Il y a quelques semaines, j’étais chez mes parents pour le traditionnel repas du dimanche. Comme d’habitude, on a commencé par les sujets légers : les notes des enfants, les vacances prévues, la nouvelle recette de gratin. Et puis, sans prévenir, mon beau-frère a lâché la phrase : « Bon, et vous, vous avez commencé votre stock de conserves ? » Silence. Ma mère a reposé sa fourchette. Mon père a toussoté. Et là, pendant vingt minutes, on n’a plus parlé d’autre chose.
Ce moment, je crois qu’il résume parfaitement ce qui se passe en ce moment dans des milliers de foyers français. La guerre, qui semblait encore il y a peu réservée aux chaînes d’info en continu, s’est invitée à table. Et elle y reste.
Quand la géopolitique débarque entre la poire et le fromage
Ce n’est pas nouveau, les Français ont toujours aimé refaire le monde autour d’un café. Mais là, on est passé à autre chose. On ne refait plus le monde : on se demande comment le protéger. Ou, plus exactement, comment protéger les siens si jamais le pire arrivait.
Je ne vais pas vous refaire l’historique des trois dernières années. Vous savez aussi bien que moi que l’invasion de l’Ukraine a changé la donne. Ce qui se passait « loin » est devenu potentiellement « demain chez nous ». Et quand des responsables politiques de haut niveau commencent à parler ouvertement de « risque de conflit de haute intensité » en Europe d’ici cinq à dix ans, forcément, ça marque les esprits.
Le service militaire volontaire : le sujet qui divise les générations
Parmi tous les thèmes qui reviennent, il y en a un qui cristallise particulièrement les débats : le retour possible d’une forme de service national. Pas la conscription d’avant, non. Plutôt un service militaire volontaire, court, ouvert à tous les jeunes qui le souhaitent.
À table, ça donne ça :
« Moi je signe tout de suite », lance le cousin de 19 ans, encore plein d’idéaux.
« T’es malade ? T’as vu ce qui se passe là-bas ? » rétorque la tante, les larmes aux yeux.
« De toute façon, si ça pète vraiment, ils remettront l’obligation pour tout le monde », conclut mon père, fataliste.
Et là, tout le monde a une opinion. Les plus âgés se souviennent de leur propre service, souvent avec une pointe de nostalgie (« ça forge le caractère »). Les plus jeunes oscillent entre curiosité et angoisse pure.
Ce qui est intéressant, c’est que personne ne rit du sujet. Personne ne balaie la question d’un « arrêtez avec vos peurs, ça n’arrivera jamais ». Même les plus optimistes reconnaissent que, ben… on ne sait jamais.
Le guide de survie : nouveau livre de chevet des classes moyennes
L’autre star des conversations ? Le fameux guide de 72 pages distribué récemment. Je l’ai vu chez trois amis différents en l’espace de quinze jours. Posé sur la table basse, à côté des magazines déco. C’est tout un symbole.
Ce qui frappe, c’est le sérieux avec lequel les gens le prennent. On ne parle plus de « survivalistes barbus dans leurs bunkers ». Non. On parle de familles tout ce qu’il y a de plus normales qui se demandent :
- Combien de litres d’eau faut-il vraiment stocker par personne ?
- Est-ce que les conserves de cassoulet, c’est valable trois ans ou cinq ans ?
- Et si on doit évacuer la ville, on prend quelle route ?
- Les médicaments, on en garde combien de boîtes ?
Je vous assure, j’ai entendu ces questions posées par des profs d’école primaire, des cadres en télétravail, des retraités qui jardinent. Pas des paranoïaques. Des gens comme vous et moi.
La préparation discrète : quand ça devient concret
Et puis il y a ceux qui sont passés à l’action. Pas forcément en mode « bunker dans le jardin » (quoique…). Mais en mode discret, pragmatique.
Une amie m’a avoué avoir acheté une lampe dynamo et une radio à manivelle. « Au cas où », qu’elle dit en rigolant à moitié. Un collègue a rempli deux bidons d’essence dans son garage. Un autre a commandé un réchaud à gaz et des cartouches pour six mois.
Le plus surprenant ? Personne ne se moque. Au contraire. Quand quelqu’un annonce qu’il a fait un stock, les autres demandent des conseils. « T’as pris quelle marque de conserves ? », « C’est où que t’as trouvé la radio qui capte encore sans électricité ? ».
C’est presque devenu un sujet comme un autre. Comme quand on se recommande une bonne série ou une appli utile.
Entre raison et emballement : où est la limite ?
Attention, je ne dis pas que tout le monde est en train de creuser un abri anti-atomique dans son jardin (même si certains y pensent sérieusement). La plupart des gens restent mesurés. Ils parlent de « bon sens », de « précaution élémentaire ».
« Écoute, on a des assurances pour tout : la voiture, la maison, la santé… Pourquoi on n’aurait pas une assurance « crise majeure » ? »
– Un père de famille de 42 ans, lors d’un apéro
L’argument revient souvent. Et franchement, il est difficile de le contredire.
Après, il y a des dérives. Des groupes sur les réseaux qui parlent de « grand remplacement par les chars russes » ou de « troisième guerre mondiale imminente ». Ça, c’est autre chose. La majorité des gens que je côtoie restent dans une préparation raisonnable, presque pudique.
Et les enfants dans tout ça ?
Le plus délicat, c’est quand les enfants posent des questions. Ma nièce de 10 ans a demandé l’autre jour : « Dis tata, si y a la guerre, est-ce qu’on pourra encore aller à l’école ? ».
Comment répondre à ça ? On rassure, bien sûr. On dit que les grands vont tout faire pour que ça n’arrive pas. Mais on sent bien que les enfants captent l’ambiance. Ils entendent les conversations. Ils voient les adultes préoccupés.
Certains parents choisissent la transparence : « Oui, il y a des tensions, mais on se prépare pour être tranquilles ». D’autres préfèrent esquiver. Les deux attitudes se défendent.
Une forme de résilience collective qui émerge
Ce qui me frappe le plus dans tout ça, c’est l’aspect positif qui se dégage malgré tout. Oui, il y a de l’angoisse. Oui, il y a de l’incertitude. Mais il y a aussi une forme de résilience collective qui est en train de naître.
Les gens se parlent. Ils échangent des astuces. Ils se serrent les coudes. Dans certains quartiers, on commence même à organiser des réunions informelles : « Venez, on regarde ensemble le guide de survie et on fait une liste commune de ce qu’il faudrait acheter ».
C’est presque paradoxal : plus le sujet est anxiogène, plus il crée du lien.
Et demain ?
Personne n’a de boule de cristal. Peut-être que dans cinq ans, on regardera tout ça en riant, comme on rit aujourd’hui des peurs de l’an 2000. Peut-être pas.
Ce qui est sûr, c’est que quelque chose a changé dans la psychologie collective. On est passés d’une forme d’insouciance post-Guerre froide à une conscience plus aiguë de la fragilité de la paix.
Et vous ? Vous en parlez dans votre entourage ? Vous avez commencé à vous préparer, même un peu ? Ou vous trouvez que c’est excessif ?
Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : la guerre n’est plus un sujet abstrait. Elle est devenue, pour beaucoup de Français, une possibilité à intégrer dans le quotidien.
Et ça, c’est peut-être le vrai changement.
