Ce matin-là, en arpentant le boulevard Beaumarchais, j’ai été frappé par l’étrange calme qui précède la tempête. Les scooters alignés devant un atelier de réparation semblaient attendre, comme leurs propriétaires, l’inévitable cortège de la manifestation du 18 septembre. À Paris, entre la place de la Bastille et la place de la Nation, les commerçants se préparent. Certains baissent le rideau, d’autres restent ouverts, défiant la peur des casseurs. Mais tous partagent un même sentiment : une lassitude teintée de méfiance face à ces journées de tensions sociales.
Une Journée sous Haute Tension à Paris
Chaque manifestation à Paris suit un rituel bien rodé, et celle du 18 septembre ne fait pas exception. Les autorités alertent les commerçants des risques de dégradations, les vitrines se barricadent, et l’ambiance oscille entre résignation et vigilance. Mais pourquoi cette méfiance ? D’où vient cette fatigue qui semble s’être installée dans les rues de la capitale ? Pour comprendre, il faut plonger dans le quotidien de ces commerçants, dont les boutiques sont à la fois un gagne-pain et une cible potentielle.
Les Commerçants sur le Qui-Vive
Sur le boulevard Beaumarchais, à deux pas de la place de la Bastille, les préparatifs sont méthodiques. Les forces de l’ordre ont prévenu : la manifestation pourrait attirer des casseurs, ces individus qui, sous couvert de revendications sociales, sèment le chaos. Une commerçante, que nous appellerons Sophie pour préserver son anonymat, m’a confié son plan : rentrer les scooters exposés devant son atelier, baisser le rideau blindé et attendre que le cortège passe. « On fait ça depuis des années, soupire-t-elle. C’est presque devenu une routine. »
« On ferme avant que les ennuis arrivent, et on rouvre après. C’est comme ça qu’on survit. »
– Une commerçante du boulevard Beaumarchais
Ce pragmatisme est partagé par beaucoup. Certains choisissent de rester ouverts, mais avec prudence. Un agent immobilier du même boulevard, Marc, préfère « attendre et voir ». Sa vitrine a été brisée quatre fois en cinq ans, un stigmate des Gilets jaunes et des manifestations qui ont suivi. « Depuis cette période, on sent que la violence est plus fréquente, plus imprévisible », confie-t-il. Cette montée des tensions a transformé la manière dont les commerçants abordent ces journées.
Un Parcours Jalonnné de Précautions
Le trajet de la manifestation, de Bastille à Nation via République, est un véritable casse-tête pour les commerçants. Sur le boulevard Voltaire, les panneaux de bois aggloméré fleurissent sur les vitrines. Guillaume, gérant d’une agence de voyages, en a fait une priorité après une expérience douloureuse l’an dernier. « Toutes mes vitrines ont été fracassées, raconte-t-il. Des pierres, des fumigènes, des poubelles en feu… J’ai tout vu. » Cette fois, il ne prend aucun risque, même s’il refuse de fermer boutique. « On continue à travailler, parce qu’on n’a pas le choix. »
- Panneaux de bois : utilisés par de nombreuses boutiques pour protéger les vitrines.
- Rideaux métalliques : souvent baissés dès le début de la manifestation.
- Surveillance accrue : les commerçants restent attentifs aux premiers signes de tension.
Les banques, cibles privilégiées des casseurs, adoptent des mesures encore plus draconiennes. Entre République et Nation, presque toutes ont barricadé leurs façades avec des grilles métalliques ou des panneaux épais. Ce contraste est frappant : tandis que les boutiques de vêtements ou les librairies hésitent à fermer, les établissements bancaires n’ont plus confiance. Un employé d’une grande banque m’a glissé : « On sait qu’on est dans le viseur. Alors on se protège, point final. »
Les Cafés et Restaurants : Une Résilience à Toute Épreuve
Si certaines boutiques optent pour la fermeture, les cafés et restaurants, eux, restent souvent ouverts, défiant les pronostics. Sur le boulevard Voltaire, les terrasses sont sorties, prêtes à accueillir les clients, même si ceux-ci se font rares. Chantal, employée dans une pâtisserie près du métro Oberkampf, explique : « En 18 ans ici, on n’a jamais eu de problème, même pendant les Gilets jaunes. On ferme les portes par précaution, mais on continue. »
« Les manifestations, c’est presque une tradition ici. On s’adapte, on fait avec. »
– Une employée de pâtisserie
Cette résilience n’est pas sans risques. Les restaurateurs savent que leur chiffre d’affaires chute lors de ces journées. Reynaldo, directeur d’un restaurant près de la place de la République, relativise : « On aura moins de clients, c’est sûr. Mais ici, c’est Paris, on est habitués. » Son établissement, un bistrot aux allures chaleureuses, reste ouvert toute la journée, comme un défi lancé aux tensions extérieures.
