Imaginez-vous à la place d’un mec de 42 ans qui, en l’espace de quelques mois, passe de l’anonymat relatif d’un club ambitieux à la une des journaux sportifs belges et français. Un matin il hurle sur ses joueurs à l’entraînement à Nanterre, le soir il appelle des inconnus pour construire une sélection nationale. C’est la réalité de Julien Mahé depuis le 1er novembre. Et franchement, ça donne le vertige.
Quand deux passions se télescopent en une seule vie
Julien Mahé n’est pas du genre à choisir la facilité. Après avoir transformé Saint-Quentin en terreur de la Betclic Élite pendant cinq saisons, il a accepté le défi Nanterre 92 à la rentrée. Résultat ? Son équipe caracole en tête du championnat avec un bilan presque parfait. Mais au lieu de profiter tranquillement de cette réussite, il a dit oui à un autre projet complètement fou : devenir sélectionneur de la Belgique.
Pourquoi la Belgique et pas une autre nation ? Tout simplement parce que ce pays fait partie de son histoire. Des années à Dunkerque, juste à côté de la frontière, des dizaines de joueurs belges coachés, des week-ends à traverser la frontière pour voir des matchs… Le lien était là, évident. Quand la fédération belge l’a appelé après un Euro décevant, il n’a pas réfléchi deux fois.
« Si ça n’avait pas été la Belgique, je n’aurais probablement pas donné suite. »
Julien Mahé lui-même, avec cette franchise qu’on adore chez les Bretons
Un baptême du feu face aux Bleus
Ce vendredi soir à Rouen, ça ne rigole plus. Les Belgian Lions affrontent l’équipe de France en éliminatoires de la Coupe du monde 2027. Autant dire que pour un premier match officiel à la tête d’une sélection, on a vu plus tranquille comme entrée en matière.
Ce qui rend la situation encore plus savoureuse, c’est que Julien Mahé va retrouver en face… ses propres joueurs et son boss. Mathis Dossou-Yovo et Benjamin Sene, deux cadres de Nanterre, porteront le maillot bleu. Pascal Donnadieu, directeur sportif du club et toujours dans le staff France, sera là aussi. Sans parler du kiné commun aux deux équipes. On dirait presque une blague de vestiaire.
Et pourtant, personne ne rigole vraiment. Parce que derrière l’anecdote, il y a un vrai défi sportif. La Belgique n’a jamais participé à une Coupe du monde. Jamais. L’objectif est clair : qualifier les Lions pour 2027. Et ça commence par ne pas prendre une valise face aux Français, puis par aller gagner lundi contre la Hongrie à Mons.
Construire une équipe en trois semaines : mission impossible ?
Quand tu coaches un club, tu as neuf mois pour bâtir ton groupe. Quand tu prends une sélection en novembre avec des fenêtres internationales ultra-courtes, tu as… trois semaines. Et encore, entre deux matchs de championnat.
Julien Mahé l’admet sans détour : la préparation a été chaotique. Forfaits en cascade, joueurs qui découvrent le système la veille du départ, appels de dernière minute pour compléter le roster. On est loin du confort d’un club où tu vois tes gars tous les jours.
- Quasi tous les joueurs évoluent en championnat belge
- Un seul joue en Betclic Élite (Loïc Schwartz, ex-joueur de… Saint-Quentin sous les ordres de Mahé)
- Roster modifié jusqu’au lundi matin du départ pour Rouen
- Premier rassemblement réel : trois jours avant le match contre la France
Franchement, quand tu lis ça, tu te demandes comment il fait pour ne pas craquer. Mais c’est là que tu comprends le personnage : il kiffe le challenge. Vraiment.
« J’aurais pu avoir deux jours off avec Nanterre cette semaine… mais le challenge est tellement excitant ! »
Le coaching de sélection, un autre métier
On a tendance à penser que c’est la même chose. Erreur. En club, tu gères le quotidien, les egos, les blessures, les rotations. En sélection, tu as cinq jours tous les trois mois pour imposer ta patte à des joueurs qui se connaissent à peine et qui viennent de partout.
Julien Mahé le savait en théorie. Il le vit maintenant en pratique. Et il adore ça. Découvrir d’autres méthodes, d’autres cultures basket, rencontrer des joueurs qu’il n’aurait jamais côtoyés autrement. C’est une forme d’enrichissement permanent.
D’ailleurs, il n’est pas seul dans ce cas. Freddy Fauthoux, le sélectionneur français, vit exactement la même double vie à Bourg-en-Bresse. Les deux hommes se croisent ce soir sur un banc… et la semaine prochaine en championnat. Le basket français a de ces situations complètement dingues.
Les entraîneurs français à l’export : pourquoi si peu ?
C’est une question qui revient souvent dans les couloirs des salles européennes : pourquoi si peu d’entraîneurs français dirigent des sélections étrangères ? On a Vincent Collet qui a fait des merveilles avec les Bleus, Pascal Donnadieu qui a construit Nanterre, Frédéric Fauthoux qui excelle à Bourg… mais à l’international, c’est la disette.
Julien Mahé, avec son accent breton et sa franchise légendaire, ne comprend pas :
« Je ne sais pas pourquoi on n’arrive pas plus à s’exporter. Je serais ravi de pouvoir ouvrir un chemin. »
Et il a raison. Le basket français forme des techniciens exceptionnels. Tactiquement, dans la gestion humaine, dans la formation. Alors pourquoi ne pas voir plus souvent des coaches français sur les bancs européens ou mondiaux ? Julien Mahé pourrait bien être le détonateur dont on avait besoin.
Et Nanterre dans tout ça ?
On pourrait penser que cette double casquette perturbe le club. Que nenni. Nanterre tourne à plein régime. Coleader invaincu, jeu fluide, ambiance familiale intacte. Pascal Donnadieu, avec son éternelle bonhomie, doit bien rigoler en voyant son coach partir en stage avec la Belgique tout en gardant un œil sur les Hauts-de-Seine.
Même les joueurs semblent s’amuser de la situation. Imagine le vestiaire quand Dossou-Yovo et Sene reviennent de Rouen après avoir affronté leur propre coach. Les vannes doivent voler bas.
Mais au-delà de l’anecdote, ça dit quelque chose de plus profond sur le basket français actuel : on forme des entraîneurs capables de jongler entre plusieurs mondes, plusieurs niveaux, plusieurs cultures. C’est une force incroyable.
Ce qu’on retient de cette histoire folle
Julien Mahé n’est pas juste un coach qui a dit oui à un défi de plus. Il incarne quelque chose de plus grand. L’ambition démesurée du basket français. Cette capacité à vouloir tout manger, tout le temps. À ne jamais se satisfaire du statut quo.
Ce soir à Rouen, peu importe le résultat, il aura déjà gagné quelque chose : il aura montré qu’un entraîneur français peut diriger une sélection étrangère avec panache. Et ça, mine de rien, c’est historique.
Alors oui, il va probablement rentrer crevé dimanche soir. Oui, il va replonger direct dans le championnat avec Nanterre. Oui, il va encore vivre à 300 à l’heure. Mais regardez-le : il a 42 ans, les yeux qui brillent, et cette phrase qui résume tout :
« Le challenge est tellement excitant. »
Et franchement, comment lui donner tort ?
(Article écrit après avoir suivi de près l’actualité du basket français et belge depuis plusieurs saisons. Les citations sont tirées d’interviews récentes de l’intéressé et de son entourage proche.)
