Il y a quelques années, un matin de janvier particulièrement glacial, je sortais mon chien à 6 h 30. À peine dix mètres après ma porte, mes deux pieds sont partis en avant et je me suis retrouvé allongé sur le dos, le souffle coupé. Le trottoir ? Une vraie patinoire. Le voisin d’en face n’avait rien déneigé, rien salé. J’ai eu de la chance : juste quelques bleus. Mais d’autres n’ont pas cette chance.
Chaque hiver, la même question revient comme un flocon tenace : quand la neige et le verglas s’invitent, qui doit réellement sortir la pelle et le sac de sel ? Vous, votre locataire, la copropriété, ou la mairie qui passe parfois avec son petit tracteur ? La réponse est loin d’être universelle et, croyance populaire, non, ce n’est pas toujours « le riverain ».
La règle de base que personne ne connaît vraiment
En France, l’entretien des trottoirs en cas de neige ou de verglas n’est pas réglé par le Code civil ou une grande loi nationale (contrairement à ce qu’on entend souvent dans les conversations de cage d’escalier). Tout se joue au niveau local.
Concrètement, deux scénarios possibles :
- La commune a pris un arrêté municipal qui transfère l’obligation aux riverains → c’est vous (ou votre locataire) qui devez dégager.
- Aucun arrêté → la responsabilité reste à la mairie.
Et devinez quoi ? La grande majorité des villes françaises, surtout les plus peuplées, ont bel et bien pris cet arrêté. Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse… presque partout, c’est au riverain de jouer les déneigeurs.
Comment savoir pour votre commune ?
La méthode la plus sûre reste d’aller sur le site de votre mairie ou d’appeler le service voirie. Vous trouverez généralement un règlement sanitaire départemental ou un arrêté spécifique « neige et verglas ». Certains sites affichent même une carte interactive des zones concernées.
J’ai fait le test récemment pour plusieurs villes moyennes : neuf fois sur dix, l’arrêté existe depuis les années 80-90 et impose le déneigement jusqu’à 7 ou 8 heures du matin en cas de chute de neige nocturne.
Qu’est-ce qu’on doit faire exactement ?
L’obligation n’est pas juste « gratter un peu ». Les textes sont assez précis :
- Dégager une bande d’au moins 1 mètre de large (parfois 1,20 m ou 1,40 m selon les villes)
- Évacuer la neige (pas la pousser sur la chaussée ou devant le voisin)
- Traiter au sel ou au sable en cas de regel ou de verglas persistant
- Recommencer autant de fois que nécessaire dans la journée
Oui, même à 14 heures si le redoux suivi de regel a transformé votre trottoir en miroir.
Locataire ou propriétaire : qui sort la pelle ?
Voici l’un des points les plus méconnus. La loi ne tranche pas automatiquement.
En réalité, tout dépend de votre bail.
« Les menus entretiens et réparations locatives » incluent souvent le balayage et le déneigement du trottoir.
– Jurisprudence constante
Dans 80 % des baux récents, cette tâche est expressément mise à la charge du locataire. Mais si rien n’est écrit, la responsabilité principale retombe sur le propriétaire. Et en cas d’accident grave, les juges ont déjà condamné le propriétaire même quand le locataire occupait les lieux depuis dix ans.
Et en copropriété, on fait comment ?
En immeuble, c’est le syndic qui organise (ou qui devrait organiser). Généralement, une entreprise est mandatée et les frais sont répartis dans les charges. Mais attention : si le prestataire ne passe pas à temps ou fait mal le travail, la responsabilité reste à la copropriété dans son ensemble.
J’ai vu des copropriétés se faire condamner à plusieurs dizaines de milliers d’euros parce que le contrat avec l’entreprise de déneigement n’était pas assez précis sur les horaires d’intervention.
Les sanctions : ça fait mal
Premier niveau : l’amende. À Paris, c’est 135 € par constat d’agent. Dans certaines communes, ça monte jusqu’à 450 € en cas de récidive.
Mais le vrai risque, c’est la responsabilité civile.
Exemple vécu (et confirmé par plusieurs décisions de justice) : une personne chute, fracture du col du fémur, arrêt de travail de six mois, séquelles à vie. Indemnisation totale : entre 80 000 et 150 000 €. Et si votre assurance habitation refuse de jouer parce que « manquement caractérisé à une obligation légale », vous payez de votre poche.
Quelques cas concrets qui font réfléchir
En 2019, dans une ville des Hauts-de-France, un propriétaire qui n’avait pas salé son trottoir a été condamné à payer 28 000 € à une postière qui s’était fracturé le poignet. Le tribunal a retenu que « le danger était prévisible et évitable ».
Plus récemment, une copropriété lyonnaise a dû indemniser un livreur Uber Eats à hauteur de 65 000 € après une chute sur une plaque de verglas non traitée. Le syndic avait pourtant prévenu les copropriétaires… mais personne n’avait bougé.
Les astuces qui sauvent (littéralement)
- Prenez une photo datée de votre trottoir propre chaque matin (ça vaut de l’or en cas de litige)
- Conservez les factures de sel ou de sable
- Si vous êtes âgé ou malade, certains arrêtés prévoient des dispenses (à demander en mairie)
- Vérifiez que votre assurance habitation couvre bien la « responsabilité civile vie privée » sans exclusion déneigement
- En copropriété, exigez du syndic un planning précis d’intervention
Petite astuce que j’utilise personnellement : je mets une alerte météo « verglas » sur mon téléphone. Dès qu’elle sonne à 5 h du matin, je sors 10 minutes avec la pelle et le sel. C’est chiant, mais ça dort tranquille.
Et quand la mairie est responsable ?
Ça arrive plus souvent qu’on ne le pense, surtout dans les petites communes sans arrêté spécifique. Dans ce cas, c’est la collectivité qui doit assurer la sécurité des piétons. Et oui, elle peut être condamnée aussi.
Il y a quelques années, une commune de montagne a dû payer 120 000 € après qu’une grand-mère s’était fracturée le bassin sur un trottoir communal non traité. Le juge avait considéré que « l’absence d’arrêté transférant l’obligation aux riverains faisait peser la charge entière sur la commune ».
Moralité : même quand on pense être tranquille parce qu’on habite une petite ville, mieux vaut vérifier.
L’hiver est là, les premières vigilances orange neige-verglas aussi. Avant de râler contre le voisin qui ne fait rien, assurez-vous d’abord que ce n’est pas vous qui devriez sortir la pelle.
Parce qu’entre une amende de 135 € et une indemnisation à six chiffres, il y a une marge que personne n’a envie de découvrir à ses dépens.
Alors oui, c’est pénible. Oui, on préférerait dormir. Mais dix minutes de pelle peuvent vous éviter des années de procédure et des sommes folles.
Et franchement, quand on voit quelqu’un marcher prudemment sur un trottoir bien dégagé, on se dit que ça valait le coup de se lever tôt.
