Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, dans un monde où tout le monde annonce la mort du livre papier, certaines librairies affichent complet dès leur ouverture ? Moi oui. Et la réponse se trouve désormais au 28 boulevard Saint-Michel, là où une enseigne historique vient de transformer quatre étages entiers en temple absolu de la romance. Un pari fou ? Peut-être. Un succès retentissant ? Clairement.
Quand la romance sauve le livre papier
Il y a quelques jours à peine, le quartier Latin a vécu un événement discret mais symbolique. Trois rues ont été rebaptisées le temps d’une soirée : rue du Premier Regard, rue des Amants Éternels et, bien sûr, boulevard de la Romance. Derrière cette opération marketing maligne se cache une réalité économique brutale : pendant que le marché global du livre stagne ou recule, un seul genre explose littéralement. Et ce genre, c’est la romance.
Je me souviens encore du temps où on regardait ce rayon avec un petit sourire en coin. « Des livres de filles », disaient certains. « De la littérature de gare », renchérissaient les autres. Eh bien devinez quoi ? Ces « livres de filles » rapportent aujourd’hui plus que bien des prix Goncourt réunis. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Un espace totalement repensé pour un public qui ne plaisante pas
Entrer dans cette nouvelle adresse, c’est un peu comme pénétrer dans un cocon rose bonbon version XXL. Quatre étages, près de dix mille références, une signalétique claire et, surtout, une ambiance qui fait qu’on a immédiatement envie de rester des heures. Le rez-de-chaussée accueille les grandes tendances du moment : dark romance, enemies to lovers, new adult. Au-dessus, on monte en douceur vers la romance contemporaine, les sagas historiques, la fantasy romantique. Chaque niveau a sa personnalité.
Ce qui frappe surtout, c’est le soin apporté aux détails. Les fauteuils sont confortables, la lumière tamisée juste comme il faut, il y a même des petits coins lecture avec des plaids. On sent que les équipes ont compris une chose essentielle : les lectrices de romance ne viennent pas seulement acheter un livre, elles viennent vivre une expérience.
« On a voulu créer un lieu où on se sent bien, où on peut passer l’après-midi sans que personne ne vous regarde de travers si vous lisez trois chapitres sur place », explique une responsable du projet avec un sourire franc.
Comment la romance est devenue le genre le plus rentable
Revenons deux secondes en arrière. Comment en est-on arrivé là ? Il y a dix ans, la romance représentait à peine 5 % du marché du livre en France. Aujourd’hui, certaines estimations la placent autour de 20 %, et ça grimpe encore. Et non, ce n’est pas seulement grâce aux réseaux sociaux, même si ceux-ci ont joué un rôle énorme.
Le vrai déclic ? La pandémie. Coincées chez elles, des millions de femmes (et oui, le public reste à 90 % féminin) ont découvert ou redécouvert le plaisir de lire des histoires d’amour qui finissent bien. Dans un monde anxiogène, la garantie d’une happy end est devenue un besoin vital. Ajoutez à cela l’effet BookTok – cette communauté qui fait vendre des centaines de milliers d’exemplaires en quelques jours – et vous obtenez la recette parfaite.
- Des communautés ultra-actives sur les réseaux
- Des autrices qui parlent directement à leurs lectrices
- Des couvertures toujours plus attirantes
- Des tropes (scénarios récurrents) qui répondent à des fantasmes précis
- Et surtout : zéro culpabilité à aimer ça
Résultat ? Des autrices françaises trustent désormais les meilleures ventes là où, il y a encore cinq ans, elles étaient invisibles. Certaines touchent des avances à six chiffres. D’autres remplissent des salons entiers. Le milieu de l’édition, qui snobait joyeusement le genre, a fini par comprendre que l’argent n’avait pas d’odeur – surtout quand il sent la rose et le happy end.
Mais qui sont ces lectrices qui remplissent les rayons ?
J’ai passé une après-midi complète sur place, à observer, à discuter. Et franchement, l’image qu’on pouvait avoir de la lectrice de romance en prend un coup. Oui, il y a des ados avec leur téléphone greffé à la main. Mais il y a aussi des quinquagénaires en tailleur qui viennent décompresser après leur journée de travail. Des étudiantes en droit qui avouent lire de la dark romance entre deux cours de droit pénal. Des mamans qui cachent leur livre dans leur sac à langer.
Ce qui les réunit ? Le plaisir simple et assumé de lire des histoires où l’amour triomphe. Point. Pas de honte, pas de complexe. Et c’est peut-être ça, le plus beau retournement : la romance a réussi à faire ce que la littérature « sérieuse » peine parfois à accomplir – créer une communauté sans jugement.
« Ici, personne ne vous regarde bizarre si vous prenez un livre avec un highlander torse nu sur la couverture. Au contraire, on va vous en conseiller trois autres », me glisse une cliente avec un clin d’œil.
Et les hommes dans tout ça ?
Question légitime. Sur place, ils sont rares, mais ils existent. Certains accompagnent leur compagne. D’autres viennent discrètement pour eux-mêmes – oui, messieurs, vous n’êtes pas obligés de le crier sur tous les toits, mais sachez que vous êtes les bienvenus. Un rayon « romance masculine » commence même à se dessiner timidement, avec plus d’action et de suspense. L’avenir, peut-être ?
Un modèle qui pourrait inspirer d’autres librairies
Ce qui se passe ici n’est pas isolé. On voit déjà des corners romance grossir dans d’autres grandes enseignes. Des librairies indépendantes se spécialisent. Le message est clair : quand un genre marche aussi fort, il serait bête de l’ignorer. Et tant mieux si ça permet de maintenir des librairies physiques en vie.
Parce que oui, derrière les cœurs et les torses nus, il y a une réalité économique froide : cette librairie dédiée va probablement rapporter plus, au mètre carré, que bien des rayons de littérature générale. Et dans un contexte où les libraires ferment les uns après les autres, c’est une sacrée bonne nouvelle.
Ce que ça nous dit de notre société
Au-delà des chiffres, il y a quelque chose de profondément touchant dans ce succès. Dans une époque où tout va vite, où les relations sont souvent compliquées, où le célibat explose et où l’anxiété est reine, des millions de personnes se réfugient dans des histoires où l’amour gagne toujours. Est-ce une fuite ? Peut-être. Est-ce un besoin vital ? Clairement.
Et puis il y a cette sororité qui se crée autour des livres. Ces groupes de lecture, ces échanges de recommandations, ces événements où des centaines de femmes se retrouvent pour parler passionnément de fictions. Dans un monde qui peut parfois sembler dur pour les femmes, la romance offre un espace safe, joyeux, bienveillant.
Alors oui, on peut sourire. On peut trouver ça trop rose, trop cliché, trop whatever. Mais quand je vois ces files de lectrices heureuses sortir avec leurs sacs pleins, je me dis qu’il y a pire comme phénomène de société.
Et qui sait ? Peut-être que la prochaine fois que vous passerez boulevard Saint-Michel, vous pousserez la porte. Juste pour voir. Après tout, on a tous besoin d’un peu d’amour, non ?
Alors la prochaine fois qu’on vous dira que le livre papier est mort, rappelez-vous cette adresse. Preuve vivante que quand on donne aux lecteurs ce qu’ils veulent vraiment – sans jugement et avec passion – la magie opère encore. Et tant mieux si cette magie sent un peu la rose et le happy end.
