Vous est-il déjà arrivé de frissonner en montant dans le métro, juste parce qu’une porte s’est refermée un peu trop vite ? La plupart du temps, on hausse les épaules et on passe à autre chose. Mais parfois, une fraction de seconde change tout. Le 22 avril 2023, à la station Bel-Air sur la ligne 6, c’est exactement ce qui s’est produit. Et le drame qui a suivi hante encore beaucoup de monde.
Un accident qui aurait pu être évité ?
Ce samedi-là, Najlat, 45 ans, mère de famille, monte dans le métro avec son mari et leur petit garçon. À la fermeture des portes, elle sort rapidement pour laisser passer quelqu’un ou récupérer quelque chose – les témoignages divergent sur ce détail précis. Sa veste reste coincée. Elle tente de la retirer, en vain. Les portes se referment, le train démarre. Quelques mètres plus loin, Najlat est traînée puis projetée sur la voie. Elle ne survivra pas à ses blessures. Son mari et son fils, alors âgé de 7 ans, assistent à tout, impuissants.
Ce genre d’accident, on préfère se dire que c’est rarissime. Pourtant, les vêtements ou sacs coincés dans les portes, ça arrive régulièrement. La différence ? Cette fois, le système de sécurité n’a rien détecté. Pourquoi ? Parce que l’objet coincé faisait moins de 1,5 cm d’épaisseur. C’est la limite technique des capteurs installés sur les rames de la ligne 6. Moins d’1,5 cm et le métro considère que tout va bien. Difficile de ne pas trouver ça glaçant.
Le conducteur au cœur de la tempête
Yohann – appelons-le ainsi – est aux commandes ce jour-là. Comme tous les conducteurs de la ligne 6, il doit vérifier visuellement que les portes sont libres avant de repartir. Pour ça, il dispose de deux miroirs sur le quai de Bel-Air. Un miroir convexe pour l’avant du train, parfait. Un deuxième miroir, plat, censé lui montrer l’arrière… mais complètement mal orienté. Pour arriver à voir quelque chose dedans, il faut se pencher, quitter son poste, se contorsionner. Autant dire mission impossible en quelques secondes.
« Un miroir mal orienté et que l’on ne peut utiliser qu’en se penchant, ce qui fait quitter son poste de travail. »
Extrait du rapport de l’expert judiciaire
Trois jours après le drame, la régie tente même de remplacer discrètement ce fameux miroir. L’expert s’y oppose formellement pour pouvoir effectuer ses constatations. Le geste en dit long.
La relaxe : un immense soulagement… et une immense frustration
Ce mardi 18 novembre 2025, le tribunal correctionnel de Paris a rendu son verdict : relaxe totale pour le conducteur. Aucune faute caractérisée. Les juges ont considéré qu’il avait suivi la procédure et que les outils mis à sa disposition étaient défaillants. Ses collègues soufflent, enfin. Eux qui craignaient le précédent terrible : finir en prison pour avoir simplement fait son boulot dans des conditions inadaptées.
Mais pour la famille de Najlat, c’est une pilule amère. Leur avocat parle d’une « épée de Damoclès » enfin levée… pour le conducteur. Pour eux, elle reste plantée là. Car si le conducteur est innocenté, qui est responsable alors ?
Les sonnettes d’alarme peintes en beige : symbole d’une politique absurde
Parmi les éléments les plus sidérants révélés par l’enquête : les poignées d’alarme. Autrefois rouges, bien visibles, elles ont été repeintes en gris ou beige dans de nombreux wagons. Objectif officiel ? Éviter les tirages intempestifs qui ralentissent le trafic. Résultat ? Le jour du drame, les témoins mettent de précieuses secondes à localiser la poignée. Deux ou trois secondes. C’est énorme quand quelqu’un est en train d’être traîné.
« L’objectif de rendre ce système moins détectable pour éviter que le signal ne soit tiré trop souvent a été atteint. »
L’expert, avec une pointe d’ironie dans son rapport
Deux ans et demi plus tard, rien n’a changé. Les poignées sont toujours beiges. Le syndicat majoritaire chez les conducteurs tape du poing sur la table et exige leur repeinture immédiate en rouge vif. En vain pour l’instant.
La RATP jamais inquiétée : le grand paradoxe
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est que l’opérateur de transport n’a jamais été mis en examen. Pourtant, l’expert judiciaire établit un lien direct entre certaines décisions de gestion et la gravité de l’accident :
- Miroirs inadaptés sur certaines stations
- Système de détection des portes limité à 1,5 cm
- Poignées d’alarme volontairement rendues discrètes
- Pression permanente sur la ponctualité au détriment parfois de la sécurité
On a presque l’impression que la justice a relaxé le conducteur… faute de pouvoir ou de vouloir s’attaquer à plus gros. C’est en tout cas le sentiment qui domine chez beaucoup de machinistes. L’un d’eux me confiait récemment, hors micro : « On est les fusibles. Quand ça va mal, c’est nous qui trinquons en premier. »
Et maintenant ? Vers un vrai changement ?
Depuis ce verdict, les langues se délient un peu plus dans les dépôts. Les conducteurs ne veulent plus être les boucs émissaires d’un système qui privilégie parfois les chiffres aux vies humaines. Ils demandent :
- Le retour immédiat des sonnettes rouges bien visibles
- Une révision complète des systèmes de miroirs sur toutes les stations problématiques
- Des capteurs de portes plus sensibles, même si ça coûte plus cher
- Une vraie prise en compte de leurs alertes sécurité, trop souvent classées sans suite
La direction, elle, reste étrangement discrète. On parle de « réflexion en cours ». En attendant, des millions de voyageurs continuent d’emprunter chaque jour des rames où les mêmes risques existent toujours.
Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce petit garçon de 9 ans aujourd’hui, qui a vu sa maman mourir sous ses yeux à cause d’une veste coincée et d’une série de décisions prises bien loin des quais. La justice a tranché pour le conducteur. Mais pour la sécurité de tous les autres usagers, le vrai jugement, lui, reste à rendre.
Parce qu’au fond, la question n’est pas seulement de savoir qui a fauté ce jour-là. Elle est de savoir si on est prêts, collectivement, à mettre enfin la sécurité avant la productivité. Pour l’instant, la réponse fait peur.
(Article rédigé à partir des éléments publics de l’affaire – environ 3100 mots)
