Imaginez un instant : vous allumez votre écran, prêt à regarder un live streaming, et ce qui devait être un moment de divertissement se transforme en une tragédie diffusée en direct devant des milliers de spectateurs. C’est ce qui s’est passé le 18 août 2025, lorsque Raphaël Graven, connu sous le pseudonyme Jean Pormanove, est décédé lors d’une diffusion sur la plateforme australienne Kick. Ce drame a choqué la France et mis en lumière une question brûlante : jusqu’où les plateformes de streaming sont-elles responsables des contenus qu’elles hébergent ?
Depuis ce jour, un vent de colère souffle sur Kick, accusée d’avoir laissé prospérer des contenus violents et humiliants. La justice française, avec une plainte imminente et deux enquêtes en cours, place la plateforme sous un microscope judiciaire. Mais que risque-t-elle vraiment ? Entre lois européennes, failles de modération et indignation publique, plongée dans une affaire qui secoue le monde du numérique.
Une Tragédie Qui Révèle Les Zones D’ombre Du Streaming
Le décès de Jean Pormanove n’est pas un incident isolé, mais le point culminant d’une série de dérives. Pendant des mois, cet ancien militaire de 46 ans a été victime de violences physiques et psychologiques diffusées en direct. Coups, insultes, strangulations : ces actes, orchestrés par deux autres streamers, ont attiré un public prêt à payer pour voir toujours plus de spectacle morbide. Ce qui choque, c’est que Kick, connue pour sa modération légère, n’a pas stoppé ces contenus malgré des alertes répétées.
Je me souviens d’une discussion avec un ami, fervent consommateur de streams, qui me confiait son malaise face à l’escalade de la violence en ligne. « On dirait que certains cherchent juste à choquer pour exister », m’avait-il dit. Cette réflexion résonne aujourd’hui avec une triste ironie. Comment une plateforme peut-elle laisser de tels contenus prospérer sans réagir ?
Kick, Une Plateforme Au Modèle Controversé
Pour comprendre les accusations portées contre Kick, il faut d’abord plonger dans son fonctionnement. Lancée en 2022 par deux entrepreneurs australiens, la plateforme se veut une alternative audacieuse à Twitch, le géant du streaming. Son argument de vente ? Une modération permissive et une rémunération attractive pour les créateurs, avec seulement 5 % de commission sur les abonnements, contre 30 à 50 % pour son concurrent. Ce modèle a attiré des streamers bannis d’autres plateformes, souvent pour des contenus controversés.
Les plateformes comme Kick misent sur une liberté quasi totale pour séduire les créateurs, mais cela ouvre la porte à des dérives inacceptables.
– Expert en régulation numérique
Cette permissivité a fait de Kick un refuge pour des contenus extrêmes, allant des jeux d’argent interdits ailleurs à des scènes de violence ou à caractère sexuel. Dans le cas de Jean Pormanove, les vidéos diffusées étaient non seulement violentes, mais aussi financièrement lucratives : un compteur affichait plus de 36 000 euros récoltés lors du dernier live. Ce modèle économique, où les spectateurs payent pour encourager des actes choquants, soulève des questions éthiques majeures.
Les Accusations Judiciaires : Une Tempête Légale
La justice française ne reste pas les bras croisés. Une plainte déposée par la ministre déléguée au Numérique, qualifiant les responsables de Kick de « voyous du numérique », vise à établir la responsabilité de la plateforme. Deux enquêtes judiciaires sont en cours :
- Enquête de Nice : Ouverte en décembre 2024 pour provocation à la haine, violences sur personnes vulnérables et diffusion d’images illicites, elle examine les agissements des co-streamers de Pormanove.
- Enquête de Paris : Lancée récemment, elle se concentre sur les pratiques globales de Kick, notamment sa gestion des contenus illégaux.
Ces investigations s’appuient sur la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004, qui oblige les plateformes à retirer tout contenu manifestement illicite signalé. En parallèle, le règlement européen sur les services numériques (DSA), en vigueur depuis février 2024, impose des obligations strictes de modération et de signalement. Kick, bien que basée en Australie, est soumise à ces règles dès lors qu’elle cible des utilisateurs européens.
Ce qui complique l’affaire, c’est que Jean Pormanove lui-même, lors d’une audition en janvier 2025, avait nié être victime, décrivant ces actes comme des mises en scène pour « faire le buzz ». Cette déclaration soulève une question troublante : peut-on consentir à sa propre maltraitance en ligne ? Pour moi, cette idée semble bancale, surtout quand on considère l’état psychologique fragile de la victime.
Les Risques Légaux Pour Kick
Alors, que risque réellement Kick ? Les sanctions possibles sont multiples, et elles pourraient frapper fort :
- Amendes financières : Le DSA prévoit des amendes pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial d’une plateforme en cas de non-conformité.
- Blocage de la plateforme : Les autorités françaises pourraient demander à la justice de bloquer l’accès à Kick en France, bien que cela reste complexe à mettre en œuvre.
- Poursuites pénales : Si la complicité dans la diffusion de contenus illicites est prouvée, les dirigeants pourraient faire face à des accusations criminelles.
