Vous souvenez-vous quand parler de circulation à Paris déclenchait aussitôt des débats enflammés, presque des bagarres de saloon ? D’un côté les pro-voiture qui hurlaient au « Paris invivable », de l’autre les défenseurs du vélo qui accusaient les automobilistes de vouloir asphyxier la capitale. Franchement, on s’attendait à revivre ça en boucle pour les municipales 2026. Et pourtant, un drôle de phénomène se produit sous nos yeux : les candidats, même ceux qu’on imaginait les plus radicaux, commencent à parler à peu près la même langue sur la mobilité. Étonnant, non ?
J’ai suivi la campagne de près ces derniers mois et, je dois le dire, la surprise est de taille. Ce qui était encore hier un sujet clivant semble glisser doucement vers un terrain d’entente. Alors info ou intox ? Vrai consensus ou simple opération séduction électorale ? Allons voir ça de plus près.
Un sujet qui ne fait plus (vraiment) polémique
Pendant longtemps, la question des transports à Paris ressemblait à une guerre de religion. D’un côté la piétonisation des voies sur berge sous Anne Hidalgo, vue comme une déclaration de guerre à la voiture. De l’autre une droite qui promettait, à chaque élection, de tout remettre en sens inverse dès le lendemain du scrutin. On se souvient des slogans tonitruants, des recours en justice, des voitures klaxonnant sur les quais pour manifester.
Et puis, petit à petit, les choses ont bougé. Les Parisiens ont fini par adopter les berges piétonnes l’été, les pistes cyclables se sont remplies, les chiffres de pollution ont baissé. Même les plus réticents ont reconnu, du bout des lèvres, que ça respirait mieux. Résultat ? Le terrain idéologique s’est déplacé. Défendre le « tout voiture » en 2025 ressemble de plus en plus à une cause perdue d’avance dans la capitale.
Les voies sur berge : plus personne ne veut vraiment les rouvrir
C’est probablement le symbole le plus fort. Il y a encore quelques mois, on imaginait que la candidate de la droite allait annoncer tambour battant la réouverture des voies sur berge à la circulation. On avait en tête ses déclarations passées, plutôt musclées sur le sujet.
Patatras. Quand elle a dévoilé son projet, c’était tout l’inverse : transformer les quais en grand parc urbain patrimonial, avec pelouses, arbres, cheminements piétons et vélos. Un projet qui, sur le papier, ressemble furieusement à ce que proposent aussi bien le candidat socialiste que le communiste. Incroyable.
« Un grand parc fluvial du XXIe siècle, respectueux du patrimoine et ouvert à tous les Parisiens. »
On a presque cru à une erreur d’impression. Même les élus de la majorité sortante, pourtant prompts à dégainer l’ironie, ont reconnu que c’était « déjà beaucoup mieux que le retour en arrière promis il y a cinq ans ». Preuve que le curseur a bel et bien bougé.
Rue de Rivoli : la piste cyclable réduite… mais toujours là
L’autre totem, c’est la rue de Rivoli. Cette artère mythique où la piste cyclable bidirectionnelle, large comme une autoroute, fait hurler les livreurs, les taxis et une partie des commerçants depuis sa création en 2020.
On s’attendait là aussi à une promesse choc : suppression pure et simple. Raté. La proposition ? Diviser la piste par deux, élargir très fortement les trottoirs (jusqu’à 5,5 mètres côté nord), garder une voie dédiée aux bus et une voie de desserte locale. Autrement dit : plus de place pour les piétons, toujours du vélo, très peu de voitures. C’est presque… raisonnable.
- Trottoirs élargis pour flâner ou boire un café en terrasse
- Piste cyclable bidirectionnelle, mais réduite à 7 mètres
- Voie réservée aux bus et transports en commun
- Voie de desserte pour les livraisons et riverains
Le plus drôle ? Ce schéma reprend presque trait pour trait les recommandations d’une étude d’urbanisme récente qui parlait déjà de « promenade parisienne ». Comme quoi, même les experts convergent.
