Imaginez-vous à 18 ans, bac en poche, rêves plein la tête, et puis… rien. Pas d’affectation, pas de fac, juste un vide administratif qui vous laisse sur le carreau. C’est le quotidien de dizaines de jeunes à Nanterre en cette rentrée 2025. Et pourtant, contre vents et marées – ou plutôt contre portes closes et interventions policières –, un petit espoir pointe le bout de son nez.
Quand la détermination étudiante force le dialogue
Il y a des histoires qui commencent mal mais qui, parfois, prennent un tournant inattendu. Celle des sans facs de l’université Paris-Nanterre en fait partie. Une semaine après s’être fait gentiment mais fermement raccompagner dehors par les forces de l’ordre, le collectif a remis le couvert. Direction le bâtiment grappin – oui, ce fameux symbole de mai 68 – pour une occupation éclair. Objectif ? Obtenir enfin ce rendez-vous tant réclamé avec la présidente.
Et bingo. Action rondement menée, sortie volontaire, et surtout : une rencontre fixée pour le lendemain. « On a gagné une bataille, pas la guerre », pourrait-on dire. Mais dans le monde universitaire français, où les places sont chères et les budgets serrés, chaque avancée compte.
Le bâtiment grappin, théâtre d’une lutte récurrente
Ce n’est pas la première fois que ce lieu emblématique sert de décor à ces revendications. Depuis 2018, il a vu défiler occupations, rassemblements, banderoles et slogans. On se souvient particulièrement de l’année 2021-2022 où les sans facs avaient squatté les lieux pendant neuf longs mois. Neuf mois ! Autant dire une grossesse symbolique pour faire naître des solutions.
Le bâtiment grappin, avec son architecture brutale et ses souvenirs de contestation, semble presque fait pour ça. Il porte en lui l’ADN de la révolte étudiante. Et pourtant, la présidence actuelle semble bien décidée à ne pas revivre ce scénario marathon.
Le respect des procédures d’admission reste notre priorité absolue, quelle que soit la pression extérieure.
– Direction de l’université
Cette position officielle, martelée dans les communiqués, contraste avec la réalité terrain. Car derrière les « procédures » et les « avis pédagogiques indépendants », il y a des vies bloquées, des projets mis en standby, des familles qui s’inquiètent.
80 jeunes en attente : derrière le chiffre, des destins
80. C’est le nombre de jeunes sans affectation que le collectif défend bec et ongles. Pas une statistique abstraite, mais 80 parcours individuels. Il y a probablement :
- Le bachelier pro qui rêve de s’orienter vers une licence technologique
- L’étudiante réorientée après une première année ratée ailleurs
- Le lycéen de quartier prioritaire qui cumule les handicaps
- Celui qui a raté Parcoursup de justesse mais mérite une seconde chance
Chacun avec son dossier, ses motivations, ses espoirs. Et face à eux, un mur : la commission pédagogique qui examine les recours. Une commission présentée comme garante de l’égalité de traitement. Mais dans les faits ? Le collectif parle de décisions arbitraires, de critères opaques, de places qui se libèrent… mais jamais pour eux.
J’ai vu ces jeunes lors de rassemblements passés. Leur détermination fait peine à voir parfois. Parce qu’au-delà de la fac, c’est leur avenir qui est en jeu. Travailler ? Sans diplôme, les portes se ferment. Attendre une année ? Perdre du temps, de l’argent, de la motivation.
L’expulsion policière : nécessaire ou contre-productive ?
Revenons une semaine en arrière. Occupation pacifique du hall du bâtiment grappin. Pas de dégradation, pas de violence. Juste des étudiants qui campent avec leurs revendications. Et puis l’intervention. Calme, professionnelle, mais symboliquement lourde.
Mardi suivant, 250 personnes se rassemblent pour protester. Étudiants, personnels, syndicats. Tous unis contre ce qu’ils perçoivent comme une répression disproportionnée. Le syndicat étudiant majoritaire dénonce :
Ils préfèrent appeler la police plutôt que de discuter. C’est révélateur d’une présidence qui fuit le dialogue.
De l’autre côté, l’université condamne fermement les occupations répétées et les perturbations du fonctionnement normal. Un argument recevable : des cours annulés, des examens reportés, des personnels administratifs bloqués. Mais à quel prix ? L’expulsion a-t-elle résolu le problème ou l’a-t-elle au contraire envenimé ?
L’action éclair de jeudi tend à prouver le contraire. En quelques minutes, le collectif a montré qu’il pouvait revenir. Et surtout, qu’il obtenait enfin gain de cause. Preuve que la pression, quand elle est bien dosée, peut être plus efficace que la confrontation frontale.
Austérité budgétaire : le nerf de la guerre
Mais creusons plus loin. Car derrière le conflit sans facs vs présidence, il y a un contexte plus large. Un contexte national d’abord : les universités françaises naviguent en eaux troubles budgétaires depuis des années. Mais à Nanterre, c’est particulièrement criant.
Le syndicat étudiant pointe du doigt un plan d’austérité de 60 millions d’euros sur cinq ans. Adopté en Conseil d’Administration, ce plan inclut :
- Gel des postes d’enseignants pendant deux ans
- Gel des postes administratifs pendant un an
- Réduction probable des moyens pédagogiques
- Moins de places disponibles pour les étudiants
Conséquence directe ? Moins de capacité d’accueil. Moins de flexibilité pour absorber les recours. Moins de marge pour les cas particuliers. L’université se retrouve coincée entre ses obligations légales et ses contraintes financières.
Et les sans facs paient la note. Ils deviennent les variables d’ajustement d’un système sous tension. Pas par méchanceté, mais par nécessité budgétaire. C’est là que le bât blesse : comment concilier égalité d’accès et gestion rigoureuse des ressources ?
