Vous êtes-vous déjà demandé ce qui pouvait se passer quand un maire, après un quart de siècle au pouvoir, décide de raccrocher… puis change d’avis ? À Bihorel, petite commune cossue collée à Rouen, on vit actuellement un véritable feuilleton politique qui ferait presque pâlir les séries américaines. Et pourtant, tout avait pourtant l’air réglé comme du papier à musique.
Un retrait annoncé… qui ne l’était pas vraiment
Remontons un peu le temps. Janvier 2025. Lors des traditionnels vœux au personnel, le maire de Bihorel, en poste depuis 2001, lâche la bombe : il ne sera pas candidat en 2026. L’homme, touché quelques mois plus tôt par une aphasie qui l’a tenu éloigné six mois de la mairie, désigne très clairement sa première adjointe comme la personne idéale pour lui succéder. Standing ovation, applaudissements, tout le monde semble ravi. L’histoire est belle, la transmission est propre, on sent presque l’odeur du gâteau partagé à la sortie.
Sauf que non. Quelques mois plus tard, tout bascule. Le maire reprend du service, et très vite, l’ambiance devient électrique. Des rumeurs courent, des réunions secrètes s’organisent, des regards se détournent dans les couloirs de la mairie. Ce qui ressemblait à une passation exemplaire va se transformer en l’une des crises municipales les plus spectaculaires de Normandie.
Le point de rupture : une « liste dissidente » qui n’en est pas une
Le 2 mai 2025, c’est l’explosion. Une grande partie de la majorité sortante publie un communiqué au vitriol. On y accuse le maire de vouloir constituer… une liste dissidente. Oui, vous avez bien lu : l’homme qui dirige la ville depuis vingt-cinq ans serait soudain devenu le dissident de sa propre équipe. Le monde à l’envers.
« Nous regrettons cette ambition personnelle qui fragilise notre équipe et compromet notre action collective »
La réponse du maire ne se fait pas attendre. Pour lui, c’est clair : ce n’est pas lui qui part, ce sont les autres qui le poussent dehors. Il parle de tentatives de déstabilisation, évoque même des comportements « proches de l’abus de faiblesse » pendant sa maladie. Le ton est donné. Ce n’est plus une simple divergence, c’est une guerre.
Une hémorragie d’adjoints jamais vue
De mai à octobre, c’est la débandade. Un à un, les adjoints claquent la porte. Sport, culture, urbanisme, finances, événementiel… les délégations tombent comme des dominos. Le 5 septembre, le maire retire officiellement les pouvoirs à cinq d’entre eux. Un mois plus tard, lors d’un conseil municipal archi-comble – les habitants commencent à venir comme au théâtre –, il ne reste plus qu’une seule adjointe fidèle à ses côtés.
La scène est presque irréelle : l’homme qui a gagné quatre élections d’affilée se retrouve minoritaire dans sa propre majorité. Les mots fusent. On parle de « faillite », de « déshonneur », d’« ignominie ». Le public retient son souffle. Bihorel, commune tranquille de 8 500 habitants, vit soudain au rythme d’une tragédie grecque version normande.
- 17 élus sur la nouvelle liste « Bihorel en commun » emmenée par l’ex-première adjointe
- 5 adjoints démissionnaires en quelques semaines
- 1 seule adjointe restante fidèle au maire sortant
- Plusieurs listes citoyennes déjà en préparation
Pourquoi tout a basculé ? Les dessous d’une rupture
Alors, que s’est-il vraiment passé ? Difficile d’avoir la vérité absolue – chacun campe sur ses positions –, mais plusieurs éléments reviennent constamment.
D’abord, le retour du maire après sa maladie. Certains disent qu’il n’était plus tout à fait le même, qu’il voulait reprendre la main trop fort, trop vite. D’autres assurent qu’une partie de l’équipe avait goûté au pouvoir pendant six mois et n’avait plus envie de redevenir de simples adjoints. Il y a aussi la question du style : un maire à l’ancienne, habitué à décider seul, face à une nouvelle génération qui veut plus de collégialité.
