Vous arrive-t-il parfois de vous demander si la politique parvient encore à parler des gens ordinaires ? Pas des grands discours sur la croissance ou la souveraineté, non. Je veux dire vraiment des gens : l’ado placé qui n’a personne pour le défendre devant le juge, le père de famille étranger qui tremble à chaque renouvellement de carte, le type qui dort sous un pont parce que plus rien ne marche. Eh bien le 11 décembre prochain, une journée entière de l’Assemblée nationale va justement tenter de remettre ces oubliés au centre du débat.
Chaque groupe parlementaire dispose d’une « niche » : une journée où il impose son ordre du jour. Pour les socialistes, c’est le grand retour en force après des années dans l’ombre. Et franchement, quand on découvre le menu qu’ils nous préparent, on comprend vite qu’ils n’ont pas l’intention de faire de la figuration.
Une journée pour remettre l’humain au cœur du droit
Ce qui frappe d’abord, c’est la cohérence. Tout tourne autour d’une idée simple mais puissante : protéger ceux que le système laisse trop souvent sur le bord de la route. Mineurs en danger, étrangers en règle, sans-abri, ultramarins écrasés par les prix… Le PS a choisi de parler à ceux que l’on n’entend presque jamais dans l’hémicycle.
Les enfants d’abord : l’avocat devenu obligatoire
Imaginons un gamin de 14 ans convoqué devant le juge des enfants. Il comprend à peine ce qui se passe. Aujourd’hui, s’il n’a pas expressément demandé un avocat – et comment le saurait-il ? – il peut se retrouver seul face à des adultes qui décident de son avenir. C’est absurde, non ?
La proposition portée par la députée du Val-d’Oise est limpide : dès qu’un mineur est concerné par une mesure de protection (assistance éducative, placement, etc.), la présence d’un avocat devient systématique. Point final. On passe d’une possibilité laissée à la discrétion du juge à un droit automatique.
« Un enfant qui a le discernement doit pouvoir être défendu, pas seulement jugé. »
En matière pénale, c’est déjà le cas. Pourquoi accepterait-on moins quand il s’agit de protéger plutôt que de punir ? L’argument est difficile à contrer, même pour les plus libéraux d’entre nous.
Le piège infernal des tests osseux
Autre aberration que les socialistes veulent corriger : ces jeunes qui arrivent seuls en France, que l’on soupçonne d’être majeurs à cause d’un test osseux discutable, et qui se retrouvent du jour au lendemain à la rue en attendant que la justice tranche.
Des centaines de gamins passent ainsi des mois, parfois des années, sans toit ni accompagnement. Le texte prévoit que tant que le recours n’a pas abouti, ils conservent l’accès à la protection de l’enfance. C’est du bon sens pur. Et pourtant, ça fait débat.
Un observatoire national du sans-abrisme : enfin des chiffres fiables ?
On entend tout et son contraire sur le nombre de personnes à la rue. 300 000 ? 400 000 ? Plus ? Personne ne sait vraiment. La proposition d’Emmanuel Grégoire – oui, le même qui brigue la mairie de Paris – est de créer un outil indépendant capable de produire des statistiques sérieuses, département par département.
Parce que sans chiffres précis, difficile de construire des politiques efficaces. Et difficile aussi de savoir si les milliards dépensés servent vraiment à quelque chose. L’idée semble évidente. Reste à savoir si les autres groupes laisseront passer un dispositif qui pourrait mettre en lumière l’ampleur du fiasco actuel.
Titres de séjour : renverser la charge de la preuve
Voici sans doute le texte qui va faire le plus de bruit. Actuellement, un étranger en situation régulière doit prouver tous les trois ou dix ans qu’il mérite toujours sa carte de résident. Files d’attente interminables, dossiers perdus, angoisse permanente.
Les socialistes proposent l’inverse : le renouvellement devient automatique, sauf si l’administration apporte la preuve que la personne ne remplit plus les conditions. C’est un changement de philosophie complet. On passe d’une logique de suspicion généralisée à une logique de confiance envers ceux qui respectent les règles.
(TEST à puces)- Moins de pression sur les préfectures déjà débordées
- Moins d’angoisse pour des millions de familles
- Moins de paperasse absurde
- Mais évidemment plus de cris outre-Rhin et chez certains à droite
On sent déjà venir les arguments : « ouverture des vannes », « appel d’air »… Les mêmes qu’à chaque fois qu’on parle d’humanité en matière d’immigration. Pourtant, on ne parle ici que des personnes déjà en règle depuis des années. La bataille s’annonce rude.
L’argent liquide n’est pas mort
Dans un coin plus inattendu, les socialistes glissent aussi une proposition pour garantir l’accès à l’argent liquide partout sur le territoire. Mission renforcée pour La Poste, hausse du plafond du cashback chez les commerçants… Ça peut sembler anecdotique.
Mais quand on voit des villages entiers sans distributeur et des personnes âgées perdues face aux paiements sans contact, on se dit que c’est peut-être plus important qu’il n’y paraît. Il y a une forme de dignité à pouvoir payer son pain avec un billet si on le souhaite.
Outre-mer : en finir avec la vie chère
Autre sujet explosif : le coût de la vie dans les territoires ultramarins. Billets d’avion hors de prix, produits de première nécessité 40 % plus chers qu’en métropole… Les socialistes ressortent le plafonnement des prix et des tarifs aériens sous conditions de résidence.
C’est une vieille promesse de gauche qui revient régulièrement sans jamais aboutir complètement. Cette fois pourrait-elle passer ? Rien n’est moins sûr, mais le simple fait d’en reparler met la pression sur le gouvernement.
Les textes qui risquent de sauter à minuit
Parce qu’une niche s’arrête à minuit pile – règle cruelle mais implacable – plusieurs propositions très intéressantes risquent de ne même pas être débattues. Dommage.
- Un fonds dédié aux cancers pédiatriques et maladies rares
- L’obligation de reconstruire résilient après catastrophe naturelle
- La création d’un Défenseur de la laïcité pour les 120 ans de la loi de 1905
- La pérennisation de l’encadrement des loyers avec plus de pouvoir aux maires
- Des mesures concrètes pour la santé mentale des agriculteurs
Chacun de ces sujets mériterait des heures de débat. Ils devront probablement attendre une autre occasion. C’est la loi du genre.
Ce qui est passionnant dans cette niche, c’est qu’elle dit beaucoup de ce que le Parti socialiste veut redevenir : un parti qui parle aux classes populaires et moyennes, qui défend les droits concrets plutôt que les grandes théories, qui ose des propositions de rupture tout en gardant un pied dans le raisonnable.
Est-ce que tout passera ? Probablement pas. Certains textes seront massacrés en commission, d’autres bloqués par des amendements dilatoires, d’autres encore victimes du couperet de minuit. Mais l’important est ailleurs : pour la première fois depuis longtemps, la gauche sociale et humaniste va occuper tout l’espace médiatique et parlementaire pendant une journée entière.
Et quelque part, c’est déjà une forme de victoire.
Le 11 décembre, notez bien la date. Ce ne sera peut-être pas historique, mais ce sera sûrement l’un des moments où l’Assemblée ressemblera enfin un peu à la France telle qu’elle est vraiment : diverse, abîmée parfois, mais toujours debout.
