Imaginez la scène : on est à trois mois et demi du premier tour des municipales, et le maire sortant propose un face-à-face avant Noël à son adversaire qui le devance de vingt points dans les sondages. Logiquement, on se dit que le favori va sauter sur l’occasion pour enfoncer le clou. Eh bien non. À Lyon, Jean-Michel Aulas vient de refuser poliment – mais fermement – l’invitation de Grégory Doucet. Et franchement, ça en dit long sur la température de cette campagne 2026.
Un refus qui fait déjà vagues dans la capitale des Gaules
Le communiqué est tombé un lundi matin, juste avant que les Lyonnais ne replongent dans leur semaine. Grégory Doucet, avec le ton posé qu’on lui connaît, propose un débat public « avant les fêtes » pour « une campagne digne ». L’idée semblait presque touchante : deux visions de la ville qui s’expliquent tranquillement devant les citoyens, autour d’un vin chaud peut-être. Sauf que de l’autre côté du Rhône, on a visiblement d’autres priorités.
L’équipe d’Aulas a répondu en substance : merci, mais non merci. Le moment viendra après le dépôt officiel des listes, point final. Traduction : on attendra le 26 février, voire le début de la campagne officielle le 2 mars. En clair, le favori des sondages n’a aucune envie de donner trois mois d’avance à son adversaire pour se refaire une santé.
« Le temps est aujourd’hui au dialogue et aux échanges avec les Lyonnais, qui connaissent les propositions de Jean-Michel Aulas. »
– L’équipe de campagne de l’ancien président de l’OL
Cette phrase, lue entre les lignes, sonne comme un uppercut. Sous-entendu : les Lyonnais savent déjà ce que je vaux, et toi, ils t’ont assez vu. Difficile de leur donner tort quand on regarde les chiffres.
Des sondages qui donnent le vertige
47 %. C’est le score que les derniers sondages accordent à Jean-Michel Aulas si le premier tour avait lieu ce dimanche. Quarante-sept. À Lyon, une ville qui a pourtant basculé à gauche et très à gauche en 2020. En face, le maire sortant pointe à 27 %. Vingt points d’écart. Autant dire un boulevard.
Derrière, on retrouve les habituels seconds couteaux : une candidate de la gauche radicale à 9 %, le RN à 6 %. Rien qui ne vienne vraiment menacer le duel annoncé. Et encore, on parle ici d’intentions de vote à quatre mois du scrutin – période où tout peut encore bouger, certes, mais rarement de vingt points.
- Aulas : 47 % (en hausse constante depuis septembre)
- Doucet : 27 % (en difficulté même dans ses bastions historiques)
- Gauche radicale : 9 %
- Extrême droite : 6 %
Quand on voit ces chiffres, on comprend mieux pourquoi l’ancien patron de l’OL préfère garder ses cartouches au sec. Pourquoi aller débattre maintenant alors que l’opinion semble déjà tranchée ?
Une stratégie froide, presque chirurgicale
On l’a connu plus impulsif sur les réseaux sociaux quand il dirigeait le club. Là, c’est un autre Aulas. Froid, calculateur. Il laisse son adversaire s’agiter, proposer des débats, accuser, pendant que lui continue ses réunions de quartier, ses cafés-citoyens, ses selfies avec les mamies du 8e arrondissement. Et ça marche.
J’ai discuté avec plusieurs observateurs locaux ces derniers jours. Le sentiment qui domine ? « Doucet a besoin de ce débat comme d’une bouffée d’oxygène. Aulas, lui, n’a rien à y gagner. » Un proche d’un candidat éliminé au premier tour en 2020 me confiait même, un peu amer : « Il fait exactement ce qu’il faut pour ne pas faire de vagues inutiles. C’est agaçant de professionnalisme. »
Les petites phrases qui font mal
Évidemment, ça n’empêche pas les coups bas – ou perçus comme tels. Rappelez-vous cette banderole géante déployée en octobre : « À Lyon, seule la pelouse de Gerland est verte. » Une attaque à peine voilée contre l’écologie municipale version Doucet. Officiellement, l’équipe Aulas jure la main sur le cœur qu’elle n’y est pour rien. Officieusement… disons que les comptes qui l’ont relayée en masse n’étaient pas vraiment neutres.
Il y a aussi cette histoire récurrente de la gratuité des transports. Aulas l’a promise. Doucet a bondi : c’est une compétence de la métropole, pas de la ville. Vrai. Mais dans l’esprit des électeurs, ça passe crème. Et c’est bien ça qui doit rendre fou l’entourage du maire sortant : on peut avoir raison sur le fond, si on perd sur la forme, c’est game over.
Un calendrier qui arrange bien le favori
Revenons aux dates. Dépôt des listes : 26 février. Début de la campagne officielle : 2 mars. Premier tour : 15 mars. Ça laisse… deux semaines de vraie confrontation. Pas plus. De quoi organiser un ou deux débats maximum, dans l’urgence, quand tout le monde sera déjà dans le dur.
En refusant le débat de décembre, Aulas s’offre trois mois de tranquillité relative. Trois mois pour continuer à labourer le terrain, arrondissement par arrondissement, sans avoir à justifier chaque virgule de son programme face à un maire sortant qui connaît les dossiers par cœur.
Et Doucet dans tout ça ?
La position du maire sortant est délicate. Proposer un débat tôt, c’est montrer qu’on a peur de se faire distancer. Le voir refuser, c’est prendre le risque de passer pour celui qui court après. Et pourtant, il n’a pas vraiment le choix : quand on est à vingt points derrière, il faut provoquer le combat.
Ses équipes essaient de retourner la situation : « Une méthode qui instaure la confusion », « des propositions hors compétences »… Mais pour l’instant, ça ne prend pas vraiment. Les Lyonnais semblent avoir déjà tourné la page du mandat 2020-2026, avec ses zones à faibles émissions, ses pistes cyclables controversées et son image parfois jugée trop rigide.
Ce que nous réserve 2026
Alors oui, tout peut encore arriver. Une gaffe d’Aulas, un scandale, un retournement d’alliance. Mais pour l’instant, la dynamique est clairement de son côté. Et ce refus de débat, aussi frustrant soit-il pour les amoureux de la démocratie, ressemble furieusement à un coup de maître.
Parce qu’au fond, en politique comme au foot, il y a ceux qui jouent pour gagner… et ceux qui jouent pour ne pas perdre. À Lyon, en ce mois de novembre 2025, on sait désormais dans quel camp se range Jean-Michel Aulas.
Et quelque part, ça fait presque peur tellement c’est efficace.
(Article mis à jour le 25 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
