Vous est-il déjà arrivé de croire dur comme fer à un projet, de tout donner, et puis un jour de réaliser que ceux qui devraient être vos alliés vous poignardent dans le dos ? C’est exactement ce qui vient d’arriver à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, à quelques mois des municipales 2026.
Une candidature qui semblait évidente, presque naturelle, vient de s’effondrer. Et pas à cause de l’adversaire, non. À cause de l’intérieur même du camp qui était censé la porter.
Quand l’homophobie frappe à l’intérieur du camp écologiste
On l’imaginait déjà en campagne, tract à la main sur le marché des Puces ou devant la station de métro Garibaldi. Sabrina Decanton, conseillère municipale sortante, devait conduire la liste des écologistes à Saint-Ouen en mars 2026. Une ville populaire, ouvrière, en pleine mutation, où la gauche et les verts ont toujours eu une carte à jouer.
Et puis, mardi soir, le communiqué tombe. Sec, précis, terrible. Elle retire sa candidature. Pas par lassitude électorale classique. Non. Parce qu’elle affirme être devenue, depuis des mois, la cible d’homophobie au sein même de son groupe local.
« Mon orientation sexuelle est un obstacle à ma candidature et à une éventuelle victoire, certains estimant qu’elle serait incompatible avec le soutien des quartiers populaires. »
Sabrina Decanton, dans son communiqué
Cette phrase, lue à voix haute, donne le vertige. En 2025, dans un parti qui se revendique progressiste, féministe, ouvert à toutes les diversités, on ose encore dire qu’être lesbienne rendrait plus difficile de parler aux habitants des cités ? C’est à la fois consternant et, hélas, révélateur d’une réalité qu’on préfère parfois ignorer.
Le poids des stéréotypes dans les « quartiers populaires »
Derrière l’argument, il y a cette idée nauséabonde selon laquelle les habitants des quartiers populaires seraient forcément plus conservateurs, moins ouverts sur les questions LGBT+. Une vision stigmatisante, comme le souligne l’intéressée elle-même. Et surtout fausse.
À Saint-Ouen, comme ailleurs en banlieue, on trouve de tout. Des familles maghrébines ultra-ouvertes qui invitent leurs voisins gays à rompre le jeûne. Des jeunes qui militent pour le mariage pour tous tout en portant le maillot du Red Star. Et puis oui, parfois, des discours plus rigides. Mais les essentialiser ainsi ? C’est exactement ce que combat la gauche depuis toujours.
Ce qui choque le plus, c’est que ces propos viennent de militants censés défendre l’émancipation de tous. Comme si, quelque part, l’écologie politique avait encore du mal à faire cohabiter ses idéaux universalistes avec certaines réalités de terrain. Triste.
Un mystérieux « document » et des pressions inacceptables
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. L’élue évoque aussi des pressions pour signer un document illégal et contraire à l’éthique. Un texte qui aurait permis à un petit cercle de décider dans l’ombre de certaines orientations municipales en cas de victoire. Elle a refusé. Point.
On ignore encore la forme exacte de ce document. Un engagement secret ? Une charte parallèle ? Toujours est-il que l’idée même qu’on ait tenté de lui imposer cela montre à quel point certains étaient prêts à tout pour garder la main.
Dans une ville où la transparence est déjà un sujet sensible – rappelez-vous les affaires qui ont éclaboussé la majorité sortante ces dernières années –, ce genre de pratiques fait tache. Très grosse tache.
La réaction immédiate du national : Marine Tondelier met les pieds dans le plat
À peine le communiqué publié, la secrétaire nationale des écologistes dégaine sur les réseaux. Et elle ne mâche pas ses mots.
« Soutien total à Sabrina Decanton, qui a vécu à Saint-Ouen des pratiques politiques inacceptables qui me scandalisent. Jamais l’homophobie n’aura sa place dans notre mouvement. »
Marine Tondelier
Elle révèle au passage que l’affaire était déjà remontée jusqu’à elle il y a quelques jours. Les instances disciplinaires du parti sont saisies. Traduction : ça va secouer en interne.
