Imaginez la scène : une immense salle aux Docks d’Aubervilliers, 2000 personnes chauffées à blanc, des drapeaux violet-vert-rouge qui claquent, et au milieu, lui. Jean-Luc Mélenchon qui, à 111 jours du premier tour des municipales, parle déjà de 2027 comme si c’était demain. Franchement, ça donne le frisson. On sent que quelque chose se passe, que la machine se remet en route, et pas juste pour gagner deux ou trois mairies.
Parce que soyons honnêtes : tout le monde a compris le message. Les municipales 2026, pour la France insoumise, c’est d’abord un galop d’essai grandeur nature avant la grande bagarre présidentielle. Le reste – les cantines bio, les régies publiques de l’eau, les référendums locaux – c’est important, bien sûr. Mais l’enjeu réel est ailleurs.
Un lancement qui sent la poudre… et 2027
Dimanche 23 novembre 2025, le ton était donné dès les premières minutes. Pas de petites phrases, pas de gentillesse excessive envers les « partenaires » de gauche. On tape fort, on pose les jalons, on prévient : cette fois, on ne laissera personne nous mettre sur le côté.
Et quand Mélenchon parle de « Nouvelle France », de créolisation, d’appétit du futur, il ne fait pas de la poésie. Il dessine le portrait de l’électorat qu’il veut mobiliser : jeune, urbain, issu des quartiers populaires, souvent d’origine immigrée. Ceux qui votent déjà massivement LFI aux législatives et à la présidentielle, mais qu’on retrouve rarement dans les conseils municipaux.
« Ce seront des élections politiques du fait du contexte actuel. Nous serons à un an de l’élection présidentielle, dont ceci pourrait bien être un galop d’essai. »
– Jean-Luc Mélenchon, 23 novembre 2025
500 listes, presque partout autonomes
Le chiffre a de quoi impressionner : la France insoumise sera présente dans environ 500 villes, dont 80 % des communes de plus de 30 000 habitants. Et dans la très grande majorité des cas, ce sera sous ses propres couleurs. Pas d’union sacrée au premier tour avec les Verts, le PS ou le PCF. Message clair : on assume notre identité, on ne se dilue plus.
En 2020, le mouvement avait pratiquement snobé les municipales. Résultat : à peine deux villes de plus de 5 000 habitants dirigées par des insoumis. Cette fois, l’objectif n’est pas forcément de décrocher dix mairies – même si on y croit à Roubaix, La Courneuve ou Évry – mais de faire élire des centaines de conseillers municipaux. Pourquoi ? Parce que ces élus deviendront des grands électeurs. Et que sans grands électeurs, pas de sénateurs. Et sans sénateurs, difficile de peser vraiment.
- Objectif réaliste : 2 à 3 victoires dans des villes symboliques
- Objectif stratégique : plusieurs centaines de conseillers municipaux
- Objectif ultime : préparer les sénatoriales 2026 et 2029… et 2027
La gauche éclatée, ou comment transformer la division en force
On va pas se mentir : à gauche, c’est la guerre froide permanente. Le PS rêve encore de marginaliser LFI, les écologistes font leurs courses de leur côté, le PCF garde jalousement ses bastions. Résultat ? Des listes partout, des ego qui s’entrechoquent, et des seconds tours qui s’annoncent explosifs.
Mais chez les Insoumis, on retourne l’argument. Puisque personne ne veut vraiment de nous au premier tour, eh bien on va faire nos scores tout seuls. Et au soir du premier tour, on verra bien qui est en position de force pour discuter fusion.
« Partout où nous serons en tête, nous proposerons aux autres listes de gauche prêtes à défendre un programme de rupture de nous rejoindre. »
Traduction : on ne supplie plus. On pose nos conditions. Et si les autres refusent, tant pis pour l’union. Après tout, ceux qui votent LFI depuis dix ans méritent d’avoir des élus qui leur ressemblent, non ? C’est en tout cas le message martelé par Nadège Abomangoli devant les militants.
Le programme local qui cache la forêt présidentielle
Évidemment, il y a quand même un programme municipal. Et il n’est pas dégueulasse, soyons justes. On retrouve les marronniers insoumis :
- Cantines scolaires gratuites et 100 % bio
- Régies publiques de l’eau
- Zones zéro chômeurs de territoire
- Référendum d’initiative citoyenne au niveau local
- Planification écologique municipale
- Priorité aux entreprises locales dans les marchés publics
Mais soyons lucides : ces mesures, aussi séduisantes soient-elles dans les quartiers populaires, ne sont pas là uniquement pour 2026. Elles servent de laboratoire. Montrer que ça marche à l’échelle d’une ville, c’est la meilleure pub pour dire « imaginez ce qu’on ferait au niveau national ».
Et c’est là que Mélenchon est le plus à l’aise. Quand il parle d’éducation populaire de masse, de « hausser le niveau de conscience », on sent le vieux briscard qui sait que la bataille se gagne d’abord dans les têtes. Les municipales deviennent alors un immense cours de rattrapage politique pour des millions de Français.
2027 ou rien ? Le pari risqué des Insoumis
Maintenant, posons la question qui fâche : et si ça ne marchait pas ? Si les scores restaient moyens, si les mairies restaient hors de portée, si la gauche continuait de se déchirer joyeusement ?
Parce qu’il y a un revers à la médaille. En refusant systématiquement les unions au premier tour, LFI prend le risque de faire élire la droite (ou le centre macroniste) dans des villes qui auraient pu basculer à gauche. C’est déjà arrivé en 2020 dans plusieurs grandes villes. Ça pourrait se reproduire.
Mais chez les Insoumis, on assume. Mieux vaut une ligne claire et quelques défaites que des compromis qui diluent le projet. Et puis, dans les banlieues populaires, là où LFI fait parfois 40-50 % aux présidentielles, il y a de la marge. Si on arrive à transformer ne serait-ce que la moitié de ces voix en bulletins municipaux, ça peut faire très mal.
Et Mélenchon dans tout ça ?
Officiellement, rien n’est acté. Mais tout le monde sait qu’il sera probablement candidat en 2027. À 74 ans en 2025, il en aura 76 au moment du scrutin. L’âge de Biden quand il s’est représenté, pour ceux qui aiment les comparaisons.
Le voir sur scène à Aubervilliers, en forme, avec cette gouaille intacte, ça rassure les militants. Il reste le meilleur orateur de gauche, celui qui fait encore vibrer les salles. Et tant qu’il est là, difficile d’imaginer quelqu’un d’autre porter les couleurs insoumises à l’Élysée.
D’ailleurs, le message est passé : ces municipales, c’est aussi sa campagne qui commence. Discrètement, mais sûrement.
Ce qu’il faut retenir
En résumé, la France insoumise ne joue pas petit bras. Elle transforme un scrutin local en répétition générale nationale. Elle refuse la dilution dans des unions sans âme. Elle mise tout sur les quartiers populaires et la jeunesse. Elle prépare déjà les sénatoriales. Et par-dessus tout, elle garde les yeux rivés sur 2027.
Est-ce que le pari est gagnant ? On le saura en mars 2026. Mais une chose est sûre : ça va remuer sévère à gauche. Et personnellement, j’ai rarement vu un lancement de campagne municipale avec une telle charge symbolique. On n’est plus dans le local. On est déjà dans le national.
Et vous, vous en pensez quoi ? Les Insoumis ont-ils raison de jouer leur partition seuls, ou devraient-ils tendre la main dès le premier tour ? Le débat est ouvert.
