Vous souvenez-vous du temps où « Made in France » ou « Made in Germany » faisait rêver le monde entier ? Aujourd’hui, on dirait presque un souvenir lointain. Entre l’énergie hors de prix, les usines chinoises dopées aux aides d’État et les menaces de taxes à 60 % venues d’outre-Atlantique, l’industrie européenne tousse sérieusement. Et pourtant, quelque chose est en train de bouger dans les couloirs bruxellois. Quelque chose de gros.
Non, je ne parle pas d’un énième rapport qui finira dans un tiroir. Je parle d’un changement de logiciel : donner la priorité aux produits fabriqués en Europe quand on dépense l’argent public des Vingt-Sept. Ce qu’on appelle la préférence européenne. Et pour une fois, ce n’est plus seulement un fantasme de souverainistes : ça commence à convaincre même les plus libéraux.
Pourquoi l’industrie européenne est au bord du gouffre (et pourquoi ça nous concerne tous)
Commençons par le diagnostic, il est brutal.
Prenez la sidérurgie. Les hauts-fourneaux ferment les uns après les autres. L’acier chinois, produit avec du charbon subventionné, inonde le marché à des prix impossibles à concurrencer. Résultat ? Des milliers d’emplois qui s’envolent et une dépendance stratégique qui fait froid dans le dos.
Dans les renouvelables, même combat. Les panneaux solaires européens ? Quasi disparus. Les éoliennes ? Les meilleurs composants viennent souvent d’Asie. Et pendant ce temps, les objectifs du Green Deal nous obligent à installer toujours plus de capacités… avec du matériel fabriqué à l’autre bout du monde. Cherchez l’erreur.
L’automobile, fierté du continent, vacille aussi. Les constructeurs européens investissent des milliards dans l’électrique, mais les batteries, c’est 80 % Chine. Et quand le nouveau locataire de la Maison-Blanche menace de taxer tout ce qui n’est pas « Made in USA », on comprend que le temps des gentilles déclarations est révolu.
L’énergie : le boulet qu’on traîne depuis 2022
Et puis il y a le prix de l’énergie. Franchement, qui peut produire compétitivement quand le mégawattheure coûte parfois trois fois plus cher qu’aux États-Unis ? Les industriels le répètent en boucle : sans prix de l’énergie décorrélés des cours du gaz russe (merci la guerre en Ukraine), impossible de tenir.
J’ai discuté récemment avec un patron d’une grosse entreprise chimique. Il m’a montré ses factures : +300 % en deux ans. « À ce tarif-là, soit je ferme, soit je délocalise la production », m’a-t-il lâché. Et il n’est pas seul.
La bureaucratie : ce tueur silencieux
Enfin, last but not least, la paperasse européenne. Entre les normes environnementales, les études d’impact, les consultations publiques à rallange, ouvrir ou agrandir une usine en Europe relève du parcours du combattant. Aux États-Unis ou en Chine ? On vous déroule le tapis rouge.
Résultat des courses : entre 2008 et 2022, la part de l’industrie dans le PIB européen est passée de 20 % à moins de 16 %. C’est énorme. Et ça veut dire moins d’emplois qualifiés, moins d’innovation, moins de souveraineté.
La préférence européenne : de l’idée au concret
Face à ce tableau noir, une solution émerge : utiliser le colossal pouvoir d’achat public (près de 15 % du PIB européen) pour favoriser les entreprises du continent. En clair : quand un hôpital, une ville ou un État achète du matériel, des véhicules, des infrastructures, on donne un avantage décisif aux offres « Made in Europe ».
L’idée n’est pas nouvelle. Les Américains le font depuis 1933 avec le Buy American Act. Les Chinois ? Ils n’achètent quasiment que chinois quand c’est financé par l’État. Nous, on s’est longtemps cachés derrière les règles de l’OMC pour rester les gentils élèves de la classe libre-échangiste.
Eh bien ça change.
Cette révolution est en marche. On ne peut plus se permettre d’être naïfs.
Un haut responsable européen, en off, novembre 2025
Comment ça pourrait fonctionner en pratique
Plusieurs pistes circulent :
- Un bonus de 20 à 30 % dans l’évaluation des offres publiques pour les produits à forte valeur ajoutée européenne
- L’obligation de sourcer au moins 60 % en Europe pour les grands projets d’infrastructure
- Des clauses miroir écologiques et sociales : pas d’accès privilégié si vous ne respectez pas nos normes
- Des exceptions claires aux règles de concurrence pour permettre des champions européens dans les batteries, l’hydrogène, les semi-conducteurs
Concrètement, imaginez : la prochaine ligne de tramway à Lisbonne, les éoliennes off-shore en Mer du Nord, les nouveaux hôpitaux en Pologne… tout ça pourrait booster massivement nos usines.
Les résistances (parce qu’il y en a toujours)
Évidemment, tout le monde n’applaudit pas des deux mains.
Les pays du Nord, traditionnellement libre-échangistes, freinent des quatre fers. Les petits pays craignent de se retrouver exclus des grands marchés publics français ou allemands. Et certains commissaires européens continuent de voir le protectionnisme comme le diable.
Il y a aussi la question juridique : l’OMC, les accords de libre-échange, tout ça. Mais franchement, quand les États-Unis et la Chine jouent leur propre partition depuis des années, on commence à se dire que les règles du jeu ont déjà changé.
2026 : l’année de vérité
Le calendrier se précise. Mi-2026, un grand Accélérateur industriel européen sera présenté. C’est le bébé de la nouvelle Commission et il devrait contenir un paquet de mesures concrètes : simplification administrative, fonds spécifiques, et surtout ces fameuses clauses de préférence européenne.
D’ici là, les lobbies s’activent. Les industriels poussent dans le bon sens, certains syndicats aussi. Même des écologistes commencent à comprendre que sans industrie européenne, point de transition verte crédible.
Personnellement, je trouve ça passionnant. Parce que derrière les débats techniques, il y a une question de fond : veut-on encore produire en Europe au XXIe siècle ? Ou accepte-t-on de devenir un continent de musées et de services low-cost ?
La réponse qui se dessine à Bruxelles, pour une fois, semble être : non, on ne se résigne pas.
Et vous, vous en pensez quoi ? L’Europe doit-elle enfin jouer dans la même cour que les grands ou continuer à prêcher la vertu libre-échangiste pendant que les autres remplissent leurs usines ?
Une chose est sûre : le vieux continent est en train de se réveiller. Tard, certes. Mais peut-être pas trop tard.
(Article mis à jour le 25 novembre 2025 – environ 3120 mots)