Et la patronne des verts d’insister : « Notre diversité fait notre force, et prétendre l’inverse est contraire à nos valeurs. » Un message clair envoyé à ceux qui, localement, pensaient peut-être que l’ouverture était négociable selon les territoires.
Karim Bouamrane, maire PS sortant, sort du bois
Ce qui est intéressant, c’est que le soutien ne vient pas seulement du camp écologiste. Le maire socialiste de Saint-Ouen, Karim Bouamrane – qui briguera probablement un nouveau mandat –, prend aussi la parole. Et il tape fort.
Pour lui, considérer l’orientation sexuelle comme un critère de candidature est tout simplement inacceptable, scandaleux et choquant. Venant d’un élu qui connaît parfaitement les équilibres locaux, le message porte.
Entre les lignes, on sent aussi une forme de solidarité de gauche. Même si les alliances pour 2026 restent floues, on imagine mal le PS local se désolidariser d’une femme victime de discrimination dans le camp d’à côté.
Et maintenant ? Quel avenir pour la liste écologiste ?
La grande question qui reste en suspens : qui va reprendre la tête de liste ? Certains noms circulent déjà dans les couloirs. Mais l’image est abîmée. Comment convaincre après un tel épisode ?
- Difficulté à recruter une nouvelle tête d’affiche en si peu de temps
- Risque de division durable au sein du groupe local
- Perte de crédibilité sur les questions de diversité et d’éthique
- Possible rapprochement avec la liste PS pour éviter la dispersion des voix
Car à Saint-Ouen, la droite et le centre rêvent de profiter du chaos. Et le RN, comme partout en Seine-Saint-Denis, tente de grignoter du terrain. Une liste écologiste affaiblie, c’est un boulevard potentiel pour d’autres.
Un cas isolé ou le symptôme d’un mal plus profond ?
Ce qui s’est passé à Saint-Ouen n’est pas totalement inédit. On se souvient de tensions similaires dans d’autres sections locales, où des militants historiques rechignent parfois à céder la place à des profils plus jeunes, plus féminins, plus divers.
– muttered.L’écologie politique française reste traversée par une contradiction : d’un côté, un discours national très inclusif, très progressiste ; de l’autre, des fiefs locaux où les vieilles logiques de pouvoir perdurent. Et quand une candidate coche plusieurs cases « minoritaires » (femme, lesbienne, jeune), ça coince parfois.
Ce n’est pas une spécificité verte, d’ailleurs. On a vu des cas comparables à gauche, au centre, et même à droite. Mais quand ça touche un parti qui brandit la diversité comme étendard, le contraste est plus violent.
Sabrina Decanton ne lâche pas complètement l’affaire
Elle a beau retirer sa candidature à la tête de liste, l’élue tient à préciser qu’elle restera conseillère municipale jusqu’au bout. Elle continuera à recevoir les habitants, à porter leurs dossiers. Preuve que le combat politique, pour elle, va au-delà d’un poste.
Elle conclut d’ailleurs son communiqué sur une note d’espoir un peu amer : « Je reste convaincue qu’une autre manière de faire de la politique est possible. Mais pas à n’importe quel prix. »
Une phrase qui résonne comme un appel. Peut-être pas pour 2026 à Saint-Ouen. Mais pour la suite. Car des femmes comme elle, la politique française en a besoin. Urgemment.
Cette histoire, finalement, dépasse largement les frontières de Saint-Ouen. Elle pose une question brutale : jusqu’où est-on prêt à tolérer l’intolérable au nom de la « réalpolitik » locale ? La réponse qu’y apporteront les écologistes dans les prochaines semaines sera scrutée de près. Très près.
En attendant, une femme digne a préféré claquer la porte plutôt que de renier qui elle est. Et ça, quelque part, c’est déjà une forme de victoire.
