Vous souvenez-vous de votre premier tour de périphérique ? Moi oui. C’était il y a quinze ans, en pleine heure de pointe, et j’avais l’impression d’être avalé par un serpent de béton et de klaxons. Aujourd’hui, quand je passe porte de Gentilly, quelque chose a changé. Le bitume semble moins agressif, il y a des arbres qui pousent là où il n’y avait que des glissières, et surtout… des gens qui traversent à pied sans risquer leur vie. Et si c’était le début de la fin du périphérique tel qu’on l’a connu ?
Un démonstrateur qui ne laisse personne indifférent
À l’entrée sud de Paris, la porte de Gentilly est devenue un laboratoire grandeur nature. Ce n’est plus seulement un échangeur, c’est un prototype de ce que pourrait devenir l’anneau le plus célèbre (et le plus détesté) de France. Les travaux ont commencé discrètement, mais les images parlent d’elles-mêmes : des voies rétrécies, des trottoirs élargis, des bandes cyclables protégées, et même – sacrilège pour certains – des projets de feux tricolores à terme.
Franchement, la première fois que j’ai vu les plans, j’ai souri. On passe d’une autoroute urbaine à 70 km/h où l’on frôle les murs à un boulevard apaisé où l’on pourra presque flâner. C’est un peu comme si on transformait l’autoroute A1 en avenue des Champs-Élysées version XXL. Sauf que ça concerne 1,1 million de véhicules par jour. Autant dire que ça ne plaît pas à tout le monde.
Pourquoi Gentilly et pourquoi maintenant ?
Le choix de la porte de Gentilly n’est pas anodin. C’est une zone où le périphérique coupe littéralement des quartiers en deux depuis 1973. D’un côté Paris 13e, de l’autre Gentilly et le Kremlin-Bicêtre. Les habitants n’ont jamais pu se rejoindre facilement. Un pont piéton ? Trop rare. Traverser ? Mission quasi-impossible sans risquer l’accident.
Aujourd’hui, les élus parlent de reconquête des territoires perdus. Le terme est fort, presque guerrier, mais il résume bien l’enjeu. L’idée : rendre le périphérique perméable, le faire descendre de son piédestal de béton pour qu’il redevienne une rue comme les autres – certes plus large, mais humaine.
« On veut que le périphérique ne soit plus une frontière, mais un lien. »
Un adjoint à l’urbanisme qui a préféré garder l’anonymat tant le sujet est sensible
Ce qui change concrètement (et ce qui pourrait encore changer)
Voici, en clair, ce qu’on voit déjà sur le terrain :
- Voies de circulation réduites de 4 à 3 dans certains secteurs
- Pistes cyclables bidirectionnelles protégées par des bordures en béton
- Trottoirs élargis jusqu’à 5 mètres par endroits
- Plantation de centaines d’arbres (des essences résistantes à la pollution, bien sûr)
- Éclairage public doux, moins agressif pour les riverains
- Passages piétons surélevés pour calmer la vitesse
Mais le plus fou reste à venir. À moyen terme, on parle sérieusement d’installer des feux tricolores sur certaines portions. Oui, vous avez bien lu. Des feux rouges sur le périphérique. L’idée fait hurler les automobilistes, mais elle séduit de plus en plus les urbanistes qui estiment que c’est le seul moyen de faire cohabiter tous les usages.
Imaginez : vous roulez à 50 km/h (déjà la règle depuis juillet 2024), et soudain un feu passe au rouge pour laisser traverser des piétons ou des vélos. C’est exactement ce qui se fait déjà à Copenhague ou à Utrecht. Paris serait-il enfin prêt à franchir le pas ?
Les arguments des pro-transformation
Ceux qui poussent le projet ne manquent pas d’arguments. Et franchement, certains sont difficilement contestables.
