Imaginez-vous en décembre, sur le marché de Noël de Metz, entre les odeurs de vin chaud et les lumières qui dansent sur la place de la Comédie. Et là, au milieu de la foule, une femme au sourire déterminé déclare que cette ville va basculer à gauche… et pas n’importe quelle gauche : une gauche verte. C’est exactement ce qui s’est passé il y a quelques jours, et franchement, ça mérite qu’on s’y arrête cinq minutes.
Parce que Metz, 120 000 habitants, préfecture de la Moselle, n’est pas n’importe quelle prise. C’est une ville qui a voté Macron au second tour en 2017 et 2022, qui a un maire divers droite depuis 2020, et qui, pourtant, garde dans sa mémoire récente deux mandatures socialistes. Bref, un terrain glissant où tout peut arriver. Et les écologistes, eux, sentent le vent tourner.
Une visite qui ne passe pas inaperçue
Quand la secrétaire nationale des Verts débarque dans une ville de province, ce n’est jamais anodin. Cette fois, elle n’est pas venue seule : meeting dans une friperie (symbole circulaire oblige), déambulation sur le marché de Noël, réunion publique… Tout y est. Le message est clair : on pose les jalons, on occupe le terrain, on montre qu’on est déjà chez soi.
Et le discours est offensif. Elle place carrément Metz dans son top 3 national des villes de droite qui vont tomber à gauche en mars 2026. Bordeaux, Lyon, Strasbourg sont déjà dans le giron écologiste. Metz pourrait être la prochaine grosse prise. Rien que ça.
« Metz est dans mon top 3 des grandes villes françaises de droite qui vont basculer à gauche. Et là, elle va basculer à gauche avec à sa tête un maire écologiste. »
– La patronne des Verts, sans détour
Quand on entend ça, on se dit : soit elle a des sondages ultra-confidentiels sous le coude, soit elle joue très gros pour mobiliser ses troupes. Probablement un peu des deux.
Jérémy Roques, l’homme sur qui tout repose
À 38 ans, le conseiller municipal d’opposition écologiste n’est pas un inconnu local. Déjà présent en 2020 sur la liste de gauche arrivée en deuxième position, il a passé six ans à ferrailler dans l’opposition. Il connaît les dossiers, il connaît la ville, il connaît les gens. Et surtout, il a cette capacité rare à parler à tout le monde sans donner l’impression de faire des compromis foireux.
Il incarne cette nouvelle génération d’élus verts : pas forcément un pur militant historique, mais quelqu’un qui a grandi avec l’urgence climatique chevillée au corps. Et à Metz, où la question de la pollution de l’air et du tout-voiture reste brûlante malgré les efforts, ça parle.
- Il défend une végétalisation massive du centre-ville
- Il veut remettre la Moselle au cœur de la ville avec des aménagements piétons et cyclables ambitieux
- Il propose une tarification sociale de l’eau et de l’énergie
- Il milite pour des menus végétariens par défaut dans les cantines (avec choix carné, bien sûr)
Des propositions qui, il y a dix ans, auraient fait hurler. Aujourd’hui, elles passent plutôt bien, même chez certains électeurs de centre-droit lassés des embouteillages et du béton.
Le maire sortant dans le viseur
François Grosdidier, lui, n’est pas un novice non plus. Sénateur pendant des années, maire depuis 2020, il a une stature, un réseau, et surtout l’avantage du sortant. Il a déjà prouvé qu’il savait gagner dans des contextes compliqués – souvenez-vous de 2020, où il avait battu la gauche unie avec 42 % au second tour.
Mais six ans plus tard, l’usure du pouvoir se fait sentir. Les critiques sur la propreté, sur certains projets immobiliers contestés, sur la gestion du stationnement commencent à peser. Et surtout, il y a cette étiquette « divers droite » qui lui permet de ratisser large… mais qui peut aussi le priver d’un soutien franc et massif des Républicains nouvelle version.
En clair : il reste favori, mais plus intouchable.
La gauche en kit
Et là, on touche le cœur du problème. Parce que si la droite part unie (ou presque), la gauche, elle, est en train de rejouer la partition de 2020… en pire.
