Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, malgré des scores nationaux impressionnants, le soir des élections, certaines grandes villes semblent totalement imperméables à la vague bleu marine ?
Regardez la carte des municipales 2020 : à peine une poignée de mairies de plus de 30 000 habitants, et quasiment zéro au-delà de 100 000. C’est le dernier bastion, le plafond de verre qui résiste encore. Mais en ce moment même, quelque chose est en train de bouger en profondeur.
Une nouvelle ambition urbaine qui ne date pas d’hier
Depuis plus de dix ans, on entend le même refrain : « la dédiabolisation », « l’ancrage local », « la proximité ». Des mots, beaucoup de mots. Mais concrètement, sur le terrain, les résultats restaient timides dans les métropoles. Cette fois, l’état-major semble avoir décidé que les discours ne suffiraient plus.
J’ai pu observer ces derniers mois une vraie accélération. Des réunions plus fréquentes, des profils recrutés spécifiquement pour les grandes agglomérations, des budgets communication revus à la hausse. On ne parle plus seulement de « faire mieux qu’en 2020 ». On parle de gagner. Vraiment.
Le constat est brutal mais lucide
Dans les villes de plus de 100 000 habitants, le parti ne compte quasiment aucun élu municipal. Quelques conseillers d’opposition par-ci par-là, parfois une percée symbolique, mais rien qui permette de peser durablement. Pourtant, les scores au premier tour des présidentielles ou des européennes y sont souvent supérieurs à 25 %, parfois 30 %.
Comment expliquer ce décalage ? Plusieurs facteurs se cumulent :
- Une image encore trop clivante pour une partie de l’électorat modéré urbain
- Des candidats parfois perçus comme parachutés
- Une absence historique de réseaux militants structurés dans les centre-villes
- Et surtout, une stratégie qui privilégiait jusqu’ici les zones périurbaines et rurales
Cette fois, l’équation change.
Une stratégie repensée de A à Z
Le mot d’ordre est simple : on ne peut plus faire l’impasse. Traduction concrète ? Des investissements humains et financiers jamais vus pour des municipales.
Première nouveauté qui frappe : la chasseurs de têtes et cabinets de recrutement tournent à plein régime. On cherche des profils issus de la société civile, chefs d’entreprise, professions libérales, anciens élus de droite classique prêts à franchir le pas. L’idée ? Des têtes de liste crédibles, implantées, et surtout capables de parler à l’électorat CSP+ des centre-villes.
« La politique, c’est une affaire de grandes vagues. »
Un proche conseiller stratégique du parti
Cette phrase, on l’entend souvent dans l’entourage de la direction. Elle résume bien la philosophie : attendre le bon moment, mais aussi préparer le terrain pour que la vague, quand elle arrive, emporte tout sur son passage.
Les alliances qui font jaser
Peut-être l’élément le plus spectaculaire de cette nouvelle donne : l’ouverture très nette vers une partie de la droite traditionnelle. Dans plusieurs grandes villes, le parti serait prêt à céder la tête de liste à des personnalités issues de l’ex-LR, voire à des proches d’Éric Ciotti.
Imaginez la scène : dans certaines agglomérations, ce n’est pas un pur RN qui mènerait la danse, mais un maire sortant ou un ancien député de droite, soutenu officiellement par le RN et bénéficiant de toute sa machine militante. Stratégiquement, c’est malin. Politiquement, c’est explosif.
Cette porosité nouvelle change complètement la donne. Là où le cordon sanitaire tenait encore bon dans beaucoup d’endroits, il commence à se fissurer sérieusement.
Des thèmes taillés pour la ville
Autre évolution notable : le discours s’adapte. Exit la focalisation exclusive sur l’immigration et sécurité (même si ces thèmes restent centraux). Place à des propositions très concrètes sur la propreté, les transports, le logement, la tranquillité publique au quotidien.
On parle désormais de « zéro déchet sauvage », de « vidéoprotection intelligente », de « police municipale de nuit renforcée ». Des sujets qui parlent directement aux habitants des centre-villes, souvent lassés des belles promesses non tenues.
- Propreté et cadre de vie : priorité absolue affichée dans presque tous les programmes urbains
- Sécurité du quotidien : déploiement massif de caméras et d’agents de proximité
- Logement : propositions choc contre les marchands de sommeil et pour la rénovation
- Transports : critique virulente des zones à faibles émissions et défense de la voiture individuelle
Ces thèmes ne sont pas nouveaux, mais la manière de les présenter l’est : plus technique, plus chiffrée, moins clivante dans la forme.
Les villes dans le viseur
Quelles sont les cibles prioritaires ? Impossible d’avoir la liste exhaustive (beaucoup de tractations sont encore confidentielles), mais plusieurs noms reviennent avec insistance :
En Île-de-France évidemment, mais aussi dans les grandes agglomérations du Nord, du Sud-Est et du Grand-Ouest. L’objectif n’est pas forcément de gagner dès le premier tour partout – ce serait irréaliste – mais de créer les conditions d’une victoire au second, via des fusions ou des désistements.
Dans certaines villes moyennes-grandes villes déjà bien travaillées depuis 2020, on parle même de triangulaires gagnables. Le scénario fait frémir la majorité sortante.
Un calendrier sous haute tension
Les prochains mois vont être décisifs. Les investitures doivent tomber d’ici l’été 2025 dans la plupart des cas. D’ici là, chaque candidature annoncée va faire l’effet d’une petite bombe médiatique.
Et puis il y a l’inconnue des européennes de 2029 (non, je déconne, on reste en 2026), plus sérieusement : la dynamique nationale jouera énormément. Un bon score aux prochaines élections intermédiaires pourrait tout accélérer.
Ce que je trouve fascinant dans cette séquence, c’est qu’on assiste peut-être à la fin d’une anomalie démocratique : un parti qui pèse plus de 30 % au niveau national mais reste quasi absent des exécutifs locaux majeurs. Soit cette anomalie se corrige en 2026, soit elle s’aggrave et alimente encore plus la colère d’une partie de l’électorat.
Une chose est sûre : les municipales de mars 2026 ne ressembleront à aucune autre. Les grandes villes, ces forteresses imprenables, vont trembler pour de bon. Et quelque part, c’est plutôt sain pour la démocratie.
À suivre, très attentivement.
