Il y a des matins où la mode se réveille avec la gueule de bois et d’autres où elle se lève en sursaut, le cœur battant. Le 2 juin 2025 appartient clairement à la seconde catégorie.
Quand la nouvelle est tombée, j’étais en train de boire mon café. J’ai failli le recracher sur mon écran. Jonathan Anderson, ce Nord-Irlandais discret qui a transformé une marque espagnole endormie en machine à rêves, vient d’être nommé directeur artistique des collections femme de la plus française des maisons françaises. Et pas n’importe laquelle : Dior.
Un seul homme pour deux mondes
Depuis la création de la maison en 1946, personne – absolument personne – n’avait jamais dirigé à la fois les lignes homme et femme. Même Christian Dior lui-même, à l’époque, partageait la tâche. Jonathan Anderson entre dans l’histoire comme le premier unificateur. Et franchement, ça donne le vertige.
Il a 40 ans. L’âge exact où les génies commencent à être dangereux.
D’où vient vraiment ce garçon ?
Jonathan Anderson est né en 1984 en Irlande du Nord, dans un coin où on parle plus de foot que de couture. Son père était joueur de rugby professionnel, sa mère prof d’anglais. Rien ne le prédestinait à devenir le roi du cuir et de la silhouette subversive.
Et pourtant. Il débarque à Londres, étudie au London College of Fashion, passe par le marketing chez Prada (oui, déjà le groupe ennemi d’alors), lance sa marque JW Anderson en 2008 avec trois fois rien et une idée fixe : mélanger les genres, tordre les codes, faire du bizarre beau.
En 2013, le géant du luxe espagnol Loewe le recrute. Onze ans plus tard, la marque est passée de « ah oui, les sacs en cuir » à « la maison la plus cool de la planète ». C’est lui qui a fait porter des pulls à paillettes à des acteurs oscarisés, qui a transformé des paniers en osier en sacs à 3000 euros, qui a rendu le cuir souple comme du tissu.
« Jonathan Anderson est l’un des plus grands talents créatifs de sa génération. Son incomparable signature artistique sera un atout essentiel pour écrire le prochain chapitre de l’histoire de la Maison Dior »
Bernard Arnault, PDG du groupe propriétaire de la maison
Quand le grand patron parle comme ça, on écoute. Et on tremble un peu.
Maria Grazia Chiuri : neuf ans et puis s’en va
Il faut le dire : Maria Grazia Chiuri a marqué Dior femme d’une empreinte forte. Le tee-shirt « We Should All Be Feminists », les slogans, la sororité, les broderies engagées… elle a donné une voix politique à la maison. Mais neuf ans, c’est long dans ce métier où tout va trop vite.
Le luxe ralentit, les clientes chinoises achètent moins, les millennials veulent autre chose. Il fallait un choc. Anderson, c’est le choc.
Il arrive en avril pour la ligne homme. Il présentera sa première collection masculine le 27 juin. Et maintenant, il prend aussi la femme. En quelques mois, il a avalé la maison toute crue.
Qu’est-ce que ça change concrètement ?
D’abord, une cohérence totale entre homme et femme. Fini les deux univers qui se regardent en chiens de faïence. On parle d’un même vocabulaire, d’une même obsession du détail, d’une même folie douce.
- Le cuir ultra-souple qu’il a perfectionné pendant dix ans ? Il va l’appliquer à la femme.
- Les volumes architecturaux et joueurs ? Ils vont envahir les tailleurs Bar.
- Les références pop et historiques mélangées sans complexe ? Préparez-vous à du New Look revisité façon 2026.
- Les accessoires qui font le buzz ? Attendez-vous à des sacs qui cassent internet.
On murmure déjà que le prochain défilé femme, en septembre 2025 ou mars 2026 selon le calendrier, risque d’être le plus attendu depuis le premier défilé de Galliano en 1997. Rien que ça.
Et le marché du luxe dans tout ça ?
Soyons honnêtes : 2025 n’est pas l’année la plus joyeuse pour le luxe. Les ventes ralentissent, les stocks s’accumulent, les clientes réfléchissent à deux fois avant de sortir la carte noire. Nommer Anderson, c’est un pari audacieux.
Mais c’est aussi une réponse. Quand tout va mal, on mise sur la créativité pure. Sur le désir. Sur le rêve. Et là, Anderson est imbattable.
Il a prouvé qu’on pouvait faire exploser les ventes (+400 % chez Loewe en dix ans, des chiffres fous) tout en restant fidèle à une vision. Il a fait de stars des ambassadeurs naturels, sans jamais les payer grassement : ils portaient ses vêtements parce qu’ils les aimaient, point.
Ce qu’on peut attendre (ou espérer)
Personne ne sait encore exactement ce qu’il va faire. Anderson est un animal secret. Mais on peut deviner quelques pistes :
- Une réinterprétation très personnelle du New Look, plus fluide, plus gender-fluid.
- Des matériaux nobles utilisés de façon inattendue (cuir froissé, métal souple, plumes industrielles…).
- Des collaborations surprenantes – il adore ça.
- Un retour du tailoring ultra-précis, mais avec cette touche d’étrangeté qui le caractérise.
- Des défilés qui seront des événements culturels autant que mode.
Et surtout, probablement, une Dior plus jeune, plus fun, sans jamais renier son héritage. Le défi est immense.
« Ce serait une sorte de nouveau chapitre, avec l’idée de tisser des liens et d’avoir une plus grande cohérence entre un discours homme et un discours femme »
Un expert du luxe, quelques semaines avant l’annonce officielle
Il avait vu juste.
Les autres mouvements du grand jeu
Parce qu’il n’y a pas que Dior dans la vie. En quelques mois, le paysage de la mode française a été bouleversé :
- Matthieu Blazy chez Chanel (40 ans aussi, l’âge maudit ?).
- Sean McGirr chez McQueen.
- Chemena Kamali chez Chloé.
- Et maintenant Anderson chez Dior.
Une génération entière prend le pouvoir. Des quarantenaires discrets, souvent issus d’écoles anglaises ou belges, qui ont fait leurs armes dans l’ombre et qui arrivent avec des visions radicales mais élégantes.
C’est peut-être la fin d’une ère (les directeurs stars à l’ego démesuré) et le début d’une autre : celle des artisans-visionnaires.
Et nous, dans tout ça ?
On va regarder, les yeux écarquillés. On va commenter, critiquer, adorer ou détester. Mais une chose est sûre : on ne va pas s’ennuyer.
Jonathan Anderson n’est pas là pour faire joli. Il est là pour réécrire les règles. Et quand on voit ce qu’il a déjà fait ailleurs, on se dit que Dior vient peut-être de trouver son prochain âge d’or.
Ou son plus beau chaos.
Dans les deux cas, on signe.
Et vous, vous pariez sur le génie ou sur la chute ? Dites-moi tout en commentaire, je sens que les prochains mois vont être passionnants.