À ce jour, on a :
- Les écologistes avec Jérémy Roques, soutenus par les communistes, les animalistes et une partie des ex-insoumis
- Le Parti socialiste derrière Bertrand Mertz, ancien collaborateur de Dominique Gros (maire de 2008 à 2020)
- La France insoumise avec Charlotte Leduc, qui fait campagne sur le thème « la vraie gauche »
Trois listes au premier tour, c’est la garantie quasi-mathématique que le maire sortant passe entre les gouttes. On l’a vu à Lille, à Nancy, ailleurs : quand la gauche se disperse, la droite ramasse la mise.
« La priorité, c’est l’union. Et le meilleur candidat pour porter cette union, c’est Jérémy. »
Le message est limpide. Les Verts tendent la main. Mais pour l’instant, personne ne la prend vraiment.
Pourquoi l’union est si compliquée
Il y a d’abord les ego, évidemment. Chacun pense avoir le meilleur projet, la meilleure légitimité. Mais il y a aussi des divergences réelles.
Le PS local reste marqué par les années Gros : une gestion plutôt pragmatique, parfois critiquée à gauche pour son côté « social-libéral ». Les Insoumis, eux, veulent incarner la rupture totale. Quant aux écologistes, ils essayent de tracer une troisième voie : radicale sur l’écologie, sociale sans être marxiste, ouverte sans être naïve.
Au milieu de tout ça, il y a aussi la question nationale. Après l’échec cuisant de la NUPES aux législatives de 2024 et la guerre ouverte entre Mélenchon et les autres, plus personne ne veut être celui qui « trahit » en s’alliant trop tôt.
Résultat : on assiste à une sorte de jeu de poker menteur où chacun attend que l’autre fasse le premier pas.
Et pourtant, le terrain est favorable
Parce qu’il faut le dire : Metz n’est pas une ville imperdable pour la gauche. Entre 2008 et 2020, elle a été dirigée par Dominique Gros avec des scores souvent très confortables. Le souvenir est encore vivace.
Et puis il y a les chiffres : aux dernières européennes, la liste écologiste a fait autour de 15 % dans la ville. Le PS et LFI ensemble dépassaient les 25 %. Si on additionne tout ça, on est largement au-dessus du maire sortant.
Mais on sait tous comment ça se passe : 15 + 12 + 10, ça ne fait pas 37, ça fait trois listes au premier tour et un maire reconduit.
Les scénarios possibles
À six mois du scrutin (oui, déjà), plusieurs hypothèses se dessinent :
- L’union dès le premier tour derrière Jérémy Roques – scénario rêvé par les Verts, mais qui suppose que PS et LFI acceptent de se ranger
- L’union au second tour – plus réaliste, mais qui nécessite que deux listes sur trois se maintiennent au premier tour sans se déchirer
- La dispersion totale – et dans ce cas, François Grosdidier peut préparer tranquillement son discours de victoire
Il y a aussi une quatrième option, moins évoquée : que le PS et les écologistes finissent par s’entendre sans LFI, ou l’inverse. Mais ça, ça ferait exploser la gauche pour dix ans.
Ce que ça nous dit de plus grand
Au-delà de Metz, cette bataille est un laboratoire passionnant. Les écologistes arrivent-ils à devenir la force centrale de la gauche française ? Peuvent-ils imposer leur tempo, leur style, leurs priorités ?
Ce qu’on voit à Metz, on le voit aussi à Toulouse, à Nantes, à Poitiers : là où les Verts ont su fédérer large, ils gagnent. Là où la gauche reste arc-en-ciel mais désuni, elle perd.
Et quelque part, c’est peut-être ça le vrai enjeu de 2026 : pas seulement qui va diriger les villes, mais quelle gauche va imposer sa vision pour les années à venir.
À Metz, le match est lancé. Et franchement, on n’a pas fini d’en parler.
Alors, verdict ? Les Verts vont-ils réussir leur pari fou ? J’ai tendance à penser que si l’union se fait – même tardive –, ils ont une vraie carte à jouer. Mais dans la politique locale, on sait tous que rien n’est écrit. Surtout pas à Metz.