Un consensus qui arrange tout le monde… ou presque
Alors bien sûr, on entend déjà les critiques. À gauche, on accuse la droite de « politique du coucou » : piquer les idées des autres une fois qu’elles sont populaires. À droite, on répond que c’est simplement du pragmatisme : écouter les Parisiens, s’adapter à ce qui fonctionne.
La vérité, c’est probablement un peu des deux. Quand une politique finit par être acceptée par une large majorité (et les berges piétonnes le sont désormais), il devient électoralement suicidaire de promettre de tout défaire. Regardez les sondages : plus de 70 % des Parisiens se disent satisfaits des aménagements des quais. Difficile de faire campagne contre ça.
« On pouvait s’attendre à pire. Elle s’est opposée à tout pendant six ans et là, elle dit : je garde l’essentiel. »
Un adjoint écologiste, mi-amusé mi-méfiant
Et les automobilistes dans tout ça ?
Attention, ça ne veut pas dire que la voiture va totalement disparaître du débat. Certains candidats centristes continuent de promettre plus de souplesse pour les livraisons, les artisans, les familles. Mais même eux ne parlent plus de « libérer la voiture ». On est loin du « Paris respire la voiture » qu’on entendait encore il y a dix ans.
Le vrai sujet qui reste explosif, c’est plutôt la périphérie. Le périphérique, les portes de Paris, les boulevards des Maréchaux. Là, les positions restent plus tranchées. Mais dans Paris intra-muros ? Le match semble déjà plié.
Ce que ça dit de Paris en 2025
Ce qui est passionnant dans cette convergence, c’est ce qu’elle révèle de l’évolution de la capitale. Paris n’est plus tout à fait la ville pro-voiture qu’elle était. Ni d’ailleurs la ville anti-bagnole que certains caricaturent encore. C’est une ville qui a changé de peau, doucement mais sûrement.
Les Parisiens veulent respirer. Ils veulent pouvoir traverser la Seine à pied sans frôler les pots d’échappement le dimanche. Ils veulent que leurs enfants aillent à l’école à vélo sans risquer leur vie. Et en même temps, ils veulent que le boulanger puisse être livré et que mamie puisse venir en voiture de banlieue de temps en temps.
Le défi du prochain maire, quel qu’il soit, ne sera plus de choisir un camp. Ce sera de réussir la synthèse : garder les acquis de la décennie passée tout en corrigeant ce qui coince encore. Élargir les trottoirs sans tuer le commerce. Fluidifier les bus sans repousser les cyclistes sur la chaussée. Créer des parcs sans bétonner ailleurs pour compenser.
Un débat apaisé… pour combien de temps ?
Pour l’instant, donc, le grand clash attendu sur les transports ne viendra peut-être pas. À quatre mois du scrutin, les grandes lignes sont posées et elles se ressemblent beaucoup. C’est plutôt rassurant, non ? Ça veut dire que certains sujets, enfin, sortent de la polémique stérile pour entrer dans le domaine du « comment on fait mieux » plutôt que « est-ce qu’on le fait ou pas ».
Mais ne vendons pas la peau de l’ours trop vite. La campagne ne fait que commencer. Un événement, un incident, une phrase maladroite, et tout peut repartir en vrille. On a déjà vu des consensuses voler en éclats pour beaucoup moins que ça.
En attendant, une chose est sûre : le prochain maire de Paris, quel qu’il soit, héritera d’une ville déjà largement transformée. Une ville où la voiture n’est plus reine, mais où personne ne veut non plus la bannir totalement. Une ville qui a trouvé un équilibre fragile, mais réel.
Et ça, franchement, c’est plutôt une bonne nouvelle.
Alors, consensus durable ou simple trêve électorale ? L’avenir nous le dira. Mais une chose est certaine : Paris ne parle plus tout à fait de mobilité comme il y a cinq ou dix ans. Et ça, c’est déjà une petite révolution en soi.