- Pollution : le périphérique concentre à lui seul 10 % des émissions de NOx de toute l’Île-de-France
- Bruit : plus de 300 000 habitants subissent un niveau sonore supérieur à 68 dB (le seuil de gêne)
- Sécurité : même à 50 km/h, les accidents graves restent trop nombreux
- Climat : végétaliser massivement permettrait de créer un puits de carbone non négligeable en plein Paris
- Santé publique : favoriser la marche et le vélo, c’est moins de maladies cardio-vasculaires et d’obésité
L’aspect peut-être le plus intéressant, c’est la capture foncière. En réduisant la largeur des voies, on libère des dizaines d’hectares le long du périphérique. Ces terrains, aujourd’hui inconstructibles car trop pollués ou trop bruyants, pourraient accueillir logements sociaux, parcs, équipements sportifs… Un gisement exceptionnel en pleine crise du logement.
Et les automobilistes dans tout ça ?
Forcément, il y a l’autre camp. Ceux pour qui le périphérique reste une artère vitale. Et ils n’ont pas complètement tort.
Paris intra-muros, c’est seulement 2 millions d’habitants. L’Île-de-France, c’est 12 millions. La grande majorité des gens qui utilisent le périphérique n’habitent pas Paris et n’ont souvent pas d’alternative crédible. Le RER ? Saturé. Les bus ? Lents. Le vélo ? Pas réaliste pour 30 km de trajet quotidien.
Résultat : beaucoup craignent un report massif du trafic sur les boulevards des Maréchaux ou dans les petites rues. On l’a vu avec la fermeture des voies sur berges : quand on supprime de la capacité routière sans offrir d’alternative, c’est la pagaille ailleurs.
« On ne fait pas la révolution urbaine sur le dos des classes moyennes qui n’ont pas le choix de leur mode de transport. »
Un élu de banlieue qui résume bien la fracture
Un calendrier qui sent la poudre
Le timing n’est évidemment pas innocent. On est à quelques mois des élections municipales. Chaque candidat y va de sa petite phrase sur le périphérique. Certains promettent une végétalisation massive, d’autres veulent le transformer en pont franchissable, d’autres encore ressortent l’éternelle idée de le couvrir (projet estimé à… 30 milliards d’euros, au bas mot).
Ce qui est sûr, c’est que le sujet va peser lourd dans les débats. Parce qu’au fond, transformer le périphérique, c’est poser la question : quel Paris veut-on pour 2030, 2040 ? Une ville tournée vers ses habitants ou une ville qui reste le carrefour de toute une région ?
Personnellement, je pense qu’on peut concilier les deux. Mais il va falloir être malin. Très malin.
Ce qu’on peut apprendre des autres villes
Paris n’est pas la première à se poser la question. Séoul a carrément détruit une autoroute urbaine pour recréer une rivière en plein centre. Madrid a enterré sa rocade M-30. Barcelone a transformé des portions entières en boulevards apaisés.
Partout, le constat est le même : au début, les automobilistes crient au scandale. Cinq ans après, plus personne ne veut revenir en arrière. Les commerces reviennent, la pollution baisse, la valeur immobilière explose.
Est-ce que ça marchera à Paris ? Rien n’est moins sûr. Notre périphérique est unique : 35 km en boucle fermée, pas de vraie rocade extérieure efficace, une densité folle. Mais c’est aussi ce qui rend le défi passionnant.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Moi, je roule encore tous les jours sur le périphérique. Et je dois avouer que l’idée de pouvoir m’arrêter à un feu rouge pour laisser passer une mamie avec sa trottinette me fait doucement rigoler… tout en me séduisant un peu. C’est peut-être ça, le futur : un mélange improbable entre l’ancien monde et le nouveau.
Une chose est sûre : la porte de Gentilly n’est qu’un début. Dans dix ans, quand vos enfants vous demanderont « c’était comment avant ? », vous leur raconterez peut-être l’époque où le périphérique était une autoroute où l’on roulait à 90 km/h sans jamais voir un piéton.
Ils ne vous croiront probablement pas.
En attendant, le débat est lancé. Et il promet d’être aussi passionné que le sujet est clivant. Parce qu’au fond, transformer le périphérique, c’est transformer Paris. Rien que ça.
