Imaginez la scène : des cars qui débarquent de Dunkerque et de Moselle dès l’aube, des centaines de casques de chantier sous le bras, des drapeaux rouges qui claquent au vent sur l’esplanade des Invalides. Ce jeudi 27 novembre n’a rien d’une journée ordinaire à l’Assemblée nationale. Pour la première fois depuis longtemps, la sidérurgie française pourrait faire trembler le Palais Bourbon. Et la question qui brûle toutes les lèvres est simple : les députés vont-ils vraiment voter la nationalisation d’ArcelorMittal ?
Franchement, quand on suit l’actualité industrielle depuis des années, on a appris à ne plus trop y croire. Et pourtant, cette fois, ça sent le soufre – au sens propre comme au figuré.
Une proposition de loi qui tombe au pire et au meilleur moment
Depuis le printemps, le géant de l’acier traîne comme un boulet l’annonce d’un plan social qui touche environ 600 postes en France, essentiellement dans le Nord et en Lorraine. Derrière les chiffres froids, ce sont des familles entières qui se demandent si leur usine va fermer ou survivre sous perfusion. Et surtout, c’est la menace d’une décarbonation ratée qui plane : sans investissements massifs, les hauts-fourneaux français ne seront plus compétitifs d’ici 2030. Game over pour la filière.
C’est là qu’intervient la France insoumise avec une idée aussi vieille que la gauche française : la nationalisation. Pas une petite mesurette, non. Une vraie prise de contrôle public des activités françaises d’ArcelorMittal, estimée autour de trois milliards d’euros. L’objectif ? Sauver les 15 000 emplois directs, relancer la transition écologique et garantir une souveraineté sur l’acier – ce métal dont on a pourtant besoin partout, des éoliennes aux TGV.
Comment on en est arrivé là
Remontons un peu le fil. Avril 2025 : le groupe annonce la suppression de postes et la possible fermeture de certaines lignes. La CGT sonne la charge. Manifestations monstres à Dunkerque le 1er mai, cars entiers qui partent pour Paris, slogans qui tapent fort. Les salariés ne veulent pas être les variables d’ajustement d’un actionnaire indien (Lakshmi Mittal) qui, selon eux, préfère investir ailleurs.
Pendant ce temps, les élus de gauche cherchent la parade. Les communistes tentent un texte au Sénat – rejeté. Puis vient le tour de la « niche » LFI à l’Assemblée, cette journée où chaque groupe peut imposer ses textes à l’ordre du jour. Et là, surprise : en commission, la proposition passe grâce aux voix de la gauche et… l’abstention d’une partie de la droite nationale. Le signal est énorme.
« Faire entrer les revendications populaires dans l’hémicycle », c’est l’objectif assumé des Insoumis.
Ce que contient vraiment le texte
Concrètement, la proposition de loi prévoit :
- La création d’une société nationale reprenant les actifs français d’ArcelorMittal
- Un plan massif de décarbonation financé par l’État
- La garantie du maintien de tous les sites et des emplois
- Un contrôle public sur les orientations stratégiques
On est loin d’une simple subvention. C’est une reprise en main totale, comme on l’avait fait en 1981 avec la sidérurgie sous Mitterrand. Sauf que cette fois, l’entreprise n’est pas française à l’origine et que le contexte budgétaire est… disons-le, tendu.
Le gouvernement dit non (et explique pourquoi)
Du côté de Bercy, on voit rouge – ou plutôt vert dollar. Le ministre de l’Économie a été clair : « Ce n’est pas en écrivant un chèque de 3 milliards qu’on va régler le problème de compétitivité. » Selon lui, le vrai sujet, c’est le dumping chinois. Des tonnes d’acier bas carbone (en apparence) inondent le marché européen à des prix défiant toute concurrence.
