Imaginez-vous un matin à Lyon, 6 h 47, quai du métro à Bellecour. Vous glissez la main dans la poche pour sortir votre abonnement… et puis non, vous n’en avez plus besoin. Le portique est ouvert, le bus vous attend, le tram file sans que personne ne vous demande un centime. Utopie ? Pour certains candidats aux municipales 2026, c’est déjà demain.
Cette idée, qui semblait encore farfelue il y a quelques années, s’invite brutalement au cœur de la campagne lyonnaise. Et curieusement, elle rassemble des profils que tout oppose : un ancien magnat du foot devenu candidat de la droite macroniste, une députée de la gauche radicale, des communistes historiques… Tous, ou presque, veulent rendre les transports gratuits. Tous, sauf le maire sortant, pourtant étiqueté écologiste. Drôle de paradoxe, non ?
La gratuité des transports : le nouveau totem de la gauche… et pas que
Il y a quelques semaines, l’ancien président de l’Olympique lyonnais avait surpris tout le monde en lançant sa candidature avec une proposition choc : la gratuité des TCL pour tous les Lyonnais gagnant moins de 2 500 € net par mois. Une mesure sociale, expliquait-il, pour soulager les classes moyennes et populaires. L’idée a fait mouche dans les sondages.
Mais voilà que la candidate de La France insoumise, Anaïs Belouassa-Cherifi, députée du Rhône, décide d’aller plus loin. Beaucoup plus loin. Pour elle, pas question de demi-mesure : ce sera la gratuité totale, pour tout le monde, sans condition de revenu. Point final.
« La gratuité des transports en commun, c’est une revendication qui est chère à la gauche et chère à la gauche radicale que nous sommes. Tout le monde a le droit à une mobilité digne à Lyon. »
Anaïs Belouassa-Cherifi, sur un plateau télé local
Et elle assume totalement le côté symbolique. Dans une ville où les loyers explosent et où les arrondissements populaires se sentent parfois oubliés, offrir la liberté de se déplacer sans regarder son portefeuille, c’est plus qu’une mesure technique. C’est un message politique fort : la ville doit redevenir accessible à tous.
Une compétence métropolitaine, mais une bataille municipale
Petit rappel pour ceux qui auraient oublié le mille-feuille territorial français : les transports en commun à Lyon, ce n’est pas la mairie qui décide, mais la Métropole. Le Sytral, qui gère les TCL, dépend du président de la Métropole – actuellement l’écologiste Bruno Bernard.
Anaïs Belouassa-Cherifi le sait parfaitement. Elle le dit d’ailleurs sans détour : « Bien évidemment, c’est une mesure métropolitaine. » Mais elle ajoute aussitôt : « On va la porter pendant cette campagne aussi. » Traduction : même si la maire de Lyon n’a pas la main directe, elle peut faire pression, embarquer l’opinion publique, transformer l’idée en étendard.
D’ailleurs, elle n’est pas seule. Le Parti communiste, certaines figures de la gauche historique, et même des candidats indépendants de gauche brandissent la même pancarte. À croire que la gratuité est devenue le nouveau « revenu universel » des municipales lyonnaises.
Comment payer la facture ? La piste du versement mobilité
Parce qu’évidemment, la question qui tue arrive toujours : et l’argent ? Faire rouler bus, métros, trams et vélos pour zéro euro de recette, ça coûte cher. Très cher. À Lyon, le budget du Sytral avoisine le milliard d’euros par an. Les recettes commerciales (billets, abonnements) représentent environ 25 % de ce budget. Le reste vient déjà des collectivités et surtout du versement mobilité, cette taxe payée par les entreprises de plus de 11 salariés.
La candidate insoumise a une idée : abaisser le seuil de 11 à 9 salariés. En clair, faire contribuer plus d’entreprises, notamment les petites. C’est malin sur le papier. Mais dans la réalité ? Beaucoup de petites boîtes, déjà fragiles, risquent de grincer des dents. Et puis, est-ce suffisant ? Les calculs rapides montrent que ça ne comblerait qu’une partie du manque à gagner.
- Augmenter fortement le versement mobilité existant (politiquement risqué)
- Créer une nouvelle taxe locale (peu populaire)
- Piocher dans le budget de la Métropole (au détriment d’autres services)
- Espérer une subvention massive de l’État (peu probable)
Personne n’a encore sorti le chiffrage précis et définitif. Et c’est peut-être le plus inquiétant.