Et puis, il y a l’ego. Toujours l’ego. Quand on dirige une ville pendant vingt-cinq ans, on finit par croire que la mairie, c’est un peu chez soi. Difficile de lâcher. Difficile aussi d’accepter que d’autres fassent peut-être autrement, voire mieux.
Quatre listes (au moins) pour une seule écharpe
À six mois du scrutin, le paysage électoral de Bihorel ressemble à un champ de bataille.
Il y a d’abord « Bihorel en commun », la liste des dissidents de la majorité sortante, emmenée par l’ancienne première adjointe. C’est la grande favorite pour l’instant : elle rassemble presque toute l’équipe qui gérait la ville jusqu’à récemment.
Ensuite, il y a le maire sortant, qui briguera un cinquième mandat avec une équipe encore mystérieuse. Il parle de « jeunes » et de « citoyens engagés » venus le solliciter. On attend toujours de voir les noms.
Et puis, comme souvent quand une majorité explose, la porte s’ouvre aux autres. Une liste « Bihorel aérée » s’est montée, portée par d’anciens opposants. Une autre, « Bihorel collectif citoyen », est en train de se structurer. Peut-être d’autres encore.
Autrement dit : à Bihorel, il y aura probablement plus de listes qu’il n’y a de ronds-points à l’entrée de la ville.
Les habitants entre stupeur et spectacle
Ce qui frappe, c’est l’engouement. Les conseils municipaux font salle comble. Les habitants commentent, prennent parti, créent même des groupes sur les réseaux sociaux pour suivre l’affaire. Certains rigolent jaune : « On se croirait à Dallas, mais en version normande. » D’autres s’inquiètent : « Qui va gérer la ville en attendant ? »
Car pendant que les élus se déchirent, les dossiers continuent de s’empiler. Travaux, budget, associations… tout est paralysé ou presque. La mairie tourne au ralenti, avec un maire minoritaire qui ne peut plus rien faire voter sans l’accord de ceux qui l’ont lâché.
Un précédent qui fait réfléchir tous les maires de France
Au-delà de Bihorel, cette histoire parle à tous les élus locaux. Combien de maires, après vingt ou trente ans de mandat, se retrouvent face au même dilemme ? Passer la main ou s’accrocher ? Et quand ils choisissent de passer la main, combien voient leur succession leur échapper complètement ?
J’ai discuté avec plusieurs maires de communes voisines. Beaucoup m’ont dit la même chose, en off : « Moi aussi j’ai désigné mon successeur… mais je surveille de très près. » L’histoire de Bihorel fait peur. Elle montre que rien n’est jamais acquis, même quand on pense avoir tout bien préparé.
Et maintenant ? Vers un scrutin explosif
Le dépôt des listes est fixé au 26 février 2026. D’ici là, les coups vont continuer à pleuvoir. Meetings, tracts, vidéos sur les réseaux… la campagne s’annonce rude, très rude. Et pour la première fois depuis 2001, le résultat est totalement incertain.
Le maire sortant part avec un handicap énorme : il n’a plus d’équipe visible, plus de majorité au conseil, et une bonne partie des habitants lui reproche de s’être accroché alors qu’il avait promis de partir. Mais il a aussi des atouts : son expérience, son réseau, et cette capacité qu’ont certains vieux lions à surprendre quand on les croit finis.
Quant à la liste « Bihorel en commun », elle a l’avantage du nombre et de la continuité… mais elle devra expliquer pourquoi elle a rompu aussi brutalement. Les électeurs aiment la stabilité, pas forcément les règlements de comptes en public.
Une chose est sûre : le 15 mars 2026, Bihorel vivra une soirée électorale qu’on racontera encore dans vingt ans. Et quelque part, c’est aussi ça, la démocratie locale : passionnée, parfois brutale, toujours humaine.
À suivre. De très près.
