Il y a des nuits où l’on se couche sans se douter que quelques heures plus tard, tout peut basculer. Mercredi 26 novembre, dans un immeuble tout ce qu’il y a de plus ordinaire de Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, des dizaines de familles ont frôlé la catastrophe. Deux hommes y ont laissé la vie. Et le coupable ? Un gaz invisible, inodore, que beaucoup sous-estiment encore : le monoxyde de carbone.
J’ai repensé à ces moments où, moi-même, j’ai senti une légère migraine en rentrant chez moi l’hiver, en me disant « ça va passer ». Sauf que parfois, ça ne passe pas. Et cette fois, ça ne passait pas pour personne dans la résidence Unisson, rue Léo-Lagrange.
Une nuit qui a commencé comme toutes les autres
Vers 22 heures, les premiers signes sont apparus. Des maux de tête violents, des nausées, une fatigue écrasante. Beaucoup ont cru à un simple mal de crâne hivernal. D’autres ont mis ça sur le compte du chauffage collectif qui tourne à fond. Personne n’imaginait que dans le local commercial du rez-de-chaussée, en pleins travaux, un groupe électrogène ronronnait tranquillement… en tuant à petit feu tous ceux qui respiraient son air vicié.
Jeannette, 63 ans, habite au premier étage, juste au-dessus. Elle se souvient parfaitement :
« J’ai eu très mal à la tête, mais je me suis dit que c’était la fatigue. Et puis ma voisine a sonné comme une folle en pleine nuit. Quand j’ai ouvert, je l’ai retrouvée par terre, évanouie… »
Cette scène, beaucoup d’habitants l’ont vécue. Des portes qui s’ouvrent sur des voisins à moitié conscients. Des appels affolés aux pompiers. Et puis l’arrivée massive des secours, les masques à oxygène, les évacuations en urgence dans le froid de novembre.
Le monoxyde de carbone, ce tueur qu’on ne voit pas venir
On le répète pourtant chaque année avec l’arrivée du froid : le monoxyde de carbone tue en silence. En France, on déplore encore plusieurs dizaines de décès par an, et des centaines d’intoxications graves. Et le pire ? La moitié des foyers français ne sont toujours pas équipés de détecteur.
Dans le cas de Noisy-le-Sec, le scénario est malheureusement classique. Un local en travaux, une coupure d’électricité, un groupe électrogène allumé à l’intérieur sans aucune ventilation. Le gaz s’est accumulé, puis infiltré par les gaines, les cages d’escalier, les plafonds mal isolés. En quelques heures, tout l’immeuble de sept étages baignait dans un air mortel.
- Concentration mortellement élevée en moins de deux heures
- Deux ouvriers retrouvés sans vie dans le local
- Plusieurs dizaines d’habitants hospitalisés
- Évacuation totale de l’immeuble jusqu’au petit matin
Ce qui frappe, c’est la rapidité. Le monoxyde de carbone se lie à l’hémoglobine 250 fois plus facilement que l’oxygène. Autrement dit, une fois dans les poumons, il prend toute la place. Maux de tête, vertiges, nausées, perte de connaissance… et dans les cas les plus graves, arrêt cardiaque.
« J’ai vu qu’ils sortaient les corps »
Ces mots, je les ai entendus plusieurs fois en discutant avec les habitants, deux jours après les faits. Un jeune père de famille, encore en choc, me confiait :
« On était tous dehors en pyjama, il faisait un froid de canard. Et puis on a vu les pompiers sortir les deux brancards… avec les housses mortuaires. Là, on a compris que c’était très grave. »
Les deux victimes étaient des ouvriers qui travaillaient tard pour terminer le chantier. Ils n’ont probablement même pas eu le temps de comprendre ce qui leur arrivait. Le groupe électrogène tournait, ils se sont sentis fatigués, se sont assis… et ne se sont jamais relevés.
Ce qui rend cette histoire encore plus poignante, c’est qu’elle aurait pu faire bien plus de morts. Sans l’alerte donnée par les voisins, sans la réactivité des pompiers, on aurait parlé d’une tragédie d’une toute autre ampleur.
Les règles de sécurité qu’on oublie trop souvent
Franchement, combien de fois voit-on encore des groupes électrogènes utilisés dans des garages fermés, des sous-sols, ou même des appartements en cas de coupure de courant ? Combien de chantiers négligent la ventilation quand on fait tourner ce genre d’appareil ? Trop.
Petit rappel, au cas où certains auraient oublié :
- Jamais faire fonctionner un groupe électrogène à l’intérieur (même porte ouverte, c’est insuffisant)
- Ventilation obligatoire et contrôle régulier des appareils à combustion (chaudières, chauffe-eau, poêles)
- Détecteur de monoxyde de carbone : 25 euros qui peuvent sauver une famille entière
- Ramonage des conduits obligatoire une à deux fois par an
On se dit toujours « ça n’arrive qu’aux autres ». Sauf que là, à Noisy-le-Sec, c’était bien réel. Et ça pourrait arriver n’importe où, n’importe quand.
Le traumatisme des habitants, deux jours après
Moins de 48 heures après l’évacuation, beaucoup n’ont pas réintégré leur appartement. L’immeuble est toujours sous surveillance, des analyses d’air sont en cours. Certains dorment chez des proches, d’autres à l’hôtel pris en charge par la mairie.
Une maman que j’ai croisée m’a dit, les yeux rougis :
« Ma fille de 4 ans tousse encore. On a eu de l’oxygène à l’hôpital. Je n’ose même plus allumer le chauffage en rentrant. J’ai peur de tout maintenant. »
Ce genre de drame laisse des traces. Pas seulement physiques. Le sentiment de sécurité chez soi, cette chose qu’on tient pour acquise, a volé en éclats en une seule nuit.
Et maintenant ?
Une enquête est en cours pour déterminer les responsabilités. Le propriétaire du local ? L’entreprise de travaux ? Les normes de sécurité ont-elles été respectées ? Autant de questions qui trouveront leurs réponses dans les prochaines semaines.
Mais au-delà des responsabilités pénales, il y a une leçon collective à tirer. Le monoxyde de carbone ne prévient pas. Il ne sent rien, ne se voit pas, et frappe sans distinction. La seule arme vraiment efficace, c’est la prévention.
Alors oui, cette histoire est tragique. Deux vies perdues bêtement, des familles traumatisées. Mais si elle peut pousser ne serait-ce que quelques personnes à installer un détecteur, à faire ramoner leur chaudière, à ne jamais utiliser un groupe électrogène en intérieur… alors elle n’aura pas été totalement vaine.
Parce qu’en matière de sécurité, il n’y a pas de petite négligence. Il n’y a que des drames qu’on aurait pu éviter.
Prenez soin de vous. Et vérifiez vos installations. Vraiment.