Les recours : entre égalité et réalité terrain
L’université met en avant son processus de recours. Chaque dossier examiné par une commission pédagogique indépendante. Décision finale de la présidente après avis motivé. En théorie, c’est carré, équitable, transparent.
| Étapes du recours | Description |
| 1. Dépôt du dossier | Formulaire + pièces justificatives |
| 2. Examen commission | Avis pédagogique motivé |
| 3. Décision présidente | Inscription ou refus |
| 4. Voies de recours | Tribunal administratif si nécessaire |
Mais le collectif conteste cette vision idyllique. Selon eux, les avis sont souvent négatifs par défaut. Les critères trop rigides. Les places disponibles surestimées en début d’année, puis revues à la baisse. Résultat : des milliers de recours traités, mais peu d’inscriptions supplémentaires.
Et pourtant, des solutions existent ailleurs. Certaines universités pratiquent la surréservation contrôlée. D’autres développent des parcours d’accompagnement pour les étudiants en difficulté. À Nanterre, on semble privilégier la rigueur administrative à l’innovation pédagogique.
Le rendez-vous de demain : vers une solution durable ?
Alors, que va-t-il se passer lors de cette rencontre tant attendue ? Plusieurs scénarios possibles :
- Scénario optimiste : Inscription d’une partie des 80 jeunes, engagement sur des mesures d’accompagnement
- Scénario réaliste : Examen cas par cas, quelques inscriptions, report pour les autres
- Scénario pessimiste : Refus global, renvoi vers d’autres universités ou formations
Mais au-delà des 80 cas immédiats, c’est tout le système qui mérite réflexion. Comment éviter que la situation ne se reproduise chaque année ? Comment concilier contraintes budgétaires et mission d’accueil de l’université publique ?
Le syndicat étudiant propose des pistes : dégel progressif des postes, création d’une cellule dédiée aux sans facs, partenariat avec d’autres établissements pour mutualiser les places. Des idées qui mériteraient d’être étudiées sérieusement.
Mai 68 dans le rétro : l’héritage d’une contestation
On ne peut parler de Nanterre sans évoquer mai 68. Le bâtiment grappin n’est pas qu’un lieu, c’est un symbole. Occupé à l’époque par les étudiants en colère contre un système universitaire sclérosé. Cinquante-sept ans plus tard, les motifs ont changé, mais l’esprit reste.
Accès à l’éducation, démocratisation de l’enseignement supérieur, contestation des hiérarchies : les sans facs d’aujourd’hui portent, sans le savoir peut-être, l’héritage de cette révolte. Moins idéologique, plus pragmatique, mais tout aussi légitime.
Et la présidence ? Elle marche sur des œufs. Condamner les perturbations tout en incarnant l’université de la contestation. Gérer les contraintes budgétaires tout en maintenant l’image d’un établissement ouvert et progressiste. Pas simple.
Les sans facs ailleurs : un problème national
Nanterre n’est pas un cas isolé. Partout en France, des collectifs similaires émergent. À Paris 8, à Lille, à Strasbourg. Même combat, mêmes blocages. Parcoursup, malgré ses améliorations, laisse encore des milliers d’étudiants sur le carreau chaque année.
Les raisons ? Multiples. Augmentation du nombre de bacheliers. Sous-dimensionnement chronique de certaines filières. Attrait pour les grandes universités parisiennes. Manque de coordination entre établissements.
À l’échelle nationale, on estime à plusieurs milliers le nombre de sans affectation en fin de procédure. Un gaspillage humain et social. Car ces jeunes, livrés à eux-mêmes, risquent le décrochage définitif.
Vers une université plus inclusive ?
Et si cette crise était l’occasion d’une remise en question plus profonde ? L’université française, héritière de Napoléon, reste très centralisée, très sélective. Mais le monde change. Les parcours ne sont plus linéaires. Les besoins évoluent.
Quelques pistes concrètes :
- Développement de la formation continue pour les réorientations
- Partenariats renforcés avec les lycées pour mieux orienter
- Création de places tremplins pour les cas particuliers
- Transparence accrue sur les capacités réelles d’accueil
Ces mesures demandent du temps, de l’argent, de la volonté politique. Mais elles pourraient éviter bien des conflits futurs. Et redonner à l’université sa mission première : former, accueillir, ouvrir des portes plutôt que les fermer.
Conclusion : un dialogue à construire
Le rendez-vous de demain à Nanterre n’est qu’une étape. Une étape importante, certes, pour ces 80 jeunes. Mais aussi un test pour l’université toute entière. Saura-t-elle transformer cette confrontation en dialogue constructif ?
L’histoire nous l’enseigne : les mouvements étudiants, quand ils sont porteurs de revendications légitimes, finissent souvent par obtenir gain de cause. Pas toujours totalement, pas toujours rapidement. Mais suffisamment pour faire évoluer les choses.
Alors, demain, quand les représentants des sans facs franchiront les portes du bâtiment grappin – cette fois invités –, ils porteront plus que leurs dossiers. Ils porteront l’espoir d’une université plus humaine, plus flexible, plus juste.
Et nous, observateurs de ces microbatailles du quotidien, on ne peut qu’espérer que la raison l’emporte. Que les chiffres cèdent un peu de terrain à l’humain. Que l’université reste ce qu’elle doit être : un ascenseur social, pas un tri sélectif.
À suivre, donc. Car l’histoire des sans facs de Nanterre est peut-être en train de s’écrire. Et qui sait, elle pourrait inspirer d’autres universités à ouvrir grand leurs portes. Avant qu’on ne les force à le faire.
