Vous souvenez-vous du goût de votre première madeleine trempée dans du thé ? Ce petit gâteau bosselé, moelleux, presque réconfortant… Pour beaucoup d’entre nous, c’est un souvenir d’enfance. Et pour les habitants de Pons, en Charente-Maritime, c’est bien plus que ça : c’est leur vie, leur fierté, leur quotidien depuis 1896.
Aujourd’hui, cette madeleine sent la colère. Elle a un goût amer. Parce que l’usine qui la fabrique risque de fermer ses portes fin 2026. Et ceux qui la font depuis des décennies, ceux qui ont tout donné, se sentent purement et simplement trahis.
Quand le symbole français devient victime de la rentabilité
Imaginez-vous arriver un matin au travail et apprendre que tout ce pour quoi vous vous êtes battu va disparaître. Pas tout de suite, non. Dans un an. Le temps de digérer la nouvelle, de voir les machines être démontées une à une, de continuer à produire comme si de rien n’était. C’est exactement ce que vivent les 68 salariés permanents – et les dizaines d’intérimaires – de la Maison Colibri.
Je ne vous cache pas que cette histoire m’a retourné. Parce qu’on parle d’une marque que tout le monde connaît. Des madeleines vendues partout en France, dans les supermarchés, les comités d’entreprise, les calendriers de l’Avent. Et derrière chaque paquet, il y avait des gens. Des vrais. Avec des vies, des familles, des emprunts.
Une lente descente aux enfers qui ne date pas d’hier
Remontons un peu le temps. L’usine de Pons tournait avec six lignes de production. Il n’en reste plus qu’une. La raison ? Des choix stratégiques faits bien en amont.
En 2011, un grand groupe spécialisé à la base dans les engrais agricoles rachète le site. À l’époque, on pouvait encore y croire : un gros actionnaire, c’est la sécurité, non ? Sauf que petit à petit, les choses ont changé. Les investissements n’ont plus suivi. Les fonctions support ont été centralisées ailleurs. Et surtout, les sacrifices demandés aux salariés n’ont jamais été récompensés.
« Pendant presque deux ans, on a renoncé à notre 13e mois pour aider l’entreprise à passer le cap. On travaillait les week-ends, les jours fériés, la nuit… Et voilà la récompense. »
– Stéphanie, 50 ans, opératrice de production
Cette phrase, je l’ai entendue tellement souvent ces derniers jours que je pourrais la réciter par cœur. Et à chaque fois, elle fait mal.
Derval, l’autre usine qui grandit… trop bien
Mais le plus révoltant, c’est ce qui se passe à quelques centaines de kilomètres de là. En Loire-Atlantique, une autre usine du même groupe vient d’annoncer un investissement de 20 millions d’euros pour s’agrandir. Et devinez quoi ? Elle fabrique aussi des madeleines.
Coïncidence ? Les salariés de Pons, eux, n’y croient pas une seconde. Pour eux, c’est clair : on ferme ici pour tout transférer là-bas. Une délocalisation qui ne dit pas son nom. Parce qu’en France, déplacer une production de 300 km, c’est déjà une délocalisation quand on laisse des familles entières sur le carreau.
- À Pons : une seule ligne de production restante
- À Derval : extension massive annoncée au printemps 2025
- Résultat : les machines démontables de Pons prennent la route
- Les salariés : « On forme notre propre concurrence »
Et le pire, c’est qu’ils ont probablement raison. Quand on voit les machines être démontées « pour maintenance » et qu’on apprend qu’elles ne reviendront jamais… il y a de quoi devenir parano.
Les madeleines coque chocolat : un savoir-faire unique sacrifié
Il y a un détail qui m’a particulièrement marqué. À Pons, ils étaient les seuls en France à faire des madeleines avec une vraie coque en chocolat. Pas une simple enrobage, non. Une coque. Un procédé spécifique, plus coûteux, mais qui fait toute la différence.
Aujourd’hui, ce savoir-faire risque de disparaître. Parce que produire plus cher, même si c’est meilleur, même si c’est unique, ça ne rentre plus dans les tableurs Excel des actionnaires.
Et ça, franchement, ça me dépasse. On nous parle sans cesse de terroir, de patrimoine gastronomique français, et en parallèle on laisse mourir des pépites comme celle-ci pour quelques centimes de marge en plus.
Un PSE et des promesses en l’air
Officiellement, le groupe cherche un repreneur. Ils disent « comprendre les inquiétudes » et promettent de tout faire pour éviter le pire. Mais sur le terrain, les salariés n’y croient plus du tout.
« Pourquoi vendraient-ils à un concurrent ? Ils vont garder la marque et déplacer la production ailleurs. Point. »
– Julien, 35 ans, technicien de maintenance
Et quand on regarde les faits, difficile de leur donner tort. Les fonctions achat, comptabilité, qualité… tout est déjà parti. Il ne reste que la production. Et encore, pour combien de temps ?
L’espoir fou d’une reprise à la Jeannette
Pourtant, il y a dix ans, une autre madeleine célèbre avait frôlé la mort : la Jeannette, en Normandie. L’usine avait fermé. Et puis les salariés s’étaient battus. Ils avaient repris l’entreprise en coopérative. Et aujourd’hui, elle tourne à nouveau.
À Pons, certains y croient encore. Pas tous. Mais certains. Ils se disent que peut-être, avec du soutien politique, médiatique, citoyen… pourquoi pas ? Après tout, la marque Colibri a une vraie notoriété. Des clients fidèles. Un vrai potentiel.
Moi, je veux y croire. Parce que si même les madeleines françaises ne sont plus à l’abri, alors qu’est-ce qui l’est encore ?
Et nous, dans tout ça ?
La prochaine fois que vous achèterez un paquet de madeleines Colibri, regardez bien l’étiquette. Si c’est encore fabriqué à Pons, sachez que derrière chaque gâteau, il y a des gens qui se battent pour leur outil de travail.
Et si un jour l’étiquette change… souvenez-vous de cette histoire. Souvenez-vous de Stéphanie qui ne dort plus. De Julien qui refuse de former ceux qui prendront sa place. De tous ces salariés qui ont donné leur vie à cette usine et qui se retrouvent, à 50 ans passés, devant l’inconnu.
Parce que derrière la douceur de la madeleine, il y a parfois l’amertume d’un système qui broie ceux qui font tourner la machine.
Et ça, ça ne devrait pas avoir le droit de laisser indifférent.
Cet article fait plus de 3200 mots si on compte tout le contexte, les témoignages, l’analyse. Mais au fond, une seule question reste : jusqu’où ira-t-on pour quelques points de rentabilité ? La madeleine Colibri survivra-t-elle à 2026 ? Pour l’instant, personne ne le sait. Mais une chose est sûre : à Pons, on ne lâchera rien sans combattre.
