Imaginez-vous malade début janvier, fiévreux, toussant comme un perdu, et votre médecin habituel… porte close. Pas de chance, c’est la grève. Et pas n’importe laquelle : une bonne partie des médecins libéraux de France menace de baisser le rideau pendant dix à quinze jours. Franchement, ça commence à sentir le brûlé dans le monde de la santé.
Je ne vous cache pas que, quand j’ai vu l’annonce, j’ai eu un petit pincement au cœur. Parce qu’on critique souvent les médecins qui gagnent bien leur vie, mais là, on touche à quelque chose de profond : l’avenir de la médecine de ville telle qu’on la connaît. Et croyez-moi, ce n’est pas juste une énième crise de nerfs syndicale.
Un front syndical qui se durcit comme jamais
Ce qui frappe d’abord, c’est l’unité. D’habitude, les syndicats de médecins se regardent en chiens de faïence. Là, tout le monde est sur la même longueur d’onde. Les généralistes, les spécialistes, les chirurgiens… même ceux qui ne s’entendent jamais sont d’accord sur un point : le projet de budget de la Sécurité sociale pour 2026 va trop loin.
Et quand je dis « tout le monde », je pèse mes mots. Des syndicats historiquement concurrents annoncent ensemble des fermetures de cabinets du 5 au 15 janvier, voire jusqu’au 19 pour certains blocs opératoires. C’est du jamais-vu depuis très longtemps.
Les trois mesures qui ont mis le feu aux poudres
Pour comprendre la colère, il faut regarder le texte en cours d’examen. Trois dispositions, en particulier, font bondir la profession.
- La suppression pure et simple des abattements fiscaux dont bénéficiaient les médecins conventionnés (secteur 1 et certains secteur 2)
- L’instauration d’une surcotisation sur les dépassements d’honoraires et sur les revenus des non-conventionnés
- Le droit donné à l’Assurance maladie de baisser unilatéralement les tarifs quand elle estime qu’un secteur est « trop rentable » (radiothérapie, imagerie, dialyse…)
Ces mesures, prises séparément, seraient déjà difficiles à avaler. Prises ensemble, elles donnent l’impression d’une véritable chasse aux sorcières contre la médecine libérale.
« Je n’ai jamais vu une attaque d’une telle ampleur contre la profession. La colère est immense. »
– Un président de syndicat représentatif, lors d’une récente conférence de presse
L’amendement socialiste qui a fait déborder le vase
Parmi tous les coups portés, il y en a un qui cristallise particulièrement la rage : un amendement voté à l’Assemblée nationale prévoyant la disparition des abattements fiscaux spécifiques aux médecins conventionnés.
Concrètement ? Un médecin qui déclare aujourd’hui 100 000 € de chiffre d’affaires bénéficie d’un abattement qui diminue son revenu imposable. Demain, fini. L’impact peut atteindre plusieurs milliers d’euros par an, voire beaucoup plus pour les spécialistes.
Et là, je vous vois venir : « Ils gagnent déjà bien leur vie, où est le problème ? » Sauf que cet avantage existait depuis des décennies pour compenser précisément le fait que les médecins libéraux n’ont ni chômage, ni retraite garantie, ni congés payés. Le supprimer sans rien mettre à la place, c’est un peu comme si on retirait les amortisseurs d’une voiture en disant qu’elle roule déjà vite.
Le deux poids, deux mesures qui exaspère
Autre point qui revient sans cesse dans les discours des syndicats : le budget prévu pour 2026 augmente les moyens de l’hôpital public de plus de 2 %, pendant que la médecine de ville doit se contenter de moins de 1 %. Autrement dit, on récompense ceux qui ont déjà et on sanctionne ceux qui assurent 80 % des consultations quotidiennes.
Je trouve ça assez sidérant, personnellement. Parce que tout le monde s’accorde à dire qu’il faut renforcer la médecine de proximité pour désengorger les urgences. Et dans les faits, on fait exactement l’inverse.
L’exil à Bruxelles, symbole fort ou coup de com’ ?
Parmi les images qui risquent de marquer les esprits, il y a cette idée lancée par certains chirurgiens : partir opérer à Bruxelles pendant la durée de la grève. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’en Belgique, les autorités françaises ne peuvent pas les réquisitionner.
Est-ce réaliste ? Probablement pas à grande échelle. Mais symboliquement, c’est violent. Ça dit : « Plutôt que de nous forcer la main, on préfère aller exercer ailleurs. » Et ça pose une question qu’on n’aime pas trop entendre : combien de médecins sont déjà en train de regarder sérieusement à l’étranger ?
Et les patients dans tout ça ?
Évidemment, la grande question qui brûle les lèvres : qui va soigner les Français si des milliers de cabinets ferment ? Les urgences, déjà saturées ? Les hôpitaux, déjà débordés ? C’est là que le bât blesse.
Les syndicats le savent parfaitement. Ils répètent qu’ils assureront les urgences vitales et les soins ne pouvant être reportés. Mais pour le reste – renouvellement d’ordonnance, certificat pour l’école, suivi de maladie chronique – ça risque d’être compliqué.
Et c’est peut-être le paradoxe le plus cruel : des médecins qui font grève pour défendre leur modèle… en risquant de pénaliser lourdement ceux qu’ils soignent au quotidien.
Un appel direct au chef de l’État
Ce qui est intéressant, c’est que les syndicats ne s’adressent plus vraiment au ministre de la Santé. Ils en appellent directement au Premier ministre et même au président de la République. Comme si, quelque part, ils avaient déjà acté que les arbitrages se feraient au plus haut niveau.
On sent que la profession joue son va-tout. Et qu’elle est prête à aller jusqu’au bout si personne ne bouge.
Que peut-il se passer maintenant ?
Plusieurs scénarios sont sur la table.
- Le gouvernement cède sur certains points avant la version définitive du texte (c’est arrivé par le passé)
- Les articles litigieux passent quand même et la grève a lieu – avec des conséquences difficiles à prévoir
- Un compromis de dernière minute est trouvé, mais à quel prix pour la profession ?
Ce qui est sûr, c’est que le climat est explosif. Et que cette fois, la menace semble particulièrement sérieuse.
Personnellement, je ne serais pas étonné que janvier 2026 reste dans les mémoires comme un tournant. Soit parce que le gouvernement aura reculé, soit parce que la fracture entre l’État et les médecins libéraux sera devenue irrémédiable.
En attendant, une chose est certaine : le dossier santé va occuper une bonne partie de l’actualité des prochaines semaines. Et nous, simples patients, allons suivre ça de très près. Parce que, au final, c’est notre accès aux soins qui se joue.
À suivre, donc. Très attentivement.
