Il y a des livres qui sortent, font un peu de bruit dans les rédactions parisiennes, puis disparaissent doucement des tables des librairies. Et puis il y a ceux qui, sans prévenir, deviennent des phénomènes là où personne ne les attendait vraiment. C’est exactement ce qui arrive en ce moment à Dreux et dans toute la troisième circonscription d’Eure-et-Loir avec l’ouvrage posthume d’un ancien député qui n’est plus là pour le défendre.
Je ne vais pas tourner autour du pot : une semaine après sa sortie, le livre est déjà introuvable dans les librairies locales. Pas un seul exemplaire. Les commandes pleuvent, les réimpressions s’enchaînent, et on parle déjà de plusieurs milliers d’exemplaires écoulés. Franchement, quand on connaît le rythme habituel des ventes de livres politiques en province, c’est assez dingue.
Un succès qui dépasse largement le cadre local
Ce qui frappe d’abord, c’est la vitesse à laquelle tout cela s’est produit. Le livre est paru mi-novembre 2025. Trois jours plus tard, près de 4 000 exemplaires étaient déjà partis au niveau national. L’éditeur a dû relancer la machine trois fois. En temps normal, un essai politique sérieux met plusieurs mois pour atteindre ce chiffre. Là, on parle de quelques jours.
Mais le plus impressionnant reste ce qui se passe sur le terrain, dans cette circonscription que l’auteur a représentée pendant des années. Les libraires locaux n’en reviennent pas. L’une d’entre eux m’a confié que c’était « l’équivalent d’un bon Goncourt » pour leur boutique. Plus de 200 exemplaires vendus en quelques jours, et la perspective d’atteindre les 300 avant Noël. Pour une ville de taille moyenne, c’est énorme.
Pourquoi les habitants se ruent sur cet ouvrage
Il y a évidemment l’effet de proximité. Beaucoup connaissaient l’ancien député personnellement. Il avait ses habitudes, passait saluer, dédicaçait ses précédents livres. Certains gardent encore précieusement une lettre manuscrite qu’il leur avait envoyée pour les remercier d’un service rendu. Ces petits gestes qui, à Paris, passent inaperçus, marquent durablement en province.
« C’est le seul élu qui m’ait écrit une vraie lettre pour mes 40 ans de service. Je l’ai gardée. Quand j’ai su qu’il y avait un livre posthume, je me suis dit qu’il fallait absolument que je le lise. »
— Une retraitée drouaise
Ce témoignage, je pourrais le multiplier. Ce n’est pas seulement de la curiosité politique. C’est quelque chose de plus profond, presque affectif. Les gens veulent comprendre, refermer une page, peut-être aussi trouver des réponses à des questions qui restent en suspens depuis l’été dernier.
Un titre qui tombe au bon moment
Il faut aussi dire les choses clairement : le titre résonne particulièrement aujourd’hui. « Dissolution française, la fin du macronisme ». En cette fin d’année 2025, alors que le pays sort à peine d’une séquence politique particulièrement chaotique, que la majorité présidentielle vacille et que les oppositions se cherchent, le sujet tombe pile.
L’ouvrage n’est pas une simple charge contre le pouvoir actuel – même si ça en prend clairement le chemin. C’est aussi le testament politique d’un homme qui a passé des années dans l’opposition, qui a présidé des commissions d’enquête sensibles, qui connaissait les rouages du système mieux que beaucoup. Et qui, manifestement, avait des choses à dire qu’il n’avait pas pu exprimer de son vivant.
La librairie au cœur du phénomène
Dans la principale librairie de la ville, l’ambiance est particulière ces jours-ci. La gérante se souvient très bien de la dernière visite de l’auteur, quelques jours seulement avant son geste. Ils avaient échangé quelques mots, comme d’habitude. Elle se rappelle aussi qu’il était déjà venu dédicacer un précédent livre en 2007. La boucle est bouclée, d’une certaine manière.
Ce qui est intéressant, c’est que la première commande pour ce nouveau livre date… du 10 juillet. Soit trois jours après le décès. Quatre mois avant la parution officielle. Autrement dit, les gens savaient que le manuscrit existait et étaient prêts à attendre. Ça dit beaucoup sur le lien qui existait entre cet élu et ses administrés.
- Ils le connaissaient personnellement
- Ils partagent largement son diagnostic sur la situation politique
- Ils cherchent à comprendre les raisons de son geste
- Ils veulent garder une trace de sa pensée
Ces quatre raisons, souvent entremêlées, expliquent largement le phénomène.
Un extrait qui en dit long sur l’homme
Dans le livre, il y a un passage qui revient souvent dans les conversations locales. L’auteur y décrit son bureau de permanence, ouvert à tous, au rez-de-chaussée d’un ancien commerce. Il raconte y avoir reçu plus de 500 personnes par an, de tous horizons.
« On y croise tout le monde : je garde le souvenir amusé de la comtesse de Paris (…) au milieu de femmes des quartiers, dont certaines voilées, venues me parler des rodéos qui les inquiètent tant pour la sécurité de leurs jeunes enfants. »
Cette image d’une France bigarrée, où une prétendante au trône fait la queue avec des mères de famille inquiètes, résume assez bien la conception qu’avait cet élu de son métier : être au plus près, sans filtre, sans distance. C’est probablement ce qui manque le plus aujourd’hui à beaucoup de ses anciens électeurs.
Au-delà du choc et des théories
Il faut aussi parler de l’éléphant dans la pièce : le suicide de l’auteur en juillet dernier a évidemment marqué les esprits. Le choc a été violent localement. Et comme souvent dans ces cas-là, les réseaux sociaux ont fait le reste, avec leur lot de spéculations et de théories parfois très éloignées de la réalité.
Le livre, paradoxalement, arrive comme une réponse possible à tout cela. Pas au sens où il expliquerait tout – il a été terminé avant, manifestement. Mais parce qu’il permet de retrouver la voix de l’homme, ses analyses, sa vision. Une forme d’apaisement, peut-être. Ou en tout cas une matière à réflexion plus solide que les rumeurs.
Un phénomène qui pourrait faire école
Ce qui se passe actuellement en Eure-et-Loir n’est peut-être pas isolé. On voit bien que dans un contexte de défiance généralisée envers les élites politiques, les élus de terrain, ceux qui cultivent la proximité, gardent un capital confiance important. Même après leur disparition.
Et puis il y a cette question qui flotte : est-ce que ce succès aurait été le même si l’auteur était encore en vie ? Probablement pas avec cette intensité. Il y a indéniablement un effet « testament » qui joue. Mais ça n’explique pas tout. Le fond du propos, le diagnostic posé sur la situation politique française, touche visiblement une corde sensible bien au-delà de la circonscription.
En attendant les prochains réassorts, les librairies locales prennent les commandes. Les listes d’attente s’allongent. Et quelque part, dans cette petite ville de province, un livre politique écrit il y a plusieurs mois continue de faire vivre un débat qui dépasse largement ses frontières.
Preuve, s’il en fallait encore une, que la politique, la vraie, celle qui touche les gens, ne se joue pas seulement dans les hémicycles ou les plateaux télé. Elle se joue aussi, parfois, entre les rayons d’une librairie de centre-ville, quand un livre arrive au bon moment, avec les bonnes paroles, portées par une voix qui manque déjà.
