Vous est-il déjà arrivé de sentir qu’une page se tourne sans que personne n’ose le dire à voix haute ? C’est exactement l’atmosphère qui flotte ces jours-ci autour du Rassemblement national.
Un sondage, paru il y a quelques jours, a fait l’effet d’une petite bombe : le président du parti, Jordan Bardella, y apparaît comme le grand vainqueur fictif de la présidentielle 2027, quel que soit l’adversaire au second tour. Un rêve éveillé pour n’importe quelle formation d’opposition. Pourtant, au lieu de crier victoire sur tous les toits, le RN a choisi… le silence radio. Voire pire : une forme de gêne palpable. La raison ? Marine Le Pen n’était même pas testée dans l’enquête. Comme si, déjà, on l’imaginait hors jeu.
Le malaise est palpable, et il a un nom
Difficile de ne pas y voir un symptôme. Le parti qui a bâti toute son ascension récente sur le visage et la voix de Marine Le Pen semble pris de court par la montée en puissance de son jeune lieutenant. À 30 ans à peine, Bardella incarne la nouvelle génération, celle qui parle aux réseaux sociaux comme personne, celle qui fait moins peur aux électorats modérés, celle qui, selon les chiffres, pourrait enfin faire tomber le plafond de verre au second tour.
Mais alors, pourquoi cette retenue ? Pourquoi ne pas se réjouir bruyamment de cette percée dans l’opinion ? La réponse tient peut-être dans cette phrase entendue dans les couloirs : « On ne célèbre pas la victoire de l’un en effaçant l’autre. »
Un sondage qui en dit long sur la stratégie… et sur les ego
Regardons les chiffres de plus près. L’étude en question place Bardella largement devant au second tour, que l’adversaire soit issu de la droite traditionnelle, de la gauche modérée ou même de l’extrême gauche la plus radicale. Des scores qui frôlent ou dépassent les 55 % dans certains cas. Autrement dit, le jeune président du RN apparaît aujourd’hui comme le seul capable de battre n’importe qui.
Problème : dans cette même enquête, Marine Le Pen n’apparaît nulle part. Pas même en hypothèse alternative. Un choix méthodologique ? Peut-être. Mais dans l’inconscient collectif du parti, cela résonne comme une mise à l’écart prématurée. D’où ce silence gêné, presque coupable.
« Il y a une forme de déni collectif », confie un cadre historique du mouvement. « On sait tous que Jordan est l’avenir, mais personne n’ose dire que cela signifie forcément la fin d’une ère. »
Et pourtant, les signaux sont là depuis des mois.
Les signes avant-coureurs qu’on refusait de voir
Rappelez-vous l’été dernier. Marine Le Pen, pour la première fois, avait publiquement évoqué la possibilité d’un passage de témoin. Pas tout de suite, bien sûr. Mais en 2027, pourquoi pas. Une phrase lâchée presque à contrecœur, comme si elle testait la température de l’eau avant de plonger.
Depuis, les événements se sont accélérés. Les européennes ont fait de Bardella le nouveau visage médiatique du parti. Les plateaux télé, les réseaux sociaux, les meetings : c’est lui qui porte la parole, lui qui récolte les applaudissements les plus nourris. Marine Le Pen, elle, semble peu à peu se mettre en retrait. Pas absente, non. Mais plus vraiment au centre.
J’ai personnellement été frappé, lors d’un récent rassemblement, de voir à quel point la salle vibrait davantage quand Bardella prenait le micro. Les drapeaux s’agitaient plus haut, les slogans fusaient plus fort. Un détail ? Peut-être. Mais les détails, en politique, finissent toujours par compter.
La dédiabolisation a un prix : l’effacement de la figure historique
Il faut le dire clairement : la stratégie de dédiabolisation, entamée il y a plus de dix ans, arrive à son point de rupture. Pour gagner, il fallait lisser les angles, adoucir le discours, attirer les électeurs de droite modérée et même une partie du centre. Mission accomplie en grande partie.
Mais cette normalisation a un coût. Et ce coût, c’est Marine Le Pen elle-même. Celle qui portait le nom maudit, celle qui incarnait la rupture, celle qui faisait encore peur à une partie de l’électorat. Aujourd’hui, pour la dernière étape – la victoire –, il semble qu’il faille aller plus loin. Quitte à ranger la figure historique au placard.
- Un discours plus policé
- Une image plus jeune et moderne
- Une capacité à parler à ceux qui votaient autrefois à droite républicaine
- Une moindre charge symbolique liée au nom « Le Pen »
Tous ces éléments plaident, objectivement, pour Jordan Bardella. Et c’est précisément ce qui rend la situation si délicate.
Le piège du « trop tôt »
Le vrai danger, pour le RN, serait de brusquer les choses. Marine Le Pen reste, pour des millions d’électeurs, la garante de la ligne, la femme qui a tenu bon pendant trois campagnes présidentielles. La faire disparaître trop vite pourrait fracturer la base, réveiller les vieux démons, redonner vie aux accusations de trahison.
À l’inverse, la garder trop longtemps pourrait bloquer l’élan. Car les Français, on le sait, aiment les renouvellements. Ils veulent du neuf, surtout quand l’ancien a déjà échoué deux fois au second tour.
C’est tout l’art du timing. Et pour l’instant, le parti semble paralysé par cette équation.
Et si le vrai vainqueur était… le silence ?
En refusant de commenter outre mesure ce sondage, le RN adopte une posture maligne. Ni triomphalisme prématuré, ni démenti qui ferait désordre. Juste un silence qui laisse planer le doute. Est-ce déjà acté ? Est-ce encore en discussion ? Personne ne sait. Et c’est peut-être exactement ce qu’il faut en ce moment.
Car pendant ce temps, les adversaires s’épuisent à commenter, à critiquer, à minimiser. « Une guimauve », a-t-on entendu d’un côté. « Il ne tiendra pas la distance », dit-on ailleurs. Pendant que les autres parlent, Bardella, lui, continue de labourer le terrain. Et Marine Le Pen, discrètement, prépare peut-être sa sortie par la grande porte.
2027 : l’année de tous les dangers pour le RN
Ce qui se joue aujourd’hui n’est rien moins que la survie du RN tel qu’on l’a connu. Soit le parti parvient à organiser une transition fluide, crédible, acceptée par tous, et il a une chance réelle d’accéder au pouvoir. Soit il rate ce virage, et il risque l’implosion ou, pire, la marginalisation.
Les prochains mois seront décisifs. Congrès, universités d’été, petites phrases, absences remarquées ou retours en force : chaque détail sera scruté. Et derrière les sourires de façade, la guerre des ego fait déjà rage.
Une chose est sûre : en politique, rien n’est jamais écrit. Mais pour la première fois depuis longtemps, on a l’impression que l’histoire du RN pourrait s’écrire… sans Le Pen.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Le RN est-il prêt à tourner la page Marine Le Pen ? Ou assiste-t-on à un déni collectif qui pourrait lui coûter très cher ? Les commentaires sont ouverts.