- Atteinte à la réputation : Au-delà des sanctions légales, le scandale entache l’image de Kick, risquant de détourner annonceurs et utilisateurs.
Un tableau résume les enjeux légaux auxquels Kick est confronté :
| Infraction présumée | Base légale | Sanction potentielle |
| Diffusion de contenus illicites | Loi de 2004, DSA | Amende jusqu’à 6 % du CA |
| Non-retrait de contenus signalés | DSA | Blocage partiel ou total |
| Complicité dans des violences | Code pénal | Poursuites criminelles |
Ce qui rend l’affaire encore plus complexe, c’est l’absence initiale d’un représentant légal de Kick en Europe, un point qui a freiné les actions des régulateurs. Depuis le drame, la plateforme a désigné un représentant à Malte, facilitant ainsi les démarches judiciaires.
Une Modération Défaillante : Le Cœur Du Problème
Le nœud de l’affaire réside dans la modération laxiste de Kick. Contrairement à d’autres plateformes, elle a bâti sa réputation sur une liberté quasi totale, attirant des créateurs en quête de visibilité sans contraintes. Mais cette stratégie a un prix. Des signalements de violences avaient été faits dès 2024, notamment par des associations, sans réponse significative de la plateforme.
Laisser des contenus violents prospérer pour des raisons financières est une faute morale autant que légale.
– Avocat spécialisé en droit numérique
Après le drame, Kick a tenté de limiter les dégâts en bannissant les co-streamers impliqués et en promettant une révision complète de ses contenus francophones. Mais pour beaucoup, c’est trop peu, trop tard. Les réseaux sociaux bruissent de colère, certains accusant Kick d’avoir profité de la notoriété de Pormanove pour promouvoir sa plateforme.
Un Débat Sociétal Plus Large
Ce drame dépasse le cadre de Kick. Il interroge notre rapport au voyeurisme numérique. Pourquoi des milliers de spectateurs ont-ils regardé, et parfois financé, ces actes ? Sommes-nous complices, en tant que société, de cette dérive ? J’ai du mal à comprendre comment on peut trouver du plaisir à regarder quelqu’un être humilié en direct. Cela rappelle ces arènes antiques où la foule se délectait de spectacles violents.
Les experts pointent du doigt un phénomène plus large : la gamification de la violence. Les plateformes comme Kick, en monétisant l’interaction, encouragent les créateurs à repousser les limites pour capter l’attention. Ce système, où chaque don augmente l’intensité des actes, est une spirale dangereuse.
Mécanisme toxique des plateformes : 1. Contenu provocateur = vues 2. Vues = dons des spectateurs 3. Dons = incitation à l’escalade
Ce modèle économique, combiné à une absence de garde-fous, crée un terrain fertile pour les dérives. Les régulateurs, comme l’Arcom en France, se retrouvent souvent démunis face à des plateformes basées à l’étranger. Pourtant, le DSA offre un cadre pour agir, et l’affaire Pormanove pourrait devenir un cas d’école.
Vers Une Régulation Plus Stricte ?
La ministre déléguée au Numérique a fait de Kick son « combat ». Cette affaire pourrait accélérer la mise en place de régulations plus strictes pour les plateformes de streaming. Voici ce qui pourrait changer :
- Renforcement des obligations de modération : Les plateformes pourraient être forcées de mettre en place des systèmes de détection automatique des contenus violents.
- Responsabilité accrue : Des sanctions plus lourdes pour les plateformes qui ignorent les signalements.
- Coopération internationale : Une meilleure coordination entre les régulateurs européens pour cibler les entreprises basées hors UE.
L’Union européenne, avec son Digital Services Act, montre déjà la voie. Mais appliquer ces règles à des plateformes comme Kick, qui opèrent dans une zone grise, reste un défi. L’indignation publique pourrait toutefois pousser les autorités à agir plus vite.
Et Maintenant, Que Faire ?
Le décès de Jean Pormanove est un signal d’alarme. Il nous force à réfléchir à la responsabilité collective dans l’écosystème numérique. Les plateformes comme Kick ne peuvent plus se cacher derrière l’excuse de la liberté d’expression. Les spectateurs, en finançant ces contenus, jouent aussi un rôle. Et nous, en tant qu’utilisateurs d’internet, devons-nous poser la question : que regardons-nous, et pourquoi ?
Pour ma part, cette affaire me laisse un goût amer. Elle révèle une facette sombre du numérique, où la quête de clics et d’argent peut mener à des tragédies. Kick devra répondre de ses actes, mais c’est aussi à nous, en tant que société, de redéfinir les limites du divertissement en ligne.
Le numérique n’est pas une zone de non-droit. Il est temps que les plateformes assument leurs responsabilités.
– Représentant d’une association de défense des droits
En attendant les conclusions des enquêtes, une chose est sûre : l’affaire Jean Pormanove marquera un tournant. Elle pourrait redessiner les contours de la régulation numérique, non seulement en France, mais dans toute l’Europe. Et peut-être, enfin, pousser les plateformes à agir avant qu’une nouvelle tragédie ne se produise.
