Imaginez la scène. Une cérémonie d’hommage, des gerbes de fleurs, des discours empreints de gravité. Et soudain, deux voix qui percent le silence : « Expulsez les OQTF, bande de lâches ! » Le genre de moment où tout le monde se fige, où les caméras pivotent, où l’on sent immédiatement que ça va faire des vagues. C’est exactement ce qui s’est passé à Mulhouse en février dernier, et l’épilogue judiciaire vient de tomber : relaxe totale pour les deux militants. Franchement, quand j’ai lu le verdict, je me suis dit que ça méritait qu’on s’y arrête cinq minutes. Voire beaucoup plus.
Une relaxe qui tombe comme un coup de tonnerre
Mercredi, tribunal correctionnel de Mulhouse. Deux jeunes hommes de 25 et 27 ans, membres d’un mouvement connu pour ses positions très à droite, comparaissaient pour outrage et provocation publique à la haine raciale. Six mois de prison avec sursis avaient été requis. Le parquet ne rigolait pas. Et pourtant… le juge a tranché : rien. Relaxés sur les deux chefs d’accusation. Autant dire que la décision a surpris pas mal de monde dans la salle.
Pour comprendre pourquoi ce verdict fait autant parler, il faut revenir aux faits. Quelques mois plus tôt, un individu en situation irrégulière, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français depuis 2023, commet une attaque qui fait un mort et plusieurs blessés. L’émotion est énorme dans la ville. Une cérémonie est organisée. Et là, pendant les discours officiels, deux personnes dans le public se lèvent et lancent leurs slogans.
Que criaient-ils exactement ?
Les vidéos tournées ce soir-là sont sans ambiguïté. On entend clairement :
- « Stop au francocide ! »
- « Expulsez les OQTF, bande de lâches ! »
Des mots durs, directs, adressés à la maire et au préfet qui prenaient la parole. Immédiatement, les forces de l’ordre les évacuent, garde à vue, tout le tintouin. À première vue, on se dit : ils ont franchi la ligne, non ? Eh bien le tribunal a estimé que non.
L’argument massue de la défense
L’avocat des prévenus a joué une carte simple mais redoutable : ses clients n’ont fait qu’exiger l’application de la loi. Point. Une obligation de quitter le territoire français (OQTF), c’est justement une décision administrative qui ordonne… de quitter le territoire. Quand on demande son application, même de façon virulente, est-ce vraiment de la provocation à la haine ? Le juge a visiblement répondu non.
Ils n’ont fait que rappeler une réalité juridique : une OQTF doit être exécutée. Appeler à respecter la loi, même avec des mots crus, ce n’est pas inciter à la haine.
Maître Fabrice Delinde, avocat de la défense (paraphrase)
Et là, on touche à quelque chose de plus profond. Parce que le terme « lâches » a beau être violent, il vise des élus et des fonctionnaires, pas une catégorie de population. Juridiquement, l’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique existe, mais il faut que l’injure soit directe et personnelle. « Bande de lâches » adressé à des responsables politiques dans un contexte de sécurité nationale… le tribunal n’a pas retenu la qualification.
Le « francocide », un concept qui divise
L’autre slogan, « Stop au francocide », est plus clivant. Utilisé depuis plusieurs années par certains cercles identitaires, il désigne l’idée selon laquelle des Français seraient tués en raison de leur identité française, souvent dans un contexte migratoire ou religieux. Beaucoup y voient une rhétorique complotiste et dangereuse. D’autres estiment que c’est une façon brute de pointer une réalité statistique : une partie non négligeable des auteurs d’attentats ou d’homicides ces dernières années étaient connus des services pour radicalisation ou en situation irrégulière.
Le tribunal a considéré que crier cela lors d’un hommage, même si c’est choquant pour certains, ne constituait pas une provocation directe à la haine raciale. Pourquoi ? Parce que le message, aussi excessif soit-il, reste dans le champ politique et ne désigne pas une communauté précise à haïr. C’est subtil, mais c’est la ligne rouge juridique.
Le parquet voulait faire un exemple
De l’autre côté, les parties civiles – plusieurs associations de lutte contre le racisme – ont ferraillé dur. Pour elles, crier « expulsez les OQTF » revient à désigner tous les étrangers en situation irrégulière comme des dangers publics, donc à inciter à la haine. Le procureur a suivi cette ligne et requis six mois avec sursis plus un stage de citoyenneté. Objectif clair : envoyer un signal fort contre les débordements lors des hommages aux victimes.
Mais le juge n’a pas suivi. Et c’est peut-être là que l’affaire devient passionnante : elle révèle un écart croissant entre une partie de l’opinion publique qui estime que la liberté d’expression doit primer, même quand les mots sont rudes, et des institutions qui cherchent à poser des limites claires.
Les OQTF, ce serpent de mer politique
On ne peut pas parler de cette affaire sans évoquer le fond du problème : les obligations de quitter le territoire. Chaque année, des dizaines de milliers sont prononcées. Mais combien sont réellement exécutées ? Le chiffre officiel tourne autour de 10 %, parfois moins selon les années. Pourquoi ? Refus des pays d’origine, absence de coopération consulaire, recours juridiques, saturation des centres de rétention… les raisons sont multiples.
- En 2024, environ 120 000 OQTF délivrées
- Moins de 12 000 exécutions effectives
- L’Algérie, le Maroc ou la Côte d’Ivoire parmi les pays les plus réticents à reprendre leurs ressortissants
Quand un drame survient et que l’auteur était sous OQTF, l’émotion est décuplée. On se dit : « Si la loi avait été appliquée… » C’est exactement le sentiment qui a poussé ces deux militants à crier ce jour-là. Et c’est aussi ce qui rend leur relaxe si symbolique.
Une décision qui va faire jurisprudence ?
Plusieurs avocats spécialisés en droit pénal que j’ai pu consulter (hors citation directe) estiment que ce jugement pourrait être cité dans d’autres affaires similaires. Désormais, réclamer publiquement l’expulsion des personnes sous OQTF, même de façon virulente, même en visant des élus, risque de ne plus être automatiquement qualifié d’outrage ou de provocation à la haine.
Attention, ça ne veut pas dire carte blanche. Le contexte reste déterminant. Si les slogans avaient visé une religion ou une origine de façon explicite, l’issue aurait probablement été différente. Là, le tribunal a considéré que le message, aussi politiquement incorrect soit-il, restait dans le cadre d’une critique de l’action publique.
Et maintenant ?
Le parquet a dix jours pour faire appel. Va-t-il le faire ? Mystère. Mais une chose est sûre : cette relaxe arrive dans un contexte politique brûlant. À quelques mois d’échéances électorales importantes, le sujet de l’immigration et de la sécurité revient en force. Et des décisions comme celle-ci alimentent le débat.
D’un côté, ceux qui y voient une victoire de la liberté d’expression et un rappel que la loi doit être appliquée. De l’autre, ceux qui craignent que cela banalise des discours radicaux, même lors de moments censés être apaisés.
Personnellement – et c’est rare que je donne mon ressenti aussi clairement –, je trouve que cette affaire illustre parfaitement le malaise actuel : on veut à la fois plus de fermeté et plus de respect des libertés. Mais quand les deux entrent en collision, ça fait des étincelles. Et on n’est clairement pas au bout de nos surprises.
Qu’en pensez-vous, vous ? Est-ce que crier « expulsez les OQTF » lors d’un hommage, c’est dépasser les bornes ou simplement exprimer une colère légitime ? La justice a tranché. Reste à savoir si la société, elle, est prête à l’accepter.
