Il y a des nouvelles qu’on préférerait ne jamais lire. Un gamin de vingt ans qui sort d’une pharmacie et qui prend une rafale de balles en pleine poitrine, en plein jour, dans une grande ville française. Pas à Medellín en 1990, non. À Marseille, en novembre 2025. Et le pire ? Il n’était même pas dealer. Il était juste le petit frère de quelqu’un qui avait osé dire stop.
Quand j’ai appris ça, j’ai eu ce pincement au ventre qu’on ressent quand on réalise que le problème n’est plus « quelque part là-bas », mais bel et bien chez nous, dans notre quotidien. Le narcotrafic n’est plus une affaire de faits divers lointains. Il est devenu une gangrène nationale.
Le narcotrafic, cette pieuvre qui étouffe le pays
On parle souvent de « guerre de la drogue » comme si c’était un concept importé d’Amérique latine. Sauf qu’aujourd’hui, les kalachnikov crépitent dans les cités françaises plus souvent qu’on ne veut bien l’admettre. Et derrière chaque fusillade, il y a des milliards d’euros, des réseaux tentaculaires et une impunité qui fait froid dans le dos.
Un marché plus juteux que jamais
Les chiffres donnent le vertige. On estime que le trafic de stupéfiants rapporte entre 3 et 6 milliards d’euros par an en France. À titre de comparaison, c’est plus que le budget de certaines régions entières. Et ce n’est pas que de la résine de cannabis qui arrive du Maroc. Non, la cocaïne sud-américaine inonde les ports du Havre et d’Anvers avant de se retrouver dans les poches des revendeurs français.
Ce qui a changé ces dernières années, c’est la professionnalisation. On n’est plus dans le deal de rue à l’ancienne. On parle d’organisations structurées, avec des guetteurs, des nourrices, des tueurs à gages payés 50 000 euros le contrat, et même des comptables qui blanchissent l’argent dans l’immobilier ou les bars à chicha.
« Le trafic de drogue est devenu la première entreprise criminelle de France. »
Un haut responsable de la lutte anti-drogue, sous couvert d’anonymat
L’intimidation comme arme absolue
Ce qui glace le sang dans l’affaire du jeune Mehdi, c’est la méthode. Tuer le petit frère pour faire taire l’aîné. C’est du pur narcoterrorisme. Une technique qu’on croyait réservée aux cartels mexicains. Et pourtant, elle est là, chez nous.
Et il n’y a pas que les militants qui sont visés. Journalistes, élus, éducateurs, éducateurs de rue… Toute personne qui dérange peut devenir une cible. J’ai discuté avec un travailleur social à Sevran qui m’a confié, la voix basse : « On sait très bien qui vend quoi dans la cité. Mais si on parle, on signe notre arrêt de mort. Et celui de notre famille. »
- Des maires qui reçoivent des têtes de sanglier devant leur domicile
- Des voitures de police caillassées dès qu’elles s’approchent de certains points de deal
- Des adolescents de 14 ans armés de pistolets-mitrailleurs pour protéger un four
- Des familles entières qui déménagent en pleine nuit pour échapper aux représailles
C’est ça, la réalité du terrain. Pas les séries Netflix. La vraie vie.
Marseille, épicentre d’une violence qui s’étend
Quand on parle narcotrafic en France, impossible de ne pas penser à Marseille. Plus de 50 règlements de comptes en 2024, et 2025 s’annonce encore pire. Les équipes DZ et Yoda se déchirent pour le contrôle des cités nord, mais le phénomène dépasse largement la cité phocéenne.
Lille, Grenoble, Lyon, Dijon, Nîmes, même des villes moyennes comme Béziers ou Perpignan… La carte des points de deal s’est étendue comme une tache d’huile. Et avec elle, la violence. Parce que là où il y a de l’argent facile, il y a des armes. Et là où il y a des armes, il y a des morts.
Et l’État dans tout ça ?
On entend souvent : « Mais où est la police ? » La vérité, c’est que les moyens existent, mais ils sont dérisoires face à l’ampleur du problème. Les saisies records de cocaïne (plus de 30 tonnes en 2024) montrent que les trafiquants ont les moyens de perdre des cargaisons entières sans que ça ne les mette en danger.
Pire : les peines prononcées restent souvent légères. Un « four » qui rapporte 20 000 euros par jour, même avec 5 ans de prison, c’est rentable. Et à la sortie, la place est déjà prise par le petit frère ou le cousin.
Certains proposent des solutions radicales : légalisation du cannabis, dépénalisation, régulation. D’autres veulent plus de répression, des peines plancher, l’armée dans les cités. Moi, je crois qu’on est dans une impasse tant qu’on n’attaque pas le cœur du problème : l’argent.
L’argent sale qui pourrit tout
Le plus terrifiant, c’est que l’argent du trafic irrigue l’économie légale. Bars, restaurants, salons de coiffure, agences immobilières… Combien d’entreprises tournent grâce à l’argent de la drogue ? Des quartiers entiers vivent, directement ou indirectement, du trafic.
Et quand un jeune de 18 ans peut gagner 3000 euros par mois en tenant un four, contre 1200 euros en intérim, le choix est vite fait. C’est ça, le vrai drame : le trafic offre une ascension sociale express dans des territoires où l’État a abandonné ses habitants.
Ceux qui osent encore dire non
Et puis il y a ces courageux. Ces jeunes, souvent issus des mêmes quartiers, qui décident de dire stop. Qui créent des associations, qui organisent des marches blanches, qui parlent dans les médias. Ils savent qu’ils risquent leur vie. Certains l’ont déjà perdue.
Leur combat est d’une dignité folle. Parce qu’ils ne se battent pas avec des armes, mais avec des mots, des idées, de l’espoir. Et chaque fois qu’un d’eux tombe, c’est un peu de cet espoir qui s’éteint.
« On ne peut pas accepter que nos petits frères grandissent en pensant que la seule réussite possible, c’est de devenir caïd. »
Un militant marseillais qui a perdu deux frères dans le trafic
Alors oui, on peut se dire que c’est loin de chez nous. Que ça ne concerne que « les quartiers ». Mais quand un jeune de 20 ans se fait exécuter parce que son frère refusait de se taire, ça nous concerne tous. Parce que demain, ça pourrait être le fils de votre voisin. Ou le vôtre.
Le narcotrafic n’est pas qu’un problème de police. C’est un problème de société. Et tant qu’on refusera de le regarder en face, il continuera à nous ronger de l’intérieur.
Il est temps de choisir notre camp. Celui du silence complice, ou celui de ceux qui, malgré la peur, continuent de dire que ça suffit.
(Article écrit avec le cœur lourd, mais avec l’espoir qu’un jour, on n’aura plus à écrire ce genre de texte.)
