements… les signes classiques d’une intoxication au CO.
- 2 ouvriers décédés sur place
- 11 personnes hospitalisées (dont une pour examens approfondis)
- 50 habitants évacués par précaution
- 1 immeuble entièrement sécurisé en quelques heures
Heureusement, la situation sera rapidement maîtrisée. Les pompiers aèrent l’immeuble, coupent la source, mesurent les concentrations résiduelles. En fin de matinée, la mairie annonce que tout danger est écarté. Les habitants peuvent rentrer chez eux. Mais pour deux familles, le retour sera impossible.
Pourquoi le monoxyde de carbone est-il si dangereux ?
On l’appelle parfois le tueur silencieux. Et pour cause. Le CO se fixe sur l’hémoglobine du sang 250 fois plus facilement que l’oxygène. Résultat : le cerveau et les organes ne sont plus approvisionnés correctement. En quelques minutes à forte dose, c’est la perte de connaissance. Puis le coma. Puis la mort.
« Le pire, c’est que vous ne sentez rien. Pas d’odeur, pas de fumée visible. Vous vous endormez… et vous ne vous réveillez plus. »
– Un sapeur-pompier expérimenté
Chaque année en France, ce gaz cause environ une centaine de décès. Et des milliers d’intoxications. La majorité des cas ? Des chauffages mal entretenus, des chaudières défectueuses… mais aussi, trop souvent, l’utilisation de groupes électrogènes ou de braseros en intérieur.
Les erreurs qui ont tout fait basculer
Alors oui, on peut parler de fatalité. Mais franchement, quand on gratte un peu, on voit surtout une série d’erreurs qui, mises bout à bout, ont créé la tempête parfaite.
- Un groupe électrogène utilisé dans un espace confiné et mal ventilé
- Aucune extraction des gaz d’échappement vers l’extérieur
- Pas de détecteur de monoxyde de carbone dans les parties communes (obligatoire dans certains cas, mais pas partout)
- Une première intervention à 2h du matin qui n’a pas permis de détecter la source
- Une durée d’exposition prolongée pendant la nuit, moment où tout le monde dort et ne peut réagir
Je ne jette la pierre à personne. Travailler dans une cave sans électricité, c’est compliqué. Mais il existe des solutions : groupes électrogènes avec sortie d’échappement extérieure, ventilation forcée, pauses régulières pour aérer, détecteurs portatifs… Ce n’est pas de la science-fiction.
L’enquête en cours et les responsabilités
Une enquête pour homicide involontaire a été ouverte. Le commissariat local travaille main dans la main avec l’inspection du travail. On va examiner les conditions de travail, les consignes de sécurité, le matériel fourni (ou pas), le respect des normes.
Car oui, utiliser un groupe électrogène thermique en intérieur sans précaution, c’est interdit. Le Code du travail est clair là-dessus. Les employeurs ont une obligation de résultat en matière de sécurité. Et quand ça tourne mal, les conséquences peuvent être lourdes.
Mais au-delà des responsabilités pénales, il y a une question de culture de la sécurité. Trop souvent, sur les petits chantiers, on bricole. On se dit que « ça va aller ». Sauf que parfois, ça n’aller pas du tout.
Comment éviter que ça se reproduise ?
Parce qu’on ne veut plus jamais lire ce genre de titre. Voici ce qu’il faut retenir, que vous soyez particulier ou professionnel :
- Jamais de groupe électrogène, barbecue, brasero ou chauffage d’appoint à combustion en intérieur ou dans un espace mal ventilé.
- Aérez régulièrement les locaux, même en hiver.
- Faites entretenir chaudières, chauffages, VMC par un pro chaque année.
- Installez des détecteurs de monoxyde de carbone (ça coûte 20-30 € et ça peut sauver votre vie).
- En cas de suspicion (maux de tête collectifs, nausées), aérez, sortez, appelez le 15 ou le 18.
Et si vous êtes employeur ou chef de chantier : formez vos équipes. Fournissez le bon matériel. Ne transigez jamais avec la sécurité. Une vie ne vaut pas le gain de quelques heures de travail.
Un quartier sous le choc
À Noisy-le-Sec, le quartier Léo-Lagrange est connu pour être calme, familial. Ce jeudi, l’ambiance était lourde. Des habitants en larmes, des enfants qui ne comprenaient pas pourquoi ils devaient dormir à l’hôtel, des voisins qui se serraient les coudes.
Certains ont confié qu’ils avaient senti une odeur bizarre dans la nuit. D’autres disent qu’ils avaient mal à la tête en se couchant. Des signes qu’on met souvent sur le compte de la fatigue… jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Aujourd’hui, la vie reprend doucement. Mais deux familles pleurent leurs morts. Et toute une ville se pose la même question : et si c’était arrivé chez nous ?
Ce drame nous rappelle une chose essentielle : la sécurité n’est jamais une option. Elle devrait être la première ligne de tous les cahiers des charges, de tous les chantiers, de toutes les habitudes quotidiennes.
Reposez en paix à ces deux ouvriers qui ne rentreraient jamais chez eux. Et prenons tous, dès aujourd’hui, les décisions qui éviteront que leur histoire ne devienne celle de quelqu’un d’autre demain.