Paris a obtenu l’ouverture d’une enquête européenne et pousse pour des droits de douane plus élevés. C’est la ligne officielle : protéger sans nationaliser. Une sorte de patriotisme économique… mais sans mettre la main à la poche pour racheter l’usine.
Le piège de l’obstruction parlementaire
Maintenant, le plus croustillant – et le plus rageant pour les salariés. Rien ne garantit qu’il y aura un vote ce jeudi soir. Pourquoi ? Parce que le groupe d’extrême droite et ses alliés ont déposé près de 285 amendements. Oui, vous avez bien lu. 285. Dont une écrasante majorité vise à faire durer les débats jusqu’à minuit, heure où la « niche » s’arrête net.
C’est une revanche assumée. Les mois précédents, LFI avait bloqué des textes de la droite nationale. Aujourd’hui, c’est retour à l’envoyeur. Certains élus RN laissent entendre qu’ils pourraient retirer leurs amendements… à condition que la leçon soit bien apprise.
« On donnera une bonne leçon à ceux qui se croient tout permis », peut-on lire dans les couloirs.
Entre nous, c’est un peu le spectacle affligeant de la politique politicienne au moment où des milliers de familles retiennent leur souffle.
Et les salariés dans tout ça ?
Ils seront là. 400 métallos, venus en bus, qui vont faire résonner leurs bottes et leurs voix devant l’Assemblée. Certains seront même dans les tribunes. Leur message est simple et brutal : « Le député qui vote contre ou qui bloque, il devra rendre des comptes. » À Dunkerque, à Florange, on connaît le nom de son député. Et on n’oublie pas.
Il y a quelque chose de poignant à voir ces gars – souvent des quinquas qui ont commencé à 18 ans à l’usine – venir défendre leur outil de travail à Paris. Ils ne demandent pas l’aumône. Ils demandent qu’on leur donne les moyens de produire un acier propre, compétitif, français.
Les solutions alternatives qui divisent
Face à la nationalisation, d’autres pistes circulent. La plus sérieuse vient du RN : la golden share. L’État garderait une action préférentielle lui donnant un droit de veto sur les décisions stratégiques, sans gestion directe. Moins cher, moins risqué, plus « libéral ».
Du côté des Insoumis, on balaie l’idée d’un revers de main : sans argent frais et sans contrôle total, impossible de lancer le plan de décarbonation nécessaire. Et sans ça, c’est la mort lente assurée.
Et si ça passait quand même ?
Même en cas de vote positif à l’Assemblée, le chemin reste semé d’embûches. Il faudrait un soutien du gouvernement pour que le texte aille au Sénat et soit inscrit à l’ordre du jour. Or, on l’a vu, l’exécutif est fermement opposé. Et rappelons qu’un texte similaire communiste a déjà été balayé au Sénat il y a quelques semaines.
En clair : même un vote favorable jeudi serait surtout symbolique. Un signal politique fort, certes. Mais pas une nationalisation demain matin.
Ce que ça dit de la France de 2025
Au-delà du cas ArcelorMittal, cette journée cristallise plusieurs fractures :
- Le retour en force de l’idée de nationalisation, vingt ans après avoir été rangée au placard
- La difficulté à penser une industrie verte sans argent public massif
- Le fossé entre les discours souverainistes et la réalité des engagements budgétaires
- Et surtout, la capacité – ou l’incapacité – de nos élus à dépasser les petites querelles pour sauver des bassins d’emploi entiers
Quelque part, cette séance du 27 novembre ressemble à un miroir tendu à la France : on veut l’écologie, la souveraineté, la justice sociale… mais on refuse souvent d’en payer le prix. Et pendant ce temps, les hauts-fourneaux continuent de refroidir.
Alors oui, la nationalisation a très peu de chances de passer jeudi. Mais la colère, elle, est bien là. Et elle ne s’éteindra pas à minuit.
À suivre, évidemment. Parce que parfois, dans ce pays, l’histoire s’écrit quand on ne s’y attend plus.
