Imaginez la scène : une petite salle d’audience dans l’Oise, l’odeur du bois ciré, les regards qui se croisent. Tout le monde attend le même homme. Et puis… rien. Le siège reste vide. C’est exactement ce qui s’est passé ce 11 décembre à Senlis avec le rappeur Lacrim. Accusé d’abandon de famille, il a brillé par son absence. Une absence qui en dit long, peut-être plus long que s’il avait daigné se pointer.
Je vais vous raconter cette journée, mais surtout ce qu’elle révèle sur la collision parfois brutale entre la vie de star et les obligations les plus basiques d’un père.
Un procès sans accusé : le choix assumé de Lacrim
Déjà reporté une première fois en septembre, le procès devait enfin se tenir. Les journalistes locaux, quelques curieux, l’ex-compagne du rappeur et son avocat étaient là. Manquait seulement l’intéressé.
Son conseil a tenté l’explication classique : « Il est actuellement à l’étranger pour l’enregistrement de son prochain album. Il aurait vraiment souhaité être présent. » La phrase a fait sourire jaune dans la salle. Enregistrer un album plutôt que répondre devant la justice pour ses enfants ? Le message est passé.
« Pourquoi n’est-il pas là ? » a simplement demandé la présidente du tribunal.
Réponse de l’avocat, sans convaincre grand monde
Le tribunal a donc jugé l’affaire en l’absence du prévenu, comme la loi le permet quand la personne a été régulièrement convoquée. Et croyez-moi, ça change tout à l’ambiance.
Abandon de famille : de quoi parle-t-on exactement ?
En droit français, l’abandon de famille est un délit. Ne pas verser la pension alimentaire fixée par le juge pendant plus de deux mois consécutifs, c’est déjà suffisant pour être poursuivi. La peine maximale ? Deux ans de prison et 15 000 euros d’amende. Oui, vous avez bien lu : de la prison ferme est possible.
Dans le cas présent, l’ex-compagne reproche des versements très irréguliers, parfois partiels, parfois tout simplement absents pendant plusieurs mois. Elle a fini par porter plainte, comme beaucoup de femmes (et parfois d’hommes) dans la même situation, célèbres ou pas.
- Non-paiement total sur certaines périodes
- Versements partiels qui ne couvrent même pas les besoins de base
- Retards chroniques qui mettent la famille en difficulté financière
- Absence de dialogue ou de proposition de rééchelonnement
Et quand on connaît les revenus déclarés de certains artistes du rap game, on se dit que l’argument « je n’ai pas les moyens » aura du mal à passer.
La victime présumée qui brise le silence
Derrière chaque dossier d’abandon de famille, il y a une histoire humaine. Ici, une mère qui élève seule ses enfants et qui se bat pour qu’ils ne manquent de rien. Elle a accepté de témoigner devant le tribunal, malgré la lumière crue que cela jette sur sa vie privée.
Ce qui ressort surtout, c’est la fatigue. La fatigue de courir après l’argent tous les mois. La fatigue d’expliquer aux enfants pourquoi papa ne donne plus de nouvelles. La fatigue, aussi, de voir l’autre parent se construire une image publique de dur, de vrai, tout en fuyant ses responsabilités les plus élémentaires.
« Il se victimise sans arrêt, mais nous, on a vécu la réalité tous les jours. »
Propos rapportés de la plaignante
Cette phrase a marqué les débats. Parce qu’elle résume parfaitement le décalage entre l’image du rappeur qui parle de galère dans ses sons et la réalité d’une famille qui en vit une, de galère, à cause de lui.
L’argument de la carrière artistique : jusqu’où ça tient ?
On a tous entendu cette excuse mille fois : « Je suis en tournée », « Je suis en studio », « J’ai des deadlines ». Ok. Mais quand on est parent, il y a des priorités qui ne se négocient pas. Payer la pension, c’est pas optionnel. C’est pas « quand j’aurai le temps ».
Et franchement, entre nous, se faire juger en son absence pour ça, alors qu’on a les moyens de prendre un avion privé si on veut… ça la fout mal. Très mal.
D’autant que l’avocat a tenté le coup du « il est vraiment désolé ». Sauf que la désolation, ça ne remplit pas le frigo. Et le tribunal correctionnel n’est pas là pour entendre des regrets, mais pour constater des faits.
Ce que risque réellement Lacrim
Le délibéré sera rendu début 2026. Plusieurs scénarios possibles :
- Relaxation pure et simple (très peu probable vu les éléments du dossier)
- Peine de prison avec sursis (le grand classique dans ce genre d’affaires)
- Prison ferme (si le tribunal veut marquer le coup, surtout avec l’absence)
- Amende lourde + obligation de régulariser immédiatement
- Inscription au fichier des mauvais payeurs de pensions (le FIJAPPV)
Et puis il y a les dommages et intérêts que l’ex-compagne demande. Parce que oui, au-delà de la peine pénale, il y a le préjudice moral et matériel. Les factures impayées, les crédits pris pour joindre les deux bouts, le stress quotidien.
Le rap français et ses démons récurrents
On pourrait se dire « encore un ». Et c’est vrai que ces dernières années, plusieurs figures du rap ont eu maille à partir avec la justice pour des faits similaires. Booba, Rohff, Kaaris, Gims… la liste est longue. Comme si le succès fulgurant rendait certains aveugles aux conséquences de leurs actes dans la vraie vie.
Mais il y a un truc qui me gêne profondément dans cette affaire. C’est le contraste entre les textes. Lacrim a souvent rappé sur l’honneur, sur la parole donnée, sur le respect de la famille. Et là… bah là, c’est pas vraiment cohérent.
Est-ce qu’on demande aux artistes d’être des modèles ? Non. Mais quand on construit toute une carrière sur l’idée d’authenticité, on assume aussi quand la réalité nous rattrape.
Et les enfants dans tout ça ?
C’est la question qu’on oublie trop souvent. Derrière les titres racoleurs, derrière les absences au tribunal, il y a des gamins. Des gamins qui grandissent sans voir leur père, ou très peu. Des gamins qui entendent peut-être les sons dans la cour de récréation en se disant « c’est mon père ça ».
Et un jour, ils seront assez grands pour comprendre que papa préférait le studio à leurs besoins. Ça, aucun couplet ne pourra le rattraper.
Une affaire qui dépasse le simple fait divers
Ce qui se joue ici, c’est aussi la question de la responsabilité des figures publiques. Quand on a des centaines de milliers de jeunes qui vous écoutent, est-ce qu’on n’a pas un minimum de devoir d’exemplarité ? Pas d’être parfait, non. Mais au moins de respecter la loi la plus élémentaire : s’occuper de ses enfants.
Et puis il y a cette tendance, qu’on voit trop souvent, à fuir la justice quand on a les moyens. Prendre l’avion, s’installer à Dubaï ou ailleurs, et faire comme si la France n’existait plus. Sauf que la justice française, elle, n’oublie pas.
Le délibéré arrivera. La condamnation, probablement aussi. Et après ? Est-ce que ça changera quelque chose ? Est-ce que Lacrim paiera enfin rubis sur l’ongle ? Ou est-ce qu’il continuera à vivre dans son monde, loin des réalités qu’il a pourtant si souvent décrites dans ses sons ?
L’avenir nous le dira. En attendant, dans une petite salle de Senlis, une mère a encore une fois porté seule le poids d’une famille. Et ça, aucun album platinum ne pourra jamais l’effacer.
(Article mis à jour après audience – délibéré attendu début 2026)
