Imaginez : vous partez en vacances en famille sur une île grecque paradisiaque, bronzer sur les plages de Crète, et d’un coup, la police vous passe les menottes parce qu’un vieux mandat Interpol traîne encore dans une base de données. C’est exactement ce qui est arrivé à Lionel Dumont en mai dernier. Et hier, six mois plus tard, la justice grecque vient de le libérer purement et simplement. L’histoire est presque trop grosse pour être vraie.
Je ne sais pas vous, mais moi, ce genre de rebondissement judiciaire me fascine. On parle d’un homme qui a été l’une des figures les plus recherchées du djihadisme européen dans les années 90-2000, et qui, trente ans après, se retrouve libre parce que… la peine est prescrite en Bosnie. C’est à la fois kafkaïen et terriblement révélateur du casse-tête que représentent ces vieux dossiers terroristes.
Une libération qui fait parler
Jeudi 27 novembre 2025, la cour d’appel de Crète a dit non à l’extradition demandée par la Bosnie-Herzégovine. Motif ? La condamnation à vingt ans de prison prononcée là-bas pour le meurtre d’un policier croate en 1995 est prescrite depuis longtemps selon le droit grec et la convention européenne d’extradition. Résultat : Lionel Dumont, 54 ans, est sorti de prison avec un simple « merci » à la justice hellénique et un sourire qu’on imagine immense.
Son avocate grecque n’a pas caché sa satisfaction : l’arrestation initiale reposait sur une erreur technique. La police locale avait une base de données non mise à jour. Dumont avait pourtant été rayé en février 2025 de la liste des sanctions ONU contre Al-Qaïda et Daech. Un détail qui change tout… ou presque.
Retour en arrière : qui est vraiment Lionel Dumont ?
Pour bien comprendre l’ampleur du personnage, il faut remonter aux années 90. À l’époque, Lionel Dumont est un jeune militaire français, servant au 3e RPIMa. Il se convertit à l’islam, part en Bosnie pendant la guerre, intègre les brigades de moudjahidines étrangers aux côtés des Bosniaques. Là-bas, il côtoie les premiers réseaux qui deviendront plus tard Al-Qaïda en Europe.
De retour en France, il s’installe à Roubaix et forme avec une poignée de copains ce qu’on appellera le gang de Roubaix. Une bande pas comme les autres : ils braquent pour financer le djihad, attaquent un convoyeur de fonds, lancent une voiture piégée contre un commissariat la veille du G7 à Lille en 1996. Bilan : un miracle : zéro mort, mais une onde de choc énorme.
La plupart des membres meurent en martyr (selon leur vision) lors d’un siège policier en mars 1996. Dumont, lui, s’enfuit. Commence alors une cavale de sept ans à travers l’Europe et le Moyen-Orient. Il est arrêté en Allemagne en 2003, extradé vers la France, condamné à perpétuité (ramenée à 30 puis 25 ans en appel).
La fin de peine française… et le réveil bosniaque
Fin 2021, après presque vingt ans derrière les barreaux, Lionel Dumont sort sous bracelet électronique. Il retrouve sa famille, trouve un travail. La réinsertion, ça existe, même pour les profils les plus lourds. Tout semble rentré dans l’ordre.
Jusqu’à ce séjour en Crète. La Bosnie, qui n’a jamais digéré le meurtre du policier croate de 1995, ressort un vieux dossier et demande l’extradition dès qu’elle apprend qu’il est localisable. Sauf que, vingt-neuf ans plus tard, le droit bosniaque et le droit européen ne parlent plus tout à fait la même langue sur la prescription.
« Le parquet a accepté notre argument de la prescription de la peine. La cour a donc décidé sa libération immédiate. »
Me Alexandra Spanaki, avocate de Lionel Dumont en Grèce
Pourquoi cette libération pose question
Soyons honnêtes : pour beaucoup, cette décision est difficile à avaler. Un homme condamné pour des actes terroristes graves, impliqué dans un meurtre à l’étranger, se balade librement parce que les horloges juridiques ne tournent pas à la même vitesse selon les pays. C’est le genre de faille qui fait grincer des dents.
Mais d’un autre côté, le principe de prescription existe pour une raison : éviter que l’État puisse poursuivre indéfiniment quelqu’un, même pour les crimes les plus graves. Et puis, Dumont a déjà purgé une peine énorme en France. Le punir deux fois pour des faits liés à la même période idéologique, est-ce vraiment juste ?
- Il a passé près de 20 ans en prison en France
- Il était sous surveillance électronique jusqu’en 2021
- Son nom a été retiré des listes ONU en 2025
- Il vit avec sa famille et travaille depuis plusieurs années
- Aucun incident signalé depuis sa sortie
Ces éléments ont forcément pesé dans la balance, même si la justice grecque s’est fondée uniquement sur la prescription.
Et maintenant ? Une vie (presque) normale ?
Lionel Dumont est rentré en France. Enfin, on suppose. Il n’a pas fait de déclaration tonitruante, juste un « je suis particulièrement satisfait » devant le tribunal grec. Depuis, silence radio.
Ce qui est sûr, c’est que cette affaire remet sur la table la question de la réinsertion des anciens condamnés pour terrorisme. Peut-on vraiment tourner la page quand on a été l’un des pionniers du djihadisme en Europe ? Les services de renseignement continuent-ils de le suivre discrètement ? Probablement.
Ce qui est fascinant, c’est que Dumont représente presque un dinosaure du terrorisme. Une époque où les réseaux étaient artisanaux, où on partait combattre en Bosnie avec un sac à dos et des convictions brûlantes. Aujourd’hui, la menace est plus diffuse, plus virtuelle, plus solitaire souvent. Lui, c’est un vestige d’un autre temps.
Le casse-tête des vieilles affaires terroristes
Cette libération met en lumière un problème plus large : que faire des centaines de dossiers des années 90-2000 qui dorment dans les tiroirs ? Des combattants partis en Bosnie, en Tchétchénie, en Afghanistan avant même que le 11 septembre ne change tout.
Certains pays veulent encore juger ou extrader. D’autres estiment que le temps a fait son œuvre. Et entre les deux, des hommes grisonnants qui ont parfois fondé une famille, qui bossent, qui ne font plus parler d’eux. Faut-il rouvrir toutes les plaies ? Ou accepter que, parfois, l’oubli judiciaire est la moins mauvaise solution ?
Je n’ai pas la réponse. Mais ce qui est certain, c’est que l’histoire de Lionel Dumont ne laissera personne indifférent. Elle est à la croisée de la justice, de la mémoire collective et de la realpolitik antiterroriste.
Une chose est sûre : trente ans après les premiers coups d’éclat du gang de Roubaix, la France n’a pas oublié ni les faits, ni les visages. Mais elle a appris à vivre avec ces fantômes. Et parfois, à les laisser rentrer dans l’ombre.
Quant à savoir si Lionel Dumont refera parler de lui… seul l’avenir le dira. Pour l’instant, il profite simplement de sa liberté retrouvée sous le soleil grec, puis français. Et quelque part, c’est déjà une forme de victoire pour lui.