Un Contexte de Tensions Croissantes
Pourquoi ces manifestations suscitent-elles autant de craintes ? La réponse réside dans l’histoire récente. Depuis le mouvement des Gilets jaunes, les cortèges parisiens ont souvent dégénéré. Les autorités estiment que plusieurs milliers de casseurs pourraient se mêler aux manifestants pacifiques ce 18 septembre. Ce chiffre, bien que difficile à vérifier, alimente l’inquiétude. Les commerçants, eux, ne se contentent pas de spéculer : ils agissent, barricadent, surveillent.
| Événement | Impact sur les commerçants | Mesures prises |
| Gilets jaunes (2018-2019) | Vitrines brisées, pertes financières | Fermetures temporaires, protections |
| Manifestations 2023 | Feux de poubelles, dégradations | Panneaux de bois, surveillance |
| 18 septembre 2025 | Risques anticipés de casse | Rideaux baissés, équipes réduites |
Cette méfiance n’est pas sans fondement. Selon des sources officielles, la manifestation de ce jour a déjà conduit à des dizaines d’interpellations avant même son démarrage. Les forces de l’ordre, sur le qui-vive, multiplient les contrôles. Mais pour les commerçants, ces mesures ne suffisent pas toujours à apaiser les craintes.
Entre Solidarité et Résignation
Ce qui m’a marqué, en discutant avec ces commerçants, c’est leur ambivalence. D’un côté, beaucoup comprennent les revendications des manifestants. Chantal, la pâtissière, le dit sans détour : « Je ne vais pas manifester, mais je soutiens leur combat. » De l’autre, la lassitude domine. Les fermetures répétées, les pertes financières et l’angoisse des dégradations pèsent lourd. « À force, on se demande si ça vaut le coup de rester ouvert », confie Sophie, la réparatrice de scooters.
Et pourtant, ils tiennent bon. À la place de la République, l’ambiance est presque normale. Les habitués sirotent leur café, les serveurs s’activent, et la vie continue, comme un pied de nez aux tensions. Cette résilience, c’est peut-être ce qui définit le mieux l’esprit des commerçants parisiens. Ils savent que demain, une autre manifestation viendra peut-être perturber leur quotidien. Mais pour l’instant, ils s’adaptent, ils résistent, ils vivent.
Quel Avenir pour le Commerce Parisien ?
En repensant à cette journée, une question me taraude : combien de temps les commerçants pourront-ils tenir face à ces vagues de tensions ? Les manifestations, qu’elles soient pacifiques ou violentes, ont un coût. Perte de chiffre d’affaires, réparations, stress psychologique : la facture est lourde. Pourtant, fermer boutique n’est pas une solution viable à long terme. Alors, que faire ?
- Renforcer la sécurité : Plus de moyens pour les forces de l’ordre pourraient dissuader les casseurs.
- Soutenir les commerçants : Des aides financières ou des assurances spécifiques pourraient amortir les pertes.
- Dialogue social : Réduire les tensions sociales en amont pourrait limiter les débordements.
En attendant, les commerçants parisiens continuent de naviguer entre peur et résilience. Le 18 septembre, comme tant d’autres jours, ils ont prouvé qu’ils savent s’adapter. Mais à quel prix ? La réponse, peut-être, viendra avec le prochain cortège.
« Paris, c’est beau, mais c’est aussi fatigant. On apprend à vivre avec, c’est tout. »
– Un restaurateur de la place de la République
En quittant le boulevard Voltaire, je me suis surpris à admirer cette capacité à faire front, malgré tout. Les commerçants parisiens ne sont pas que des victimes des manifestations ; ils sont aussi les gardiens d’une ville qui, malgré les tempêtes, refuse de plier. Et ça, c’est peut-être l’aspect le plus inspirant de cette journée.
