Parfois, la réalité dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Un gamin de 19 ans qui sort le soir sur un scooter, comme tant d’autres, et qui ne rentre jamais. Arthur, c’est son prénom, a été battu à mort au milieu de la nuit, en juillet 2021, au cœur de l’Essonne. Quatre ans plus tard, sa grande sœur monte à la barre et pleure encore. Et moi, en écoutant son récit, je me dis que quelque chose est profondément cassé dans notre façon de grandir en banlieue.
Un « lynchage » qui laisse des traces indélébiles
Quand Lisa prend la parole devant la cour d’assises, c’est tout un quartier qui semble retenir son souffle. Elle parle d’acharnement. Le mot est fort, mais il colle parfaitement à ce qu’elle décrit : des coups qui continuent alors que son petit frère est déjà inconscient, un casque de scooter utilisé comme arme, des vêtements arrachés pour humilier davantage. « Aucun être humain ne devrait subir ça », lâche-t-elle entre deux sanglots. Et on sent que ces images, elle les a en tête chaque nuit depuis quatre ans.
Ce qui rend l’histoire encore plus insoutenable, c’est la vidéo. Oui, les agresseurs ont filmé la scène et l’ont diffusée sur les réseaux, avec des commentaires moqueurs. Pour Lisa, c’est un trophée macabre. Un jeune homme qui agonise, transformé en contenu viral. Je me demande parfois jusqu’où peut aller la déshumanisation quand la haine de quartier se mélange à la course aux likes.
Ils ne se sont pas contentés de le frapper : il y a eu volonté de le tuer.
Lisa, sœur aînée d’Arthur
Une rivalité ancienne entre deux villes voisines
Pour comprendre, il faut remonter un peu. Sainte-Geneviève-des-Bois et Saint-Michel-sur-Orge, deux communes qui se touchent presque, mais où les jeunes se regardent en chiens de faïence depuis des années. Des histoires de regard, de territoire, de clips de rap qui s’envoient des piques. Arthur faisait partie du groupe « 2.4 secteur », côté Saint-Michel. En face, la « 700 S » de Sainte-Geneviève. Rien de bien méchant sur le papier, jusqu’au jour où ça bascule dans le réel.
Ce soir-là, Arthur et son ami Amine roulent sur un scooter volé. Direction Sainte-Geneviève. Pourquoi ? Les versions divergent. Vengeance, provocation, simple balade qui tourne mal ? Toujours est-il qu’ils tombent sur un groupe. Amine parvient à fuir, blessé. Arthur, lui, reste au sol.
- Des coups de poing et de pied d’abord
- Puis le casque de scooter qui s’abat
- Arthur perd connaissance
- Les agresseurs continuent, le déshabillent en partie
- La scène est filmée et partagée immédiatement
Transféré à l’hôpital, il décède deux jours plus tard. Il avait 19 ans.
Un seul accusé sur le banc, les autres libres
Et là, c’est le deuxième choc pour la famille. Un seul homme comparaît aujourd’hui : José M.M., 26 ans aujourd’hui. Il reconnaît avoir été présent, mais nie les coups mortels. Les trois autres mis en examen en 2023 ? Non-lieu. Faute de charges suffisantes, dit la justice. Léa, l’autre sœur d’Arthur, ne décolère pas : « Ils se promènent librement pendant que nous essayons de vivre avec une famille brisée. »
On comprend leur colère. Quand on voit une vidéo où plusieurs personnes frappent, on se dit que l’identification devrait être simple. Pourtant, quatre ans après, la justice n’a condamné personne pour la mort d’Arthur. C’est dur à avaler.
La plaque commémorative vandalisée, encore et encore
Comme si le deuil ne suffisait pas, la famille doit aussi gérer les provocations. Lisa a fait poser une plaque à l’endroit où son frère est tombé. Résultat ? Dégradée à plusieurs reprises. Des tags, des coups, parfois arrachée. Un acharnement post-mortem, en quelque sorte. Ça donne la mesure de la haine qui continue de couver.
Je me souviens d’une phrase d’un éducateur de quartier, il y a quelques années : « Tant que les gamins se sentiront obligés de venger l’honneur d’un quartier, on enterrera des adolescents. » On y est encore.
Arthur voulait-il vraiment arrêter ?
Majda, son ex-petite amie, le jure devant la cour : « Il était dans l’optique d’arrêter tout ça, il voulait reprendre sa vie en main. » La mort de leur mère en 2018 l’avait beaucoup marqué. Il parlait de s’éloigner des embrouilles, de se poser. Mais la spirale est parfois plus forte que les bonnes résolutions.
Une arme portant son ADN a été retrouvée près des lieux. Preuve qu’il n’était peut-être pas venu en simple touriste ? Ou simple coïncidence ? La question reste en suspens et alimente les débats dans la salle d’audience.
Pourquoi ces vidéos de lynchage circulent-elles encore ?
L’aspect le plus glaçant, à mon sens, c’est cette culture de la vidéo-trophée. On a vu ça avec d’autres affaires : des jeunes qui filment l’humiliation, la mise à mort presque, pour gagner du respect dans leur groupe. C’est une dérive terrifiante des réseaux sociaux, où la violence devient contenu et le contenu devient pouvoir.
Et le pire, c’est que ces images restent. Elles tournent, elles resurgissent, elles pourrissent la vie des familles. Lisa doit vivre avec la certitude que des milliers de personnes ont vu son frère agoniser. Quelle mère, quel frère, quelle sœur peut supporter ça ?
Une attente de justice qui dure depuis quatre ans
Aujourd’hui, la famille place tous ses espoirs dans ce procès. Lisa l’a dit clairement : « J’attends beaucoup de ce jugement. J’espère que justice sera faite au nom de mon petit frère. » Quatre ans d’attente, de questions sans réponses, de nuits blanches. Quatre ans à voir les auteurs présumés vivre normalement pendant qu’Arthur repose sous terre.
Et nous, en tant que société, qu’est-ce qu’on fait ? On regarde une énième rixe mortelle, on s’indigne deux jours, puis on passe à autre chose ? Moi, je crois qu’on rate quelque chose d’essentiel. Derrière chaque fait divers, il y a des gamins qui grandissent dans des territoires où la loi du plus fort remplace souvent celle de la République.
Cela fait quatre longues années qu’on vit avec le poids de ce décès.
Lisa
Ce procès, c’est peut-être une occasion de regarder les choses en face. De se demander pourquoi, en 2025, on enterre encore des adolescents pour des histoires de quartier. Pourquoi la prévention, l’éducation, le dialogue ne suffisent pas toujours. Et surtout, pourquoi certaines familles doivent se battre pendant des années pour qu’un minimum de vérité éclate.
Arthur avait 19 ans. Il rêvait probablement de tout un tas de choses qu’on rêve à cet âge : une voiture, un appart, une vie loin des embrouilles. Il n’aura pas eu le temps. Sa sœur, elle, continue le combat. Pour lui. Pour que son nom ne soit pas juste un titre dans les faits divers. Pour que, peut-être, un jour, un autre gamin rentre vivant d’une balade en scooter.
En sortant de la salle d’audience, on se dit que la justice des hommes a parfois du mal à panser les blessures. Mais tant que des sœurs comme Lisa témoigneront, la mémoire d’Arthur restera vivante. Et c’est déjà une forme de victoire sur l’oubli.
(Article rédigé à partir des débats en cours à la cour d’assises de l’Essonne – novembre 2025)
