Vous est-il déjà arrivé de vous promener tranquillement dans une foire, entre les odeurs de friture et les cris des marchands, et de vous retrouver soudain au cœur d’un symbole national ? C’est exactement ce qui s’est passé mardi dernier à Vesoul. Un jeune homme, à peine sorti de l’adolescence, a transformé une visite anodine en moment de tension politique pure. De la farine, un geste vieux comme la contestation, et hop : Jordan Bardella se retrouve blanc comme un clown sous les flashs des smartphones.
Je vais vous raconter ça calmement, parce que derrière l’image presque comique, il y a quelque chose qui gratte. Beaucoup.
Une foire comme les autres… jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus
La Sainte-Catherine de Vesoul, c’est un peu le salon de l’agriculture en version franc-comtoise. Des bêtes, des tracteurs, des pommes de terre géantes et des élus qui viennent serrer des paluches calleuses. Jordan Bardella y était déjà l’an dernier. Il y retourne cette année, costume impeccable, sourire de campagne, livre sous le bras à dédicacer. L’ambiance est bon enfant, on se prend en selfie, on parle prix du lait et souveraineté alimentaire. Bref, la France rurale qu’il aime tant mettre en avant.
Puis arrive le stand d’un syndicat agricole connu pour ses positions tranchées. Et là, paf. Un lycéen – oui, un lycéen – sort un sac de farine et balance le contenu en direction du président du Rassemblement National. Le temps se fige une demi-seconde. Les gens autour hurlent de surprise. Les gardes du corps se précipitent. Et Jordan Bardella ? Il reste étonnamment calme, époussette son costume, continue presque comme si de rien n’était.
Le gamin, lui, est vite maîtrisé. Direction le commissariat. Garde à vue pour « outrage à personne dépositaire de l’autorité publique ». Parce que oui, député européen, ça compte. Et la vidéo tourne déjà en boucle sur les réseaux.
L’enfarinage, ce grand classique français
On pourrait presque en rire. Après tout, se prendre de la farine, c’est presque une tradition chez nous. Souvenez-vous : Bill Gates, Michel Rocard, François Hollande, Bernard-Henri Lévy… La liste est longue. C’est le geste contestataire qui ne fait pas vraiment mal mais qui marque les esprits. Un peu comme une tarte à la crème, mais en version paysanne.
Sauf que là, le contexte change tout.
En 2025, balancer de la farine à un responsable politique n’a plus tout à fait le même goût. On sort d’années où les manifestations agricoles ont parfois dégénéré, où les tensions entre monde rural et pouvoir parisien sont électriques, où la parole des jeunes semble de plus en plus radicale. Et surtout, on est à un peu plus d’un an et demi d’une présidentielle où le RN caracole en tête des sondages.
« La foire de la Sainte-Catherine, à Vesoul, est le symbole de cette France du travail et du terroir qui veut continuer à vivre »
Jordan Bardella, quelques heures avant l’incident
Ironie du sort, non ? Il célèbre la France rurale et c’est précisément là, au milieu des bottes et des fromages de chèvre, qu’on lui rappelle qu’une partie de cette France-là ne l’aime pas forcément.
Un lycéen, pas un militant aguerri
C’est peut-être l’élément le plus troublant. On aurait pu s’attendre à un agriculteur en colère, à un syndicaliste, à quelqu’un qui a des comptes à régler précis. Non. Un lycéen. Un gosse qui pourrait avoir l’âge des enfants de ceux qui votent massivement RN dans les sondages.
Est-ce une blague potache qui a mal tourné ? Une action coordonnée ? Un défi TikTok ? On ne sait pas encore. Ce qu’on sait, c’est que le jeune a été filmé par une amie. Qu’il n’a pas l’air d’un extrémiste chevronné. Et que ça pose une question qui me taraude : à partir de quel moment un ado trouve normal de s’attaquer physiquement – même symboliquement – à un responsable politique ?
Je ne défends pas le geste, attention. Mais je constate. Et ce que je constate me fait un peu froid dans le dos.
Le silence assourdissant de Jordan Bardella
Autre détail qui m’a marqué : la réaction – ou plutôt l’absence de réaction – du principal intéressé. Pas de communiqué rageur, pas de tweet vengeur, rien. Juste des photos de dédicaces et des mercis aux visiteurs. Stratégie de communication bien rodée ? Volonté de ne pas offrir de caisse de résonance à l’incident ? Les deux sans doute.
En même temps, imaginez la scène si Marine Le Pen avait été enfarinée il y a dix ans. Ça aurait fait la une pendant trois jours, avec tribunes indignées et plateaux télé en boucle. Là, on passe presque à autre chose. Est-ce que ça veut dire que ce genre d’incident devient… banal ? C’est ça qui m’inquiète le plus, je crois.
Un climat politique qui s’échauffe doucement
Parce qu’on ne va pas se mentir : on sent bien que ça chauffe. Les agriculteurs bloquent les routes dès qu’on touche à leurs subventions. Les jeunes descendent dans la rue pour le climat, pour Gaza, pour tout et n’importe quoi. Les réseaux sociaux amplifient chaque colère. Et au milieu de tout ça, un parti donné favori pour 2027 continue de labourer le terrain, ville par ville, foire par foire.
- Les sondages placent Jordan Bardella en tête au second tour, quel que soit l’adversaire
- Le RN prépare activement les municipales 2026, y compris dans les grandes villes
- La contestation semble monter d’un cran, même dans les territoires supposés acquis
Alors bien sûr, un enfarinage, ce n’est pas une agression grave. Personne n’est blessé. Mais c’est un symptôme. Comme quand on a 37,2 de fièvre : ce n’est pas encore la grippe, mais ça annonce quelque chose.
Et nous, on regarde ça comment ?
Je me pose la question sincèrement. Est-ce qu’on minimise parce que c’est Jordan Bardella et qu’une partie de l’opinion le déteste cordialement ? Est-ce qu’on aurait réagi pareil si c’était Gabriel Attal ou Marine Tondelier ? Je ne suis pas sûr.
Ce qui est certain, c’est que la violence symbolique appelle souvent la violence tout court. Et qu’on a intérêt, collectivement, à prendre ça au sérieux. Pas en hurlant à l’attentat, non. Mais en se demandant pourquoi un gamin de 17 ans trouve ça normal de faire ça. Et surtout, ce qu’on fait pour que ça ne devienne pas pire.
Parce que la prochaine fois, ça pourrait ne plus être de la farine.
En attendant, la foire de la Sainte-Catherine a repris son cours. Les animaux ont été jugés, les saucisses grillées, les tracteurs admirés. Et quelque part, un lycéen doit se demander s’il a fait le bon choix. Pendant que Jordan Bardella continue son tour de France, costume impeccable, avec peut-être, au fond de lui, la conscience que le chemin vers 2027 ne sera pas une promenade de santé.
Et nous, on continue de regarder. Parfois amusés. Parfois inquiets. Souvent les deux à la fois.
Comme toujours en politique française, en fait.
