Vous vous souvenez du service militaire ? Cette année où l’on coupait les cheveux à ras, où l’on apprenait à démonter un FAMAS en moins de trente secondes et où, paraît-il, on devenait un homme ? Pour beaucoup, c’est un souvenir de grand-père. Pour d’autres, un fantasme un peu réac. Et puis il y a Louis Sarkozy qui, à 28 ans, balance l’idée comme on jette une grenade dégoupillée dans un salon mondain.
Son truc ? Pas un retour du service obligatoire pour tous – trop cher, trop compliqué – mais une version moderne, ciblée, presque dystopique : une loterie. Tirer au sort une partie des immigrés légaux et certains petits délinquants pour les envoyer sous les drapeaux. Objectif affiché : « fabriquer du Français à la chaîne, comme on fond de l’acier.
Une idée qui ne sort pas de nulle part
Il faut bien le dire, le contexte joue pour lui. Les chiffres de la délinquance des mineurs font peur, l’intégration patine, et une partie de l’opinion rêve d’une France où tout le monde chanterait La Marseillaise en se tenant par l’épaule. Louis Sarkozy, lui, a passé quatre ans dans une académie militaire américaine. Il sait de quoi il parle quand il évoque la discipline, la vie en collectivité, le dépassement de soi. Et il cite Lyautey comme d’autres citent Booba.
« L’armée est la grande école de la nation, le lieu où se mêlent ouvriers et étudiants, croyants et athées, ruraux et urbains. Quand vous mettez tout le monde en uniforme, il n’y a plus de clans. Il reste une nation. »
Louis Sarkozy, en substance
L’image est belle. Presque trop. On imagine le gamin de banlieue et le fils de bonne famille partageant la même gamelle, dormant dans le même dortoir, découvrant qu’ils aiment tous les deux le rap de Jul ou le rugby. Sauf que la réalité est rarement aussi romanesque.
La loterie, version XXIe siècle
Le principe est simple, presque brutal dans sa simplicité. À l’arrivée sur le sol français, chaque immigré légal aurait – disons – 10 % de chances d’être appelé sous les drapeaux. Pas de volontariat, pas de plan de carrière : le hasard pur. Un peu comme la green card aux États-Unis, mais en version treillis et rangers.
Pour Louis Sarkozy, c’est doublement gagnant :
- Dissuasion : ceux qui viennent uniquement pour les allocs ou pour dealer réfléchiront à deux fois.
- Intégration express : treize mois (ou plus) dans l’armée, et tu ressors bilingue en jargon militaire et en valeurs républicaines.
Il ajoute même une variante pour la petite délinquance. Au lieu de la prison ou du bracelet électronique, direction la caserne. Encadrement par des légionnaires, formation dure, mais pas d’arme dès le premier jour (« on n’est pas fous », précise-t-il). Et si ça ne marche pas ? Retour en cellule, sans discussion.
Ce qui coince quand même pas mal
Soyons honnêtes : l’idée fait grincer des dents à gauche, mais aussi chez certains à droite. D’abord parce qu’elle repose sur une vision presque magique de l’armée comme machine à assimiler. Comme si mettre un treillis sur quelqu’un effaçait automatiquement ses références culturelles, sa religion, son histoire familiale.
Ensuite, il y a la question du consentement. Tirer au sort des gens pour les envoyer de force sous les drapeaux, même légalement présents, ça pose un sacré problème éthique. On parle d’individus qui ont fui la guerre, la misère, parfois les deux. Leur dire « bienvenue, maintenant tu vas apprendre à ramper dans la boue »… ça peut passer pour une punition déguisée.
Et puis il y a le risque inverse : que des profils radicalisés se retrouvent formés militairement. Même si l’armée sait repérer et éjecter les éléments dangereux, personne n’est infaillible. On se souvient tous de certains soldats français partis faire le djihad en Syrie après leur service.
L’armée, vraiment une « grande école de la nation » ?
Historiquement, oui. Le service militaire a joué un rôle énorme dans la construction de l’identité française. C’est là que les Bretons apprenaient à parler français, que les Corses côtoyaient les Alsaciens. Mais c’était une autre époque. Société moins mobile, moins diverse, moins individualiste.
Aujourd’hui, l’armée française est déjà l’une des plus méritocratiques d’Europe. On y trouve des enfants d’immigrés, des ultramarins, des ruraux, des banlieusards. Mais ils sont volontaires. C’est ça qui fait la différence. Le volontariat crée de l’adhésion. L’obligation, parfois, de la rancœur.
J’ai discuté avec d’anciens militaires. Beaucoup me disent que le service obligatoire, c’était bien pour l’époque, mais que l’armée professionnelle d’aujourd’hui n’a plus ni le temps ni les moyens d’encadrer des dizaines de milliers de jeunes récalcitrants. « On forme des soldats, pas des éducateurs spécialisés », me lâchait un colonel il n’y a pas longtemps.
Et le SNU dans tout ça ?
Louis Sarkozy tape fort sur le Service National Universel, ce « truc de politicards centristes décérébrés ». Il n’a pas complètement tort : deux semaines en centre aéré avec chant autour du feu, c’est mignon, mais ça ne remplace pas treize mois de vrai service.
Mais le SNU a au moins le mérite d’être universel et volontaire après la phase obligatoire courte. La loterie de Louis Sarkozy, elle, est sélective par nature. Elle créerait mécaniquement deux catégories d’immigrés : les chanceux et les malchanceux. Pas sûr que ça renforce la cohésion nationale.
Une proposition qui révèle un malaise plus profond
Au fond, ce qui est intéressant, c’est moins le détail technique que le symptôme. Louis Sarkozy met le doigt sur un sentiment partagé par beaucoup : l’impression que la France ne sait plus transmettre ni ses valeurs ni son histoire. Que l’école ne le fait plus assez, que la famille parfois non plus, et que la société est devenue une addition d’individus plutôt qu’une communauté.
L’armée comme ultime creuset ? L’idée n’est pas neuve. Israël le fait avec un succès certain. Singapour aussi. Mais ces pays ont une menace existentielle à leurs frontières. La France, non. Et c’est peut-être ça le vrai débat : avons-nous encore assez confiance en nous pour imposer quelque chose à ceux qui nous rejoignent ?
Personnellement, je trouve l’idée à la fois séduisante et inquiétante. Séduisante parce qu’elle part d’un constat juste : il manque un rite de passage collectif dans notre société atomisée. Inquiétante parce qu’elle flirte avec une vision utilitariste de l’immigration : tu viens, tu sers, ou tu dégages.
Entre les deux, il y a sans doute une troisième voie. Un service civique long, vraiment universel, qui mêlerait armée, hôpital, pompiers, associations. Quelque chose qui redonne le goût du collectif sans passer par la contrainte pure. Mais ça, c’est une autre histoire.
En attendant, Louis Sarkozy a réussi son coup : il a lancé un pavé dans la mare. Et quelque part, c’est déjà ça.
