Vous vous souvenez de ces candidats donnés ultra-favoris des mois à l’avance et qui finissent par mordre la poussière le soir du premier tour ? Balladur, Jospin, DSK, Juppé… La liste est longue. Eh bien figurez-vous que dans les cercles macronistes, on est en train d’ajouter un nouveau nom à cette collection : Jordan Bardella.
Les derniers sondages le placent autour de 35 % au premier tour et vainqueur au second quel que soit l’adversaire. Panique à bord ? Pas du tout. À les entendre, c’est même plutôt une bonne nouvelle.
Pourquoi les macronistes se marrent (pour l’instant)
Dans les dîners en ville et les groupes WhatsApp de la majorité, la formule fait florès : Bardella, c’est « une guimauve ». Traduction : il a l’air dur à l’extérieur, mais dès qu’on appuie un peu, ça s’effondre.
« Il est moins dangereux que Marine Le Pen. Elle, au moins, elle connaît ses dossiers pouvoir d’achat. Lui, c’est le RN version TikTok. »
Un proche de François Bayrou, hilare
L’argument revient en boucle : Marine Le Pen a passé vingt ans à labourer le terrain, à construire une forme de crédibilité sur les questions sociales. Bardella ? Il brille sur les réseaux, maîtrise parfaitement la com’, mais quand il s’agit de parler budget de l’État ou diplomatie, ça coince sérieusement.
J’ai moi-même vu, lors d’une émission récente, le président du RN se faire gentiment démonter sur des sujets techniques. Il a souri, il a tenu le choc, mais on sentait le vide derrière le costume impeccable. Et visiblement, je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué.
Le plan secret du bloc central
Le calcul est assez simple, presque cynique. Face à Marine Le Pen, la stratégie du « front républicain » fonctionnait encore à peu près : on mobilisait l’électorat de gauche au second tour, même à contrecœur. Avec Bardella, l’idée est de rendre ce front inutile… parce qu’on pense pouvoir le battre à la régulière.
- Premier tour : laisser le RN exploser les scores pour éliminer la gauche.
- Second tour : sortir l’artillerie lourde sur l’incompétence et l’impréparation du jeune président du parti.
- Résultat espéré : une victoire confortable grâce aux reports du centre et d’une partie de la droite.
C’est en tout cas la thèse défendue par plusieurs poids lourds de la majorité. L’un d’eux m’a confié récemment, presque goguenard : « En campagne, on va le mettre face à un tableau Excel et il sera perdu. Le gars n’a jamais géré une commune, encore moins un ministère. »
Mais est-ce vraiment réaliste ?
Parce que, soyons honnêtes, il y a un hic. Et pas des moindres.
Lorsque vous regardez les courbes de popularité, Bardella truste la première place chez les moins de 35 ans, chez les ouvriers, chez les employés… Bref, dans toutes les catégories où Emmanuel Macron s’est effondré depuis 2022. Et cette popularité, elle ne repose pas seulement sur des filtres Snapchat.
Le jeune leader a parfaitement compris une chose : en 2027, l’élection se jouera d’abord sur les émotions. La colère, la peur, la fatigue d’un pays qui a l’impression de reculer. Et sur ce terrain-là, la maîtrise des dossiers pèse parfois moins lourd qu’un discours qui claque.
« Les Français ne votent pas pour un premier ministre, ils votent pour un protecteur. »
Un stratège historique du RN
Le précédent Mélenchon 2022
Je ne peux pas m’empêcher de penser à 2022. À l’époque, une partie de la droite et du centre se disait exactement la même chose au sujet de Jean-Luc Mélenchon : « Il fait peur aux vieux, il n’aura jamais les reports, il est trop clivant. »
Résultat ? Il manque d’un cheveu la qualification au second tour et fait jeu égal avec Marine Le Pen dans une grande partie de l’électorat populaire. Moralité : sous-estimer un discours qui parle au ventre peut coûter très cher.
Bardella, c’est Mélenchon version droite nationale, en plus jeune et avec une communication mille fois plus rodée. Et ça, les macronistes semblent l’avoir un peu oublié.
La question qui dérange
Et si, au fond, cette assurance tranquille était surtout une façon de se rassurer ?
Parce que l’alternative fait peur. Reconnaître que Bardella pourrait être plus dangereux que Le Pen, c’est admettre que le RN s’est normalisé, professionnalisé, rajeuni. C’est accepter que la digue républicaine a pris l’eau depuis longtemps et que le « plafond de verre » ressemble de plus en plus à une vitre sans tain.
Alors on préfère rire. On traite le danger de guimauve pour ne pas avoir à regarder la réalité en face : en 2027, pour la première fois, le Rassemblement national pourrait avoir un candidat qui plaît à la fois aux électeurs historiques du parti… et à ceux qui n’ont jamais voté Le Pen.
Vers une campagne à haut risque
Ce qui est certain, c’est que la campagne 2027 s’annonce explosive. D’un côté, un candidat jeune, photogénique, qui maîtrise les codes des réseaux comme personne. De l’autre, un bloc central fragmenté, sans leader naturel, qui mise tout sur la déconstruction de l’adversaire.
Le pari est osé. Très osé même. Car si Bardella parvient à tenir six mois de campagne sous les projecteurs sans trop de casseroles, sans trop de sorties de route, alors la fameuse « guimauve » pourrait bien se transformer en bulldozer.
Et là, plus personne ne rira.
En attendant, les macronistes continuent de sourire. Peut-être pour se donner du courage. Peut-être parce qu’ils y croient vraiment. Ou peut-être, tout simplement parce que, parfois, il vaut mieux rire jaune que pleurer tout court.
Affaire à suivre. De très près.
