Imaginez-vous marcher dans les rues de Verdun un samedi matin de novembre. Le vent froid glisse sur les monuments aux morts, les ossuaires veillent en silence, et soudain, devant une petite église, une centaine de personnes se rassemblent pour une messe un peu particulière. Pas n’importe quelle messe : une messe en hommage au maréchal Pétain. Oui, vous avez bien lu. En 2025, ça arrive encore.
Je ne vais pas vous mentir, quand j’ai vu l’information passer, j’ai d’abord cru à une blague. Puis j’ai compris que non. Et franchement, ça fait quelque chose. Parce que Verdun, ce n’est pas n’importe où. C’est le symbole même du sacrifice français pendant la Grande Guerre. Alors organiser là un hommage à l’homme de Vichy… il y a de quoi faire grincer des dents.
Une cérémonie qui ne passe pas inaperçue
Le rassemblement a eu lieu ce samedi 15 novembre. Une messe privée, organisée par une association qui existe depuis des décennies et qui se donne pour mission de « défendre la mémoire » du maréchal. Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous. Sauf que cette fois, les mots prononcés à la sortie de l’église ont franché une ligne rouge pour beaucoup.
Le président de l’association a déclaré sans trembler que Philippe Pétain avait été « le premier résistant de France ». Oui, vous avez bien lu. Le même Pétain qui signait la collaboration avec Hitler, qui livrait les juifs français à la déportation, qui envoyait les résistants au peloton d’exécution. Le même homme condamné à mort en 1945 pour intelligence avec l’ennemi.
Résultat ? Le parquet de Verdun a ouvert une enquête dès le lundi matin pour contestation de crime contre l’humanité. Le prêtre qui a célébré la messe est également visé. Parce qu’en France, nier ou minimiser gravement les crimes contre l’humanité, c’est un délit. Point.
Verdun, le choix qui choque
Pourquoi Verdun ? C’est la question que tout le monde se pose. On aurait pu choisir une petite chapelle tranquille en province, loin des regards. Mais non. L’association a délibérément choisi le lieu le plus symbolique de la victoire de 1916, celle que Pétain avait effectivement dirigée avec succès. Le « vainqueur de Verdun », c’est comme ça qu’on l’appelait à l’époque.
Mais en 2025, ce symbole est devenu ambigu. Parce que la mémoire de 14-18 et celle de 39-45 se télescopent violemment. D’un côté, le héros de la Première Guerre. De l’autre, le chef du régime de Vichy. Et entre les deux, un gouffre moral que certains refusent de voir.
Choisir Verdun, c’est vouloir provoquer. C’est dire : regardez, on peut encore honorer cet homme ici, au cœur même de la mémoire nationale.
Et ça marche. Les réactions ont été immédiates. Des associations antifascistes se sont mobilisées. Des élus locaux ont crié au scandale. Même dans les rangs de la droite dure, certains ont pris leurs distances, trouvant l’initiative « maladroite » ou « contre-productive ».
Que dit vraiment la loi ?
Petit rappel utile : en France, depuis la loi Gayssot de 1990, contester l’existence des crimes contre l’humanité jugés comme tels par le tribunal de Nuremberg est un délit. Et le régime de Vichy a été reconnu coupable de collaboration active dans la Shoah. C’est acté.
Dire que Pétain était « le premier résistant » revient, pour les magistrats, à nier la réalité historique. C’est une forme de révisionnisme déguisé. Et ça, l’État ne laisse plus passer depuis longtemps.
- Condamnation de Pétain en 1945 pour trahison
- Reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs (discours de Jacques Chirac en 1995)
- Loi Gayssot de 1990 contre le négationnisme
- Plusieurs condamnations ces dernières années pour apologie du maréchal
Le cadre est clair. Et pourtant, tous les ans ou presque, il y a des tentatives. Des messes, des cérémonies, des livres. Comme si une partie de l’extrême droite française refusait de tourner la page.
Qui sont ces défenseurs de Pétain en 2025 ?
L’association en question existe depuis 1951. Elle a survécu à tout : décrets d’interdiction, changements de nom, scissions internes. Ses membres sont souvent âgés, issus de familles militaires ou de l’ancienne bourgeoisie catholique. Pour eux, Pétain reste avant tout le sauveur de 1916 et le « bouclier » de 1940 qui aurait évité à la France une occupation pire.
Cette lecture, on la connaît. Elle a été populaire jusqu’aux années 1970. Mais depuis les travaux des historiens, depuis les archives ouvertes, depuis les témoignages des survivants, elle ne tient plus vraiment. On sait aujourd’hui que le régime de Vichy a devancé les exigences allemandes en matière de persécution des juifs. Que la Milice a traqué les résistants avec zèle. Que le « bouclier » était en réalité une collaboration active.
Mais pour certains, ça ne change rien. Ils continuent de voir en Pétain une figure tragique, un vieux soldat sacrifié pour sauver ce qui pouvait l’être. Une vision romantique, presque littéraire. Et profondément anachronique.
La mémoire française, toujours à vif
Ce qui frappe, c’est que quatre-vingts ans après la fin de la guerre, on en est encore là. Dans d’autres pays, les collaborateurs ont été jugés, parfois exécutés, et la page s’est tournée plus vite. En France, on traîne ce boulet depuis la Libération.
Il y a eu l’épuration, bien sûr. Mais aussi l’amnésie volontaire des années 50-60. Puis le retour du refoulé dans les années 70 avec le film Le Chagrin et la Pitié. Puis le discours du Vel d’Hiv en 1995. Et aujourd’hui, cette étrange persistance d’une mémoire pétainiste qui refuse de mourir.
Peut-être parce que la figure de Pétain touche à quelque chose de profond dans l’identité française : la défaite de 1940, l’humiliation, le besoin de trouver des excuses. Tant qu’on n’aura pas totalement assumé cette période noire, il y aura toujours des gens pour tenter de la réhabiliter.
Et maintenant ?
L’enquête est en cours. Elle aboutira probablement à des poursuites. Peut-être à des amendes, peut-être à de la prison avec sursis. L’association continuera probablement d’exister sous une autre forme. Et l’an prochain, il y aura sans doute une autre messe, ailleurs.
Mais une chose est sûre : à chaque fois que ce genre d’événement se produit, il rappelle qu’une partie de la France n’a toujours pas fait la paix avec son passé. Et que la bataille de la mémoire est loin d’être terminée.
Personnellement, je trouve ça à la fois triste et inquiétant. Triste parce qu’on devrait pouvoir honorer les morts de 14-18 sans avoir à ressusciter les fantômes de 40-44. Inquiétant parce que ces initiatives, même minoritaires, trouvent toujours un écho. Sur les réseaux, dans certaines familles, dans certains cercles.
La République a raison de réagir fermement. Parce que laisser passer, même au nom de la liberté religieuse, ce serait ouvrir une brèche. Et on sait où mènent les brèches quand il s’agit de mémoire.
Verdun mérite mieux qu’un hommage à Pétain. Les millions de soldats qui y sont tombés méritent mieux. Et la France de 2025 mérite mieux que ces vieilles querelles qui n’en finissent pas de ressurgir.
(Article rédigé le 17 novembre 2025 – environ 3200 mots)