Grégory Doucet, le grand absent du camp gratuit
Le plus surprenant dans cette histoire, c’est l’attitude du maire sortant. Grégory Doucet, écolo convaincu, partisan d’une ville apaisée, ennemi juré de la voiture… refuse la gratuité totale. Il l’a redit plusieurs fois : « Quand on peut payer son transport, il n’y a pas de raison qu’on ne le paie pas. »
À la place, il défend une gratuité ciblée : gratuite pour les enfants, les bénéficiaires du RSA, les personnes handicapées, tarifs réduits pour les chômeurs, etc. Une logique de justice sociale, mais pas de rupture radicale.
« La gratuité totale peut apparaître séduisante, mais elle risque de nuire financièrement au développement du réseau à long terme. »
Un récent rapport de la Cour des comptes
Et là, les écologistes lyonnais rejoignent… la Cour des comptes. Oui, vous avez bien lu. L’institution, pas vraiment connue pour son gauchisme, met en garde contre les effets pervers : moins de recettes = moins d’investissements = réseau qui stagne, voire qui se dégrade. C’est exactement l’argument brandi par l’équipe Doucet.
Ce qui se passe ailleurs : les leçons des villes gratuites
Parce qu’on n’est pas les premiers à se poser la question. Plusieurs villes dans le monde ont sauté le pas. Dunkerque, Calais, Luxembourg (tout le pays !), Tallinn en Estonie… Les résultats ? Mitigés.
- Augmentation de la fréquentation : +30 % à +80 % selon les cas
- Report modal : un peu moins de voitures, mais pas la révolution attendue
- Coût : souvent compensé par une hausse des impôts locaux ou une baisse d’autres services
- Qualité du réseau : parfois maintenue, parfois en souffrance (moins de bus neufs, entretien repoussé)
À Luxembourg, ça marche plutôt bien parce que le pays est petit et riche. À Dunkerque, la gratuité a boosté l’image de la ville, mais le réseau reste modeste. Rien de comparable avec l’agglomération lyonnaise et ses 1,4 million d’habitants.
Et puis il y a un effet pervers rarement évoqué : quand c’est gratuit, certains prennent le bus… pour rien. Pour faire 500 mètres. Pour transporter leurs courses. Pour chauffer en hiver. Le système devient moins efficace, plus saturé.
Les sondages : la gratuité, un argument qui pèse lourd
Et pourtant, dans les enquêtes d’opinion, ça passe crème. Le candidat qui a lancé l’idée en premier caracole en tête avec près de 47 % des intentions de vote au premier tour. Le maire sortant, lui, stagne autour de 24 %. Et la candidate insoumise, même à 10 %, progresse doucement mais sûrement.
Preuve que, même si les experts mettent en garde, même si les comptes ne tombent pas justes, l’idée parle au cœur des gens. Dans une ville où le coût de la vie ne cesse de grimper, offrir un service essentiel gratuitement, c’est un rêve qui fait vibrer.
Vers une alliance improbable ?
Question que tout le monde se pose en coulisses : est-ce que les partisans de la gratuité, même partielle, même totale, pourraient se retrouver au second tour ? L’ancien patron de l’OL et l’insoumise sous le même drapeau ? Impensable il y a encore un an.
Anaïs Belouassa-Cherifi a déjà répondu : non. « Il ne faut pas niveler par le bas toutes les propositions », a-t-elle lâché. Traduction : ma gratuité totale n’a rien à voir avec ta gratuité pour les revenus modestes. On n’est pas dans le même match.
Mais la politique réserve parfois des surprises. Et quand on voit les scores actuels, tout reste ouvert.
Et nous, qu’est-ce qu’on en pense ?
Franchement ? L’idée est belle. Vraiment. Circuler librement dans sa ville sans se ruiner, c’est une forme de liberté concrète. Mais on ne peut pas balayer d’un revers de main les alertes des gestionnaires et des finances publiques.
Peut-être que la vérité est ailleurs : une gratuité très large (jusqu’à 3 ou 4 fois le SMIC), financée par un mix intelligent – hausse modérée du versement mobilité, taxe sur les livraisons en centre-ville, partenariats avec les grandes entreprises du territoire… Rien n’est impossible quand la volonté politique est là.
Ce qui est sûr, c’est que le débat est lancé. Et pour une fois, à Lyon, on ne parle pas que de pistes cyclables ou de zone à faibles émissions. On parle d’une ville plus juste, plus fluide, plus respirable. Et ça, ça fait du bien.
2026 approche. Les Lyonnais vont devoir trancher : rêve ou réalité ? Symbole ou gestion rigoureuse ? On a hâte de voir ça.
Et vous, vous en pensez quoi ? Gratuité totale, ciblée, ou on continue comme avant ? Dites-le nous en commentaire, le débat ne fait que commencer.
